Épidémie hors de contrôle : mais que se passe-t-il vraiment au Royaume-Uni ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Boris Johnson Royaume-Uni variant coronavirus covid-19 santé pandémie reconfinement confinement Londres
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©Heathcliff O'MALLEY / POOL / AFP

Reconfinement face au variant

Face à une flambée des cas de coronavirus au Royaume-Uni et avec la crainte du nouveau variant, le Premier ministre Boris Johnson a annoncé un nouveau confinement. Ce reconfinement national doit rester en vigueur au moins jusqu'à la mi-février.

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico.fr : Le Royaume-Uni connaît depuis plusieurs jours une forte accélération de l’épidémie de coronavirus, quels sont les éléments qui permettent d’expliquer cette flambée ? Est-ce lié à un problème d’organisation de la part du gouvernement ou à des facteurs plus structurels de l’épidémie, comme l’émergence d’un variant plus contagieux ?

Claude-Alexandre Gustave : Les causes sont probablement un cumul de mesures sanitaires insuffisantes pour obtenir un contrôle épidémique, et la diffusion d’au moins 1 variant plus contagieux.

Les mesures sanitaires ont toujours un point commun en Europe/UK : leur retard sur l’activité réelle de l’épidémie, et un objectif limité à la réduction de la tension hospitalière. Cela conduit à la mise en place de mesures inadaptées au niveau réel de circulation virale dans la communauté (la tension hospitalière ne se manifestant que tardivement par rapport à l’accélération épidémique communautaire).

Les mesures mises en place sont généralement des restrictions partielles de circulation, visant à ralentir temporairement l’activité épidémique, mais n’offrant aucun contrôle sur le long terme.

Lors du dernier confinement en date au Royaume-Uni, les écoles étaient restées ouvertes pour accueillir les élèves. Cela a probablement participé à réduire l’efficacité du confinement et à propager les nouveaux variants :

Le conseil scientifique britannique (SAGE) a publié le 17/12/2020 un avis sur le rôle des enfants dans l’épidémie de COVID (https://www.gov.uk/government/publications/tfc-children-and-transmission-update-paper-17-december-2020).

On peut y lire que les enfants (<17 ans) ont la plus forte probabilité d’être le cas index du foyer familial (c’est-à-dire être celui qui rapporte le virus dans le foyer).

Le graphique ci-dessus montre que la probabilité d’être le cas index du foyer (« relative external exposure ») est :

7x plus élevée pour la tranche 12 – 16 ans
3x plus élevée pour la tranche <12 ans
(la comparaison est faite avec les adultes : >17 ans).

Le graphique montre également que la capacité à transmettre le virus aux autres (« relative transmissability ») est également plus élevée chez les enfants : environ 3x plus élevée que chez l’adulte.

Mais les enfants restent moins susceptibles au virus, et donc plus souvent asymptomatiques, ce qui complique la surveillance épidémiologique en l’absence de dépistage systématique dans le milieu scolaire.

Cela nous amène au point B), la diffusion d’au moins 1 variant plus contagieux (variant britannique VOC-202012/01, aussi nommé B.1.1.7), voire aussi du variant sud-africain (501Y.V2, aussi appelé B.1.351).

Le variant britannique a vu sa proportion exploser parmi les souches virales en circulation, malgré la période de confinement. Cela est probablement passé par les écoles restées ouvertes.

A ce stade, difficile de dire si ce variant infecte plus intensément les enfants, ou bien s’il est simplement passé par eux parce que les écoles étaient restées ouvertes.

Les données publiées par les autorités de Santé Publique britanniques permettent de visualiser l’expansion fulgurante de ce variant dans les souches virales en circulation.

Graph reconstitué à partir des données publiées par les autorités de Santé Publique britanniques

Il faut bien comprendre que cette expansion qui « écrase » littéralement les autres souches virales, survient alors que l’épidémie est très active. Cela signifie donc que le nouveau variant est capable de se répandre beaucoup mieux que les autres souches virale malgré leur diffusion déjà importante dans la population.

Cela indique un avantage sélectif majeur pour ce nouveau variant.

Or dans la même période, l’activité épidémique s’est fortement accrue au Royaume-Uni. Ceci indique que cet avantage sélectif est une contagiosité accrue (cela n’a rien à voir avec ce qui s’était passé avec le variant espagnol B.1.1.177 durant l’été, lorsqu’il avait semblé « envahir » l’Europe. En fait, l’épidémie était au plus bas à l’époque, et cette diffusion n’était que le reflet de la mobilité des touristes revenant d’Espagne avec le variant. Il n’était pas plus contagieux, mais simplement porté par des individus mobiles, les touristes).

La plus grande contagiosité du variant britannique est également soutenue par les données de charges virales qui semblent plus élevées (plus la charge virale est forte dans les prélèvements utilisés pour le dépistage, plus l’excrétion de virus est forte, et donc plus la transmission est facile).

Lors de la RT-PCR, on amplifie l’ARN du virus par des cycles successifs de PCR. Après un nombre x de cycles, l’amplification devient détectable. Le cycle à partir duquel l’amplification est détectable est appelé « cycle seuil » ou « threshold », aussi abrégé « Ct ».

Plus le Ct est petit, plus la concentration initiale de virus (dans le prélèvement) était élevée (il faut donc un petit nombre de cycles pour l’amplifier).

Plus le Ct est grand, plus la concentration initiale de virus était faible (donc besoin de bcp de cycles d’amplification pour le détecter).

L’étude ci-dessus montre que pour les patients infectés par le variant britannique, les Ct sont plus faibles que pour les autres patients. Cela indique une charge virale plus élevée !

Cependant, on ne sait pas si lié à une production accrue de virus, ou bien si c’est un biais lié à un dépistage plus précoce pour le variant britannique (s’il induit des symptômes plus intenses, les patients pourraient aller se faire dépister plus tôt). Il faut donc interpréter cette étude avec prudence.

Le Royaume-Uni séquence de façon massive lors des tests, devrions-nous suivre cette méthode pour observer la propagation de la mutation ?

OUI ! Il est clair que nous sommes très loin derrière le Royaume-Uni ou le Danemark pour la surveillance génomique. Le graphique disponible ici montre que nous sommes au 52ème rang mondial !

Pourquoi, difficile à dire : manque de ressources, défaut de mutualisation des plateformes de séquençage, rétention des données ?

Cependant, il existe un moyen détourné de détecter ce variant, au moins partiellement.

Le variant britannique porte la délétion H69/V70 au niveau de la protéine S (« Spike » aussi appelée « Spicule »).

Certains tests de RT-PCR (environ 20 à 30% des tests RT-PCR utilisés en France), recherche 3 gènes du virus SARS-CoV-2 : gène N, gène S et séquence Orf1.

La délétion H69/V70 empêche l’amplification du gène S sur ces tests.

Les tests positifs liés à ce variant (ou tout autre variant portant la même délétion), donnent donc un profil suspect « gène N POSITIF / gène S négatif / Orf1 POSITIF). Ces cas doivent motiver un séquençage pour identifier le variant.

ATTENTION : c’est aussi un problème pour les tests antigéniques, dont certains ciblent la protéine S, et qui peuvent être faussement négatifs face à ce variant. La DGS a émis une alerte à l’attention des professionnels de santé, afin de ne plus utiliser ces tests et se limiter aux tests qui ciblent d’autres protéines du virus.

Doit-on craindre que ce qui arrive actuellement au Royaume-Uni soit un signe avant-coureur de ce qui va arriver en France, comme ce fut le cas avec la France et l’Italie lors de la première vague ? 

Je ne peux pas faire de prédiction, et je ne me prétends pas épidémiologiste. Je ne peux donc que vous faire part d’une opinion personnelle argumentée.

L’étude de séroprévalence publiée par Santé Publique France dans le BEH du 31/12/2020, montre qu’au 11/10/2020, environ 7,9% de la population aurait été infectée (depuis le début de la pandémie), soit 5 256 000 personnes.

Si on soustrait les données de la période où l’on testait très peu (jusqu’au 17 mai, avec 4,9% de citoyens infectés, soit 3 260 051 personnes), on peut donc estimer que 5 256 000 – 3 260 051 = 1 995 949 de cas seraient survenus entre le 17 mai et le 11 octobre. En réalité, ce chiffre doit être plus élevé car il est estimé sur la base de la présence d’anticorps anti-SARC-CoV-2 dans le sang des patients. Or, ces anticorps disparaissent avec le temps, donc on sous-estime probablement le nombre total de cas.

Or dans la même période, nous avons recensé seulement 734974 – 142903 = 592 071 cas par les tests de dépistage (RT-PCR et antigéniques). [source].

On voit, qu’au mieux, on ne détecte que 30% des cas réels !

Les taux d’incidence que nous utilisons pour décider de mesures sanitaires sont donc très inférieurs à l’incidence réelle des infections (environ 3x plus élevée).

Ainsi, même si on isolait efficacement tous les cas dépistés, on n’agirait que sur 30% de l’épidémie !

Les 70% restant alimentant l’accélération de l’épidémie et nous amenant inexorablement à la vague suivante.

Et l’isolement est quasi virtuel en France.

Sans oublier le contact tracing qui est totalement inefficient chez nous (car il est manuel et déclaratif, au lieu d’être numérique, et automatisé). Les cas contacts identifiés sont limités aux seules personnes que le cas index connaît ! Ainsi, il est impossible d’identifier des clusters dans les restaurants, bars, commerces, transports… car on ne connaît pas les identités des gens qui nous entourent. Il est donc impossible de les signaler à la CPAM !

C’est pour cela que l’Asie et l’Océanie utilise la téléphonie, GPS, vidéosurveillance pour identifier les cas contacts car sans ces outils on ne peut pas les détecter exhaustivement et rapidement.

En France, Santé Publique France indique que les infectés antérieurement connus comme « cas contacts » ne représentent que 20% environ des cas dépistés.

Cela signifie que 80% des cas sont issus de chaînes de contaminations non identifiées, donc totalement hors de contrôle !

Donc même  sans l’invasion par les nouveaux variants, et même sans le brassage des fêtes, une nouvelle vague épidémique est mathématiquement inévitable.

Tant qu’on ne passe pas aux stratégies de suppression virale comme l’Asie ou l’Océanie, nous sommes condamnés à subir ces enchaînements de vagues de plus en plus massives.

Quant à l’importation des variants britanniques et sud-africains, elle ne fait aucun doute (nous sommes le pays d’Europe avec le plus d’échanges avec le Royaume-Uni).

Leur expansion chez nous n’est qu’une question de temps. Mais nous aurons bcp de retard sur sa détection car nous avons très peu de surveillance génomique.

Au Danemark, qui séquence+++, ce variant à progressé de 0,2% à 2,3% des séquences virales sur les 4 dernières semaines de 2020 (x10 en 4 semaines).

Le Royaume-Uni sortait à peine d’un confinement quand la hausse des cas à eu lieu et le pays applique des restrictions assez fortes actuellement. Quelles solutions y-a-t-il encore au Royaume-Uni mais aussi en France pour limiter les effets de la pandémie ?

Toutes les mesures que nous prenons actuellement (couvre-feux +/- précoce, confinements partiels…) sont très peu efficaces.

Au mieux, seuls les confinements peuvent rapidement ralentir une vague épidémique et éviter l’effondrement hospitalier.

Le problème est qu’on lève ces confinements beaucoup trop tôt, alors que la circulation virale est encore très élevée.

Ainsi on amorce la vague épidémique suivante.

Cela correspond au « vivre avec », aussi appelé « slow burn » ou « flatten the curve ». Cela étale les cas et décès dans le temps, dans l’espoir d’éviter une submersion hospitalière, mais ne permet pas un contrôle épidémique durable

Et cela provoque un handicap économique prolongé puisque le moindre relâchement des mesures sanitaires accélère l’épidémie et amplifie la vague à venir.

Le FMI, un collectif de Professeurs d’économie suisses ont pourtant rappelé que les mesures de suppression virale étaient les plus protectrices pour la santé MAIS AUSSI pour l’économie !

Les pays dont les performances économiques sont les meilleures en 2020, sont également ceux qui ont suivi les stratégies les plus strictes face à la COVID avec des bilans sanitaires anecdotiques !

Pour comparaison, l’Occident entre dans une récession historique et présente des bilans sanitaires calamiteux :

Si on cumule les cas pour UE, Suisse, UK, USA et Canada, on compte : 25 923 291 + 452 296 + 2 662 699 + 20 636 663 + 606 076 = 50 281 025

Pour les décès : 565 559 + 7 747 + 75 137 + 351 580 + 15 879 = 1 015 902

Ceci pour un peu plus de 775 millions d’habitants.

L’Asie et l’Océanie affiche les meilleures performances économiques, et pourtant ce sont les pays qui ont appliqué les mesures sanitaires les plus strictes !

Si on cumule les cas pour Chine, Hong-Kong, Singapour, Taïwan, Thaïlande, Vietnam, Corée du Sud, Japon, Nouvelle-Zélande et Australie, on compte :

96 213 + 8 964 + 58 697 + 812 + 8 439 + 1 494 + 64 264 + 245 293 + 2 181 + 28 504 = 514 861.

Pour les décès : 4 785 + 150 + 29 + 7 + 65 + 35 + 981 + 3429 + 25 + 909 = 10 415 !!!

Ceci pour un peu plus de 1,8 MILLIARDS d’habitants.

Source : https://www.coronavirus-statistiques.com/

et

https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6

Tant qu’on ne comprendra pas qu’il faut une stratégie de suppression virale, et que la population en jouera le jeu, alors nous sommes condamnés à des années sombres.

Des milliers de scientifiques européens appellent à une telle stratégie à l’échelle communautaire mais cela semble rester lettre morte :

https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32625-8/fulltext

https://www.containcovid-pan.eu/

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