Éviction d’Alain Finkielkraut : les bienfaits de la condamnation des dérapages, les dangers de l’épuration<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Alain Finkielkraut affaire Olivier Duhamel LCI polémique
Alain Finkielkraut affaire Olivier Duhamel LCI polémique
©JOEL SAGET / AFP

Affaire Olivier Duhamel

Dans la mesure où ils ne sont pas récurrents, qu’ils ne se concentrent pas en incitation à la violence et qu’on ne les transforme pas en système générateur d’audience, un certain nombre de « dérapages » médiatiques ont une vertu qu’on leur oublie trop souvent.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »
Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

Voir la bio »

Jean-Sébastien Ferjou : Les propos d’Alain Finkielkraut sont totalement condamnables. Il ne comprend pas que le sujet porte sur le défaut de maturité. Même à supposer que le beau-fils d'Olivier Duhamel ait été réellement consentant, à cet âge-là on ne sait pas à quoi on consent. Même à supposer d’ailleurs que le cas où un adolescent ou une adolescente provoquent sexuellement un adulte existent, la responsabilité de l’adulte est de refuser en sachant précisément que l’enfant ne sait pas à quoi il consent. Qui aurait l’idée de laisser un enfant se lancer dans un comportement à risque au motif de respecter sa liberté ? Qui trouverait normal de laisser un adolescent partir faire le djihad même si c’est lui qui en exprime le désir ?

La question de l’éviction d'Alain Finkielkraut dépasse cependant celle de ses propos en particulier. Et même de son cas à lui.

Comment comprendre le fonctionnement d’une société si on s’interdit d’entendre ou d’essayer de comprendre le cheminement intellectuel de ceux qui pensent autrement ? Il ne s’agit pas du tout de dire que toutes les idées se valent et que toutes les visions méritent d’être respectées mais d’essayer de comprendre. Les abus sexuels ou le silence qui les entourent existent aussi parce qu’il y a des gens qui pensent comme Alain Finkielkraut. Mais que vaut-il mieux ? L’entendre et y répondre ? Ou le taire et laisser ces idées exister de toute façon ?

Outre la pédagogie que permettent les dérapages, la recherche de la nuance est aussi importante. Le côté mouton de panurge des grands moments d’épuration qu’alimente la cancel culture produit des effets dramatiques. Tout homme a le droit à la présomption d’innocence. Toute situation doit être appréciée dans son contexte propre et pas uniquement au nom des principes du moment et de leur exploitations politiques.

Il y a une illusion de toute puissance chez les médias. Et une grande hypocrisie. Car les chaînes d’info veulent du clash et du spectacle. Puis font semblant de s’offusquer quand le dérapage se produit. De ce point de vue, LCI est passé maître en la matière. Julie Graziani, Geoffroy Lejeune, Alain Finkielkraut... on cherche le buzz et on feint la vertu comme une vierge effarouchée...

Enfin, les grands progrès naissent le plus souvent de propos qui relevaient d’abord de la transgression. Les équilibres ne se construisent que dans la nuance et l’examen de réalités parfois contradictoires. Le problème c’est qu’il est toujours difficile d’identifier en temps réel les causes vraiment justes. La force de la pression du consensus social entrave la capacité à distinguer le bien du mal.

Il y a quelques années, c’est ceux qui auraient dénoncé l’inceste qu’on aurait fait taire. Ou ceux qui dénonçaient les signataires de pétitions pro-pédophilie.

Et de toute façon c’est toujours sur les mauvaises causes qu’on défend les principes. 

Atlantico.fr : Alain Finkielkraut a été évincé de la chaîne d’information LCI après ses propos polémiques sur l'affaire Duhamel. Plutôt que de lui opposer des arguments contradictoires, la chaîne a préféré le faire taire. Le débat public s’en sort-il grandi ?

Bertrand Vergely : À la suite des propos qu’il a tenus au sujet de l’affaire Duhamel, Alain Finkielkraut a été mis à la porte de la chaîne LCI sans autre forme de procès. Quand quelqu’un commet une faute professionnelle jugée non seulement grave mais gravissime, il est exclu sur le champ. Ici, il s’agit de la même chose. La direction de la chaîne n’a pas demandé à Alain Finkielkraut de venir s’expliquer avec elle ou bien de faire une mise au point. Elle l’a purement et simplement éjecté. Cette exclusion est affligeante pour le débat démocratique qui a lieu dans la société d’aujourd’hui, pour  Alain Finkielkraut et finalement pour la chaîne elle-même.

S’agissant du débat, cette exclusion traduit un durcissement inédit. On comprend bien qu’il puisse y avoir des questions avec lesquelles on ne plaisante pas et que mis en présence de l’inacceptable, on réagisse immédiatement. Toutefois, avant de recourir à des mesures extrêmes comme l’exclusion séance tenante, il y a des procédures à respecter. Le propre de la guerre consiste à prévenir que l’on va faire la guerre. C’est ce qui distingue la guerre de l’agression et le soldat d’un bandit. Avant de charger des manifestants, la police a recours à des sommations. À la suite des propos qu’il a tenus, Alain Finkielkraut aurait pu faire l’objet d’un communiqué de la part de la chaîne déplorant les propos tenus. Il aurait pu avoir droit à un avertissement voire à un blâme. Tel n’est pas le cas. Il a été comme on dit « viré comme un malpropre » en étant jugé indigne de tout débat. Quand dans un débat on en arrive là, cette violence censée protéger le débat le tue. Pour qu’il y ait débat il faut qu’il y ait des débatteurs. Quand l’un des débatteurs est exclu, ce n’est pas simplement le débatteur qui est exclu. C’est le débat lui-même qui l’est. Il fait protéger le débat. On le protège en marquant des limites. Mais, protéger le débat ne veut pas dire le tuer. Avec l’éviction d’Alain Finkielkraut, le débat a été tué. Ce qui est l’échec du débat, la grandeur d’un débat vient de ce que, même si celui-ci est difficile voire tendu, on le maintienne. Quand l’un des débatteurs est exclu soit a priori soit au cours du débat, cette exclusion signifie l’échec du débat.  

Par ailleurs, Alain Finkielkraut n’est pas n’importe qui. Faisant partie des ténors de la vie intellectuelle et culturelle française depuis plus de quarante ans, académicien français, il a l’habitude des débats, c’est le moins que l’on puisse dire. Ayant l’habitude des débats, on ne peut pas le traiter comme s’il s’agissait de quelqu’un qui n’en a aucun sens. Or, dans le cas présent, c’est bien ce qui se passe. Si Alain Finkielkraut ne sait pas débattre, pourquoi la chaîne l’a-t-elle fait venir afin de débattre ? En outre, dans cette exclusion, il y a quelque chose de disproportionné. Pour une phrase Alain Finkielkraut a été balayé. Il a volé en éclats. En un clin d’œil, il a été purement et simplement anéanti. On a là un travers de notre époque. Quand un citoyen a commis un délit voire un crime, il a droit à un procès pour se défendre et, quand  il est condamné par la justice, au bout d’un certain nombre d’années d’emprisonnement, on considère qu’il a payé sa dette à la société. Aujourd’hui, avec le règne sans partage de l’opinion publique et l’explosion de la communication via le numérique, on a vu apparaître les réseaux sociaux. Véritables tribunaux permanents de l’humanité, ceux-ci non seulement condamnent mais condamnent à vie. Attention à ce que l’on dit. Si on n’a pas l’opinion qui plaît aux réseaux sociaux, on risque fort d’être poursuivi à vie pour ce que l’on aura dit. Platon redoutait la démocratie. Quand toutes les opinions se valent, l’opinion d’un ignorant valant celle du sage, la sagesse ne vaut plus rien. Dans notre monde démocratique, on peut être ignorant et avoir beaucoup de pouvoir. Il suffit pour cela d’aller traquer dans l’opinion  des sages des propos jugés discutables et de les mettre en avant sur le ton de la dénonciation, pour accéder à une audience parfois considérable. La culture normalement doit l’emporter sur l’opinion et non l’inverse. On juge un homme sur une vie et non sur une phrase. Dans l’explosion démocratique que nous vivons, nous assistons à un renversement. L’opinion, vaut plus que la culture et une phrase suffit pour juger d’une vie. La culture ainsi que l’art ne donnent certainement pas tous les droits. Elles ne donnent pas notamment celui de pouvoir s’affranchir de la morale. Mais, elles n’en donnent pas non plus aucun. La culture comme l’art se respectent.  Mettons nous à tout voir par le prisme de l’opinion. C’est la culture que l’on cesse de respecter.

Enfin, il y a la chaîne LCI qui  a l’art d’organiser depuis des années des débats à la fois passionnants et de qualité. Il semble que dans l’affaire Finkielkraut, elle ait quelque peu perdu son sang froid en se laissant gagner par la fièvre qui anime les réseaux sociaux. La brutalité ainsi que le mépris  ne lui ressemblent pas. Il est dommage pour elle d’en arriver là.

Les abus sexuels ou le silence qui les entourent existent aussi parce qu’il y a des gens qui pensent comme Finkielkraut. Mais que vaut-il mieux ? L’entendre et y répondre ? Ou le faire taire et laisser ces idées exister ?

Dans l’affaire Finkielkraut qui a cours actuellement, il convient de distinguer la question des abus sexuels, de celle des complices de ces abus et du procès qui est intenté à ces complices. Les abus sexuels sont aujourd’hui poursuivis pénalement. Ils ne l’ont pas toujours été. Il s’agit là d’un progrès majeur. Toutefois, depuis qu’existe la pénalisation de ces abus, on a vu apparaître une dérive. Les abus sexuels étant précédés par du harcèlement, on s’est mis à poursuivre le harcèlement. Poursuivant celui-ci, on a vu apparaître l’épineuse question de ses limites. S’il y a le harcèlement brutal parfaitement odieux et parfaitement repérable, où commence le harcèlement ? Regarder une femme, est-ce du harcèlement ? Faire une plaisanterie grivoise est-ce du harcèlement ? De plus en plus, la réponse est oui. Qui vole un œuf vole un bœuf, dit un adage. On commence par regarder une femme, puis on fait des plaisanteries grivoises. Un jour on lui met la main aux fesses etc … Aussi pour prévenir tout dérapage voit-on apparaître de plus en plus de comportements préventifs réagissant parfois vivement au moindre regard, à la moindre plaisanterie, au moindre mot jugé de travers. Résultat : un climat de crainte est en train de s’installer entre les hommes et les femmes. Aux Etats-Unis, quand on est un homme, prendre garde à ne jamais se retrouver seul dans un ascenseur avec une femme, recommande cette crainte. Qui sait si arrivé au trentième étage d’un gratte-ciel seul avec une femme dans un ascenseur, on ne va pas être poursuivi en justice pour harcèlement ! Dans ce climat de tension croissante, lorsqu’un homme complimente une femme, si certains n’y voient pas un crime, d’autres y voient le début d’un harcèlement. Est-ce vraiment du harcèlement ?  Question légitime, dira-t-on. Nullement. Si pour certains, la question mérite d’être posée, pour d’autres, le fait même qu’on se la pose est une insulte et derrière elle une complicité avec les harceleurs. À leurs yeux, sur le harcèlement, il ne doit pas y avoir de débat. Quelqu’un dit qu’il se sent harcelé. Il faut le croire et, sans aucune discussion, être d’accord avec le fait qu’il y a harcèlement. De même, un homme dit qu’il est une femme parce qu’il se sent femme. Il faut le croire également. On nous a appris par le passé qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on dit. Aujourd’hui, il faut croire tout ce qui est dit. Dans cet étrange climat plein de tensions et de suspicions qui est en train de naître, la question du complice devient une question brûlante. S’il y a ceux qui commettent des abus sexuels, il y a ceux qui les aident à les commettre par leurs propos ou par leurs silences. Ainsi, lors d’un débat, une voix s’élève pour demander ce qu’est au juste un harcèlement. Si certains pensent que la question mérite d’être posée, d’autres au contraire se récrient. Le fait même que l’on puisse mettre en doute une plainte pour harcèlement signifie un soutien aux harceleurs. Si on veut pouvoir lutter contre cette complicité, il n’y a qu’un moyen : interdire purement et simplement tout débat à propos du harcèlement, toute question à ce sujet, tout doute. D’où ce paradoxe : pour sauver la démocratie  à savoir le respect des personnes, il faut à la limite sinon interdire le débat démocratique en tout cas sévèrement l’encadrer en décidant quels débats sont dignes d’être tenus et quels autres doivent être interdits et censurés.  On a dès lors une réponse à la question de savoir s’il vaut mieux dialoguer qu’interdire. Pour l’opinion dominante actuelle, il vaut mieux interdire. En dialoguant, on combat mieux une idée qu’en ne dialoguant pas ? Qu’importe. Il faut interdire. La raison en est simple. La complicité intellectuelle et morale étant aussi grave voire plus que le délit sexuel lui-même, si on veut pouvoir y mettre fin, il n‘y a qu’un moyen : censurer, interdire. Dans le climat actuel à propos des discours, on a vu récemment apparaître un certain nombre d’expressions comme : « Ce n’est pas le sujet ». « Je ne veux pas entende ça ». Si vous continuez, je me lève ». « Pas question de débattre ». Derrière ces expressions, on trouve la posture de l’intransigeance. C’est elle qui règle les discours en leur donnant une apparence de rigueur.

En évinçant Finkielkraut, LCI semble adopter une posture morale. Mais n’est-ce pas là surtout de la communication quand on sait que cette chaîne est en recherche permanente de buzz ?

LCI dépend de son audience, qui dépend des réseaux sociaux lesquels dépendent des associations diverses qui s’y expriment et parmi elles les mouvements féministes ainsi qu’un certain nombre de mouvements de défenses des droits de l’homme. LCI a fait ses calculs. Les propos d’Alain Finkielkraut risquant de la faire apparaître comme complice de celui-ci, afin de ne pas avoir affaire aux associations féministes ainsi qu’aux associations de défense des droits de l’homme, il a été décidé par la direction d’anticiper en renvoyant Alain Finkielkraut séance tenante afin de couper court à toutes les velléités de procès intentés à la chaine. En apparence, tout est fait au nom de la morale. En réalité, tout est fait dans le cadre d’une opération de communication savamment calculée. En se montrant comme très politiquement correct, on est sûr de plaire aux réseaux sociaux. En plaisant à ces réseaux, on est sûr de durer Alain Finkielkraut est interdit de débat à cause de propos inacceptables ? Les débats vont pouvoir continuer. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !