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Cette accumulation de petites incivilités quotidiennes qui ruinent la vie d'entreprise
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Merveilleux monde du travail

Hubert Landier rapporte les multiples anecdotes, glanées à l’occasion d'enquêtes qui sont autant de vexations subies par les salariés : directives inapplicables, manifestations de mépris, objectifs contradictoires, informations trop tardives, absence de dialogue... Extraits de "18 bonnes raisons de détester son entreprise" (1/2).

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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"Non, le patron ne dit pas bonjour ; ou alors, quand il le fait, il essaye de m’appeler par mon prénom, mais une fois sur deux, il se trompe ; pourtant, ça fait deux ans que je suis là. » Ou encore : « Ici, c’est jamais de remerciements si tu fais bien ton boulot ; par contre, si tu fais une erreur, alors là, c’est l’engueulade. » De tels témoignages n’ont rien d’excep­tionnel ; ils sont même fréquents. Les marques de courtoisie élémentaires, dans l’entreprise, ne sont pas toujours respec­tées.

Et pourtant, les salariés y sont hautement sensibles : la poignée de main du matin est souvent un rituel auquel tous se conforment, y compris le visiteur de passage. Il s’agit là d’une marque de reconnaissance qui semble aller de soi. Dès lors, celui qui ne s’y conforme pas est mal vu : « Pour qui se prend-il, celui-là ? » L’intéressé est vite catalogué. Selon un maître compagnon dans une grande entreprise du BTP : « Le chef de chantier, le matin, il va dire bonjour à la grue, mais à nous, il ne dit pas bonjour. » Autant dire que les hommes comptent moins que le matériel.

Conversation avec un ouvrier :

« C’est très intéressant, votre atelier. Vous devez avoir beaucoup de visiteurs ?
– Oui, beaucoup.
– Et bien entendu, on vous dit qui c’est ?
– Pensez-vous, on voit les costards-cravates qui débarquent ; on a l’impression qu’ils sont au zoo ; ils s’intéressent aux machines, et nous, on n’existe pas. » Est-ce que cela coûte­rait cher à l’entreprise de mettre à l’entrée de l’atelier un panneau du style : « Vendredi, visite du délégué commercial de notre principal client » ? Simplement, on n’y a pas pensé ; sans doute a-t-on mieux à faire ? En attendant, les salariés, face à cette présence d’inconnus, fabulent : « Est-ce qu’on ne va pas être rachetés ? Est-ce que ce ne sont pas les représen­tants des repreneurs ? » Ceci est arrivé à l’auteur de ces lignes. On le prenait pour le représentant d’un fonds d’investisse­ment américain et un délégué en a profité pour lui remettre un papier où se trouvaient, maladroitement exprimés, tous les sujets d’inquiétude : l’emploi, la prime de résultats, les cadences. Chacun savait que l’usine était en cours de rachat, mais personne n’en savait davantage, le directeur pas plus que les autres.

La politique de communication – « tous ensemble vers de nouveaux défis » – se trouve ainsi contredite en perma­nence par ces messages implicites de mépris. S’y ajoutent les mesures d’exclusion. Dans telle entreprise, il y a ceux qui ont le « macaron » et ceux qui ne l’ont pas. Le macaron, c’est l’au­tocollant sur le pare-brise qui permet de parquer sa voiture à l’intérieur de l’usine. La direction précise que ceux qui en bénéficient font un usage fréquent de leur véhicule ; concrè­tement, ce sont les cadres, qui s’en servent effectivement le midi pour aller au restaurant.

Dans telle autre, les membres du CHSCT, réunis autour de la table de réunion, se classent en deux catégories : les membres de la direction, qui ont devant eux une bouteille d’eau et un gobelet, et les élus du personnel, qui n’en ont pas et doivent, pour se rafraîchir, se déplacer à la fontaine à eau. Curieusement, cela semble tellement aller de soi que plus personne ne le remarque. Il n’empêche : cela crée un état d’esprit. Faut-il s’étonner ensuite que les rela­tions entre les uns et les autres ne soient pas fondées sur une confiance très intense ?

Ce sont là en effet autant de petits détails qui expriment l’état d’esprit de la direction à l’égard du personnel. Ainsi dans ce grand magasin : « J’imagine que le directeur vous a fait visiter la surface de vente ; maintenant, est-ce que vous voulez voir les locaux administratifs ? » En effet, le décor est assez différent. On comprendra que les clients fassent l’objet d’une attention particulière ; mais est-ce une raison pour que la direction se satisfasse de locaux dégradés pour son person­nel ? On fera la différence avec cet hôtel dont la nouvelle directrice a informé les délégués de son intention d’amélio­rer les locaux du personnel, qu’elle juge sordides. Chacun sait par conséquent que leur rénovation est prévue dans le programme concernant l’ensemble de l’établissement, qui a effectivement besoin d’un « revamping ». L’état des vestiaires, des sanitaires et des douches constitue un signe de l’attention, ou du manque d’attention, de la direction pour le personnel.

De gros efforts ont été faits dans de nombreuses entreprises. Mais les standards – ce qui est jugé « normal » – évoluent. Ce qui était considéré comme normal hier ne l’est plus nécessairement aujourd’hui. Les jeunes jettent sur leurs conditions d’emploi un regard différent de celui de leurs aînés. Et surtout, ils comparent : « Pourquoi les uns peuvent-ils venir au travail à l’heure qui les arrange et pas les autres ? » Les petits riens deviennent autant de symboles d’un manque d’équité : il y a les « privilégiés » et les autres, ceux qui n’ont pas droit à certains avantages et qui, pour cette raison, se sentent méprisés.

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Extrait de 18 bonnes raisons de détester son entreprise, Bourin Editeur (15 mai 2012)

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