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4 énarques seulement mais 2/3 de fonctionnaires : le gouvernement Ayrault est-il vraiment armé pour réduire les dépenses publiques et réformer l'Etat ?
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Enachroniques ?

La prestigieuse école de Strasbourg qui devait former les hauts dirigeants de la France est fort peu représentée dans le nouveau gouvernement. Mais les fonctionnaires, eux, le sont très largement...

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Le gouvernement Ayrault ne compte que quatre énarques sur 34 personnes -soit 12%- alors qu'ils étaient 24% dans Fillon I. Cette chute brutale marque-t-elle la fin d'une époque ?

Erwan Le Noan : Je ne crois pas que la rupture soit si réelle en fait. Ou ce n’est pas celle-là qui importe, mais celle qui amène un gouvernement  composé aux 2/3 de fonctionnaires. D’abord, le Président de la République lui-même est issu de l’ENA, comme le sont quelques ministres clés : le ministre des affaires étrangères (Laurent Fabius), celui de l’économie (Pierre Moscovici) et celui du travail (Michel Sapin). En fait, il n’y a que Fleur Pellerin qui, parmi les "énarques" du Gouvernement, ne soit pas ministre, mais ministre déléguée.

En outre, il faudra voir comment seront composés les cabinets. Il y a fort à parier que les "hauts fonctionnaires" occuperont les postes clés. Auprès de François Hollande, pour le moment, on ne peut pas dire que les anciens élèves de l’ENA soient oubliés : sur les sept membres civils de son cabinet que présente le site de l’Elysée, six semblent issus de cette école.

La rupture, c’est plutôt Nicolas Sarkozy qui l’avait apportée en la matière. En juillet 2007, juste après son élection, The Economistavait d’ailleurs consacré un article à la disparition des "énarques" dans le Gouvernement (et à la tête de l’Etat), relevant à l’inverse la montée en puissance des avocats. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que dans le Gouvernement Ayrault il y a aussi trois avocats (Arnaud Montebourg, George Pau-Langevin et Alain Vidalies – sauf erreur ou oubli).

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est donc plutôt dans la continuité du mouvement précédent en ce qui concerne les anciens élèves de l’ENA. Comme son prédécesseur, il semble indiquer une évolution des recrutements politiques : des personnes issues d’autres formations et carrières arrivent au pouvoir. Mais surtout, les recrues font de la politique depuis toujours – voire exclusivement : c’est le cas des « jeunes » du gouvernement Ayrault par exemple. Le gouvernement confirme donc que les "énarques" se concentrent sur ce qui est leur métier : le service de l’Etat, pas la politique.

Quelle est la part de fonctionnaire dans ce gouvernement ? 

C’est là le vrai sujet du gouvernement Ayrault : j’y compte 19 personnes  issues d’une des fonctions publiques (en réalité, de la fonction publique d’Etat à l’exception de trois), dont 11 enseignants ou universitaires (sauf erreur ou oubli). Il y a même 13 ministres sur 18 qui viennent de la fonction publique. Le nouveau Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, est par ailleurs lui-même enseignant.

Bref, les 2/3 des membres du Gouvernement Ayrault sont fonctionnaires et 1/3 est enseignant ou universitaire.

Le poids de la fonction publique est-il trop important pour être représentatif ou efficace ?

Le fait que le gouvernement compte beaucoup de fonctionnaires pose des questions sur sa capacité à réformer l’Etat. Quand bien même ces personnes seraient désireuses de le faire (ce qui reste à prouver, Arnaud Montebourg expliquait par exemple dans la campagne que les baisses de dépense seraient « homéopathiques » !), elles sont de fait très liées aux bastions qu’elles devraient démanteler.

Comme le rappelait le FMI,  lorsqu’une réforme est mise en œuvre, ceux qui risquent de perdre se mobilisent plus efficacement que les gagnants (les consommateurs). En outre, les « insiders » (ceux qui viennent du système à réformer) sont souvent plus réticents à bouleverser les structures dont ils viennent, où ils ont fait carrière, où ils connaissent beaucoup de gens et auxquelles ils sont particulièrement liés. C’est humain : se dire que ce que l’on a fait comme métier n’était peut être pas si utile et l’expliquer à ses anciens collègues, ce n’est si facile !

Or en France, on connait bien le pouvoir de blocage des syndicats de fonctionnaires, qui ne sont pas favorables à la diminution du secteur public, ainsi que leurs liens avec la Gauche. Si en plus les 2/3 du Gouvernement sont des « insiders », cela peut laisser douter de sa capacité à réduire la dépense publique… Frédéric Sautet l’expliquait très bien récemment.

Pour contrebalancer ce raisonnement, on pourrait aussi rétorquer que le gouvernement sera plus à même de faire accepter les réformes car il connait mieux les syndicats, ne sera pas soupçonner de vouloir "privatiser" l’Etat (comme on accuserait la Droite). Au demeurant, il faut rappeler que plusieurs des réformes les plus libérales en France ont été menées par Pierre Bérégovoy (les marchés financiers, quand il était ministre des finances) ou Jacques Delors (marché unique, à la Commission européenne) et que c’est un autre socialiste qui dirige l’OMC (Pascal Lamy, un temps annoncé au gouvernement) ...

Mais surtout, François Hollande n’a pas vraiment été élu sur un programme de réduction de la dépense publique ni de réforme de l’Etat…

Quid des membres issus de professions libérales ? Ont-ils vraiment une légitimité étant donné qu'ils ont peu exercé en réalité ?

La légitimité des membres du Gouvernement vient du vote. François Hollande a été élu Président de la République. Les élections législatives se tiennent en juin prochain. Une fois ce sacre démocratique passé, il n’est pas plus irrationnel d’avoir un médecin au budget (Jérôme Cahuzac) qu’un journaliste à l’économie (François Baroin).

La vraie question, c’est la capacité de ces hommes et de ces femmes à réformer la France. Dans le cas des fonctionnaires, je l’ai dit, il y a une limite forte, liée à leur proximité avec le système à bouleverser.

Dans le cas des personnes issues du privé, il semble qu’elles sont peu nombreuses à avoir travaillé longtemps. On peut le regretter. Mais après tout, c’est malheureusement souvent le cas. Et puis, comme les fonctionnaires ne sont pas plus spontanément désintéressés que les autres, les personnes issues du privé ne sont pas, non plus, plus spontanément honnêtes ni détachées. Avoir un industriel ministre de l’Industrie, cela pourrait aussi être problématique…

Le vrai sujet en la matière, c’est plutôt ce que ces personnes se proposent d’appliquer dans le cadre de leurs fonctions ministérielles. A mon sens, la question n’est pas de savoir qui fera la politique du budget, mais s’il est pour des réductions de dépense ou non. La question n’est pas non plus de savoir s’il faut un avocat, un énarque ou médecin en charge du « Redressement productif », mais de savoir s’il faut un ministère du Redressement productif.

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