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La parité au gouvernement, cette fausse bonne idée qui dessert la cause des femmes
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Quotas vs méritocratie

17 femmes, 17 hommes : le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est paritaire. Facile à mettre en place, symbole de modernité, commentaires flatteurs des médias, cette première mesure de François Hollande a tout pour plaire. Mais en fabriquant de la réussite artificielle, la discrimination positive pour les femmes symbolise peut-être un paternalisme désuet.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Et une promesse tenue, une ! La parité au gouvernement, c’est fait. Oh, certes, il ne s’agissait pas de la mesure la plus utile aux générations futures, ni celle dont la mise en œuvre nécessitait le plus de courage : François Hollande n’aura pas eu à braver l’hostilité de l’opinion et des médias, ni même, semble-t-il, à affronter des hordes de « mâles blancs » - comme on dit  fort élégamment aujourd’hui -  ligués pour faire barrage aux « femelles » du parti socialiste.

L’avènement des femmes dans une sphère d’activité dont elles étaient auparavant exclues est un heureux symbole de modernité. Mais la parité, qui fabrique de la réussite artificielle, symbolise bien plutôt la permanence d’un paternalisme désuet. Nous ne sommes plus dans les années 70. Le mythe de la discrimination dont seraient victimes les femmes de talents a fait long feu : personne n’ose plus sérieusement avancer cette hypothèse, hors une poignée d’idéologues féministes et quelques ambitieuses jouant la carte de la « victimisation » (telle Rachida Dati, qui n’a pourtant connu, dans sa fulgurante carrière, d’autres discriminations que positives). Le vrai problème est qu’il existe un déséquilibre entre, d’une part, la « demande » émanant de l’idéologie paritariste, et, d’autre part, « l’offre » de personnalités disponibles, du fait de la disparité qui caractérise la sociologie des grands partis politiques.

La parité du gouvernement n’a d’autre finalité que de provoquer des commentaires médiatiques aussi flatteurs que paresseux. On semble avoir oublié l’intense débat contradictoire qui avait précédé la loi du 6 juin 2000. Depuis cette première concrétisation législative de l’idée de parité, celle-ci fait figure de vache sacrée de la République. Pour tenter de faire contrepoids au conformisme ambiant, et au risque de passer pour un infâme réactionnaire, je voudrais néanmoins rappeler ici quelques bonnes raisons de récuser ce pseudo-idéal qui n’est en réalité qu’une baudruche.

L’égalité entre les hommes et les femmes n’implique nullement la parité

On se souvient qu’en 2000, la loi sur la parité avait requis une révision constitutionnelle visant à assigner aux partis politiques la mission de favoriser « l’égal accès » des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. « Le constituant parle pour ne rien dire » avait immédiatement réagi le grand constitutionnaliste Georges Vedel : favoriser l’égalité d’accès n’implique en effet nullement, ni même n’autorise le recours à la parité. On peut même plaider, à l’inverse, que la parité trahit l’idéal d’égalité en substituant à l’exigence de l’égalité entre les individus celle d’une égalité entre des groupes humains définis par leur ancrage biologique. Si la disparité était l’indice de l’inégalité, il faudrait du reste exiger la parité dans tous les domaines d’activité. Imaginons par exemple que l’on réserve aux hommes 50% des postes de professeurs des écoles mis en concours chaque année : les jeunes femmes participant à ces concours y verraient à juste titre une entrave à l’égalité d’accès à ce métier.

La parité consacre paradoxalement l’héritage de la domination masculine

Le féminisme pro-parité n’a qu’un argument : la proportion des femmes dans les lieux de pouvoir est faible, ce qui témoignerait de la persistance de la domination masculine. Argument contestable : la réalisation de l’égalité des chances entre les filles et les garçons au plan éducatif (par un étrange renversement, ce sont aujourd’hui les filles qui réussissent mieux) s’accompagne de la permanence d’orientations professionnelles et de plans de carrière différents selon le genre. Le fait est observable partout, y compris dans les pays en pointe en matière d’émancipation féminine. Déplorer systématiquement la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir implique la sacralisation des valeurs qui symbolisent par excellence la « domination masculine » (la carrière, l’argent et le pouvoir) ainsi que le dénigrement des femmes, jugées à la fois aliénées dans leurs choix et trop faibles pour accéder à des positions de pouvoir sans l’aide d’un dispositif de protection spécifique.

La parité dessert l’image, et donc la cause, des femmes

Alors que la parité est sensée symboliser le parachèvement de l’égalité entre l’homme et la femme, l’artifice du procédé conduit à reproduire la hiérarchie entre les hommes et les femmes que l’on visait à subvertir. Pour composer un gouvernement paritaire, il aura fallu multiplier les strapontins et dénicher des seconds couteaux. Le « lissage » constitué par la disparition des postes de secrétaire d’Etat dissimule mal l’absence de parité à niveau de responsabilité égal (François Hollande avait du reste laissé entendre qu’un tel objectif ne pouvait être atteint).

Personne ne considère que la présence au gouvernement des Fabius, Valls ou Moscovici soit imputable à l’impératif de parité. Dans la rhétorique médiatique, tout se passe comme s’il y avait d’un côté les ministres ayant conquis leur légitimité par eux-mêmes, et de l’autre les ministres femmes, également « suspectes », si l’on peut dire, d’avoir été nommées au titre de la parité. C’est évidemment tout à fait injuste pour celles dont la nomination résulte logiquement du parcours accompli, du charisme personnel et/ou des compétences acquises par le travail, mais qui se voient indifféremment comptées parmi les « bénéficiaires » de la parité, voire de la diversité.

La parité fausse la concurrence

Il est vrai que la contrainte de parité permet d’accroître mécaniquement le nombre de femmes dans les sphères de pouvoir, mais de manière injuste, en faussant la concurrence. Ainsi pour les femmes déjà installées dans des positions de pouvoir, la parité constitue une rente de situation. La loi de janvier 2011 imposant des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises a par exemple eu pour effet principal de permettre à un petit nombre d’administratrices de cumuler les mandats. Chez les outsiders, la parité permet de supplanter plus aisément de jeunes rivaux de sexe masculin. Plutôt que de réaliser le renouvellement au moyen de la parité, il serait préférable d’aller vers la parité à travers le renouvellement, la présence féminine étant plus forte au sein des élites des nouvelles générations.

La parité est contraire à l’intérêt général

L’intérêt général commande que les électeurs ou les décideurs puissent choisir ceux ou celles qui leur paraissent les meilleurs, abstraction faite de tout autre considération. De fait, lorsqu’il est question de responsabilités importantes, la parité n’a plus cours. Si, par exemple, les femmes sont davantage présentes dans les conseils municipaux, les maires sont le plus souvent des hommes. On assiste au même phénomène avec le gouvernement paritaire : les grands ministères sont occupés par des hommes. D’où la frustration des partisans de la parité, condamnés à une surenchère permanente qui se heurte cependant à une limite objective : s’agissant des fonctions les plus importantes, les Français ne comprendraient pas que l’impératif de parité prévale sur les critères de l’efficacité politique. Preuve que la parité est un idéal frelaté qui ne suscite pas d’adhésion profonde, personne n’ose exiger que l’on soumette à ce critère la fonction présidentielle (sous la forme d’une alternance dans le temps) : la liberté des électeurs que la Conseil constitutionnel n’est pas parvenu à sauvegarder dans le cadre des élections de rang inférieur demeure ici préservée.

La parité n’est pas compatible avec le principe de l’égalité républicaine

Jamais le Conseil constitutionnel, avant et après la loi de juin 2000, n’a approuvé un dispositif instaurant la parité – laquelle n’a du reste jamais accédé au rang de principe républicain. La parité et la diversité considérées comme principes seraient en effet incompatibles avec le principe d’égalité, lequel repose sur l’abstraction de toutes les différences susceptibles de justifier une différentiation des droits. L’égalité républicaine implique une orientation philosophique, celle de « l’humanisme abstrait », qui sous-tend la Déclaration de 1789 : les droits fondamentaux sont des droits de l’homme « nu », abstraction faite de ses appartenances et de ses traits identitaires particuliers. L’idée selon laquelle chaque individu doit bénéficier des mêmes droits et de la même attention que n’importe quel autre, et ce quels que soient sa couleur de peau, son sexe, ou tout autre particularité par laquelle on pourrait l’identifier, est au cœur de l’idéal républicain. La prohibition de la différence des droits fondée sur une assignation identitaire constitue à cet égard une raison suffisante de s’opposer à la parité.

La parité affaiblit la critique du Front national

Procès d’intention et imputation d’héritage mis à part, force est de constater qu’on ne trouve pas trace d’antisémitisme ni de racisme dans le programme politique de Marine Le Pen. Loin de renier la République, celle-ci s’est appropriée la laïcité et se permet même de faire la leçon aux autres partis sur la question de la discrimination positive. Un point, un seul, fait véritablement problème : la préférence ou priorité nationale en matière de prestations sociales et d’accès à l’emploi. Une telle orientation est à l’évidence incompatible avec l’humanisme abstrait qui fonde la conception républicaine de la nation laquelle implique, s’agissant des droits fondamentaux, de neutraliser la différence entre le citoyen et l’étranger. Mais pour que la critique de FN soit autre chose qu’un simple réflexe pavlovien, il convient d’être cohérent : on ne peut sans inconséquence condamner la préférence nationale tout en approuvant la parité, qui suppose elle aussi la négation de l’égalité abstraite.

La parité masque les vrais problèmes des femmes

Le discours sur la parité est omniprésent dans les médias. On pourrait s’amuser à comparer la place qu’il prend au regard de celle consacrée par exemple aux difficultés des familles monoparentales, c’est-à-dire aux problèmes rencontrés par les plus pauvres d’entre les femmes. La parité ne concerne qu’une petite minorité de femmes hyper-privilégiées, dont les maris ou compagnons sont le plus souvent eux-mêmes hyper-privilégiés. Cette minorité réclame, à tort ou à raison, l’égalité des chances dans des compétitions sociales ne concernant que les élites. La revendication d’égalité est bien entendu légitime quel que soit le milieu social, mais force est de constater que la hiérarchie médiatique des problèmes ne correspond pas à une réalité ni à une rationalité objectives : elle reflète les préférences idéologiques des catégories sociales dominantes.

Si l’on considère à l’inverse la question de la condition féminine avec objectivité, le problème qu’il convient de poser et de traiter en priorité, et qui concerne les femmes de tous milieux sociaux (les hommes aussi, mais, de fait, dans une moindre mesure), est celui de l’harmonisation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Tout progrès en ce sens favorisera la carrière professionnelle des femmes, l’investissement des hommes dans la vie de famille et l’éducation des enfants. Cela vaut tout de même mieux qu’un symbole factice.

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