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Les soins palliatifs : « Tout ce qu’il reste à faire, quand il n’y a plus rien à faire »
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Apprendre à mourrir

Jacques Fabrizi a souhaité s'intéresser au regard des soignants dans une relation de soins quand le temps des traitements à visée curative n’est plus d’actualité. Extraits de "Déjà-presque-mort mais encore-si-terriblement-vivant" (1/2).

Jacques Fabrizi

Jacques Fabrizi

Jacques Fabrizi est fils du déporté Antoine Fabrizi, survivant du camp de concentration de Buchenwald. Il exerce la médecine générale en cabinet libéral. Il est leader accrédité de la Société médicale Balint.

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Expliquer ce que sont les soins palliatifs me paraît, à ce stade de mon propos, important pour la bonne compréhension de mon cheminement de pensée. J’ai à coeur de le préciser, tant ils sont peu ou mal connus en France, selon une enquête récente qui révèle qu’une majorité de personnes s’estime plutôt mal informée à leur propos.

Pour ce faire, avec un constant souci didactique, il me semble opportun en premier lieu, de m’attarder sur l’étymologie du verbe «pallier »qui, d’après le Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, serait apparu au xive siècle, emprunté au latin palliare,qui signifie «couvrir d’un manteau, voiler, cacher ». Du sens de «dissimuler, faire excuser »,on serait très vite passé au sens médical d’aujourd’hui de « soulager, atténuer la souffrance, supprimer certains aspects d’un mal sans agir en profondeur, sans guérir » faute de remède. Ainsi, remarque-t-on, tout d’abord de façon non dénuée d’intérêt, que la première étymologie pourrait évoquer la mort honteuse, dans le contexte qui nous préoccupe, qu’il faut cacher, ne pas montrer…

Est également suggérée l’idée de « couvrir d’un manteau»,idée que l’on retrouve aussi dans la religion chrétienne avec saint Martin, soldat romain ayant partagé son manteau avec un pauvre, symbole de compassion, d’altruisme et de partage. Ceci nous amène à l’actuelle définition des soins palliatifs, car ensuite la mutation vers la signification médicale contemporaine s’est opérée sans tarder. Le terme «soins »,quant à lui, n’implique pas la guérison mais signifie plutôt « s’occuper de », soigner étant différent de guérir… On retrouve cette distinction dans la langue anglaise avec les verbes to curequi signifie traiter dans le sens de guérir, et to care, soigner, prendre soin de. Actuellement, le terme soins est toujours affublé d’un qualificatif et l’on parle de soins palliatifs par opposition aux soins curatifs, ou de soins de support qui sont l’ensemble des soins et soutiens éventuellement nécessaires (dont la psycho-oncologie) et qui viennent en complément des autres soins prescrits. Enfin, pour signifier qu’il s’agit toujours du même patient qui peut relever de ces différents soins, à des moments différents de l’évolution de sa maladie, on parle de soins continus.

Cette terminologie m’apparaît pour le moins incongrue et quelque peu étrangère aux préoccupations des patients. En médecine générale, on s’occupe naturellement de nos patients de façon continue, quel que soit le stade évolutif de leur maladie, et l’accompagnement va de soi. Ce serait assurément un pléonasme que de préciser, médecine générale et accompagnement.

La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs définit les soins palliatifs comme des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale.

Leur objectif est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes,mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution.

La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche. Le malade est considéré comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui dispensent les soins palliatifs cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Ils s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible.

Dans un style moins académique et plus pragmatique, on peut résumer les soins palliatifs par « tout ce qu’il reste à faire, quand il n’y a plus rien à faire »,quand le temps des traitements à visée curative n’est plus d’actualité.

Cependant, si les soins palliatifs sont dans « le faire », il convient pour autant, de ne pas verser dans l’excès, par un acharnement thérapeutique ou même relationnel. Permettre au patient de trouver son propre chemin, d’exprimer ses souhaits et ses convictions par rapport à sa fin de vie est primordial. Lui permettre d’accueillir la mort sans la retarder ni la précipiter est également essentiel. De la part des soignants, respecter ce choix devrait être fondamental.

La philosophie des soins palliatifs repose sur la notion de prise en charge globale du patient, physique, psychique, sociale et spirituelle, désignée depuis Hippocrate par l’expression de médecine holistique. Il s’agit de construire avec le patient dont les jours sont comptés un projet de vie, en tenant compte de ses conceptions, de ses aspirations et de ses choix. La sagesse, moins qu’une méditation de la mort, est une méditation de la vie. Je sais où je vais, assurément comme tout un chacun vers la mort, mais ce qui me plaît avant tout, c’est le voyage et pas uniquement la destination finale. Pourtant la mort, cette « chose » incompréhensible, inconnaissable, inapprivoisable, est la grande occupation de l’existence. Elle parachève la vie dont elle est la forme aboutie.

La vie elle-même est une maladie mortelle, dont on peut, certes, espérer reculer l’échéance par les progrès des sciences médicales mais à laquelle on ne peut se soustraire. En l’absence de remède contre la mort, c’est inéluctable. Apprendre à vivre, c’est apprendre à mourir. En prendre conscience permettrait de mourir dans « la joie de vivre ». À Socrate condamné à boire de la ciguë et qui souhaitait apprendre à jouer de la lyre la veille de son exécution, son compagnon de geôle intrigué demanda : « À quoi te sert, Socrate, d’apprendre à jouer de la lyre, puisque tu vas mourir ? » Socrate répondit : « À jouer de la lyre avant de mourir. »

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Extrait de Déjà-presque-mort mais encore-si-terriblement-vivant, L'Harmattan (28 mars 2012)

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