Mais qui dans la majorité aura le courage de recadrer Emmanuel Macron pour redonner un peu d’oxygène à la démocratie française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron coronavirus covid-19 plan de vaccination démocratie opposition colère
Emmanuel Macron coronavirus covid-19 plan de vaccination démocratie opposition colère
©Sebastien NOGIER / POOL / AFP

Allo François Bayrou ?

Alors que le président multiplie les signes de son déplaisir face à la gestion de la pandémie, il maintient une extrême centralisation du pouvoir tout en poursuivant l’affaiblissement des corps intermédiaires et du Parlement avec de multiples tirages au sort citoyens.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : La colère d’Emmanuel Macron rapportée dans plusieurs médias, à l’encontre de ses ministres concernant la vaccination, est-elle réelle ? Est-ce un moyen de se dédouaner de ses responsabilités ?

Christophe Bouillaud : N’étant pas bien sûr témoin direct des faits, il m’est impossible de juger de la réalité de la colère du Président, pour autant qu’un témoin puisse juger par ailleurs de ce genre de choses concernant un homme politique.

Par contre, le fait que cette colère filtre dans les médias, et qu’elle soit même mise en scène en page Une d’un journal hebdomadaire bien connu pour sa proximité avec le pouvoir en place – la Pravda, comme l’a qualifiée une journaliste anglo-saxonne bien mal intentionnée - , fait partie d’un déni de responsabilité orchestré de la part du Président. Dans le cadre de la Vème République, surtout sous sa forme actuelle « hyperprésidentialisée », aucune grande décision n’échappe à la responsabilité présidentielle. De plus, il a toujours été dit par Emmanuel Macron lui-même que la vraie sortie de crise correspondrait à la vaccination. C’est donc d’autant plus surprenant de le voir se rendre compte, ou plutôt le voir feindre de se rendre compte, que rien n’est vraiment prêt.

De fait, si, vraiment, ses ministres et leurs subordonnés administratifs sont mauvais au point de mériter sa colère, s’ils ont fait des mauvais choix, s’ils ne sont pas à la hauteur de leur tâche,  des Gamelin et non pas des Foch ou des Joffre, un Président actuel  n’aurait aucune difficulté à en changer. Il peut demander leur démission immédiate, sur le champ, sur l’heure. Il n’a même pas à craindre comme par le passé sous la IVème République un Président du Conseil en délicatesse avec l’un de ses ministres une crise parlementaire, puisqu’aucun Ministre ne représente à lui seul un parti soutenant le gouvernement. Il pourrait donc liquider les incompétents de son entourage s’il le voulait, mais par qui les remplacer ?

En effet, le problème du Président Macron est de ne pas avoir d’équipes de rechange dans son camp. Cela se voit depuis l’automne 2018. Virer les incompétents, réels ou supposés, obligerait à aller chercher de l’aide dans les deux grands camps qu’il voulait dépasser en 2017, la droite et la gauche parlementaires classiques. Je ne suis pas sûr que grand monde parmi les perdants de 2017 est prêt à aller sauver le perdant des municipales de 2020, et tout aussi probable perdant des régionales et cantonales de 2021.  En tout cas, le prix à payer pour une telle « union nationale » serait très lourd : l’ « amateur » Macron n’a sans doute guère envie d’être mis sous tutelle par les « professionnels » avant sa mise à la casse anticipée par ces derniers dès 2022 pour programmation défaillante et irrécupérable.

En choisissant de mettre en place un collectif de 35 français tirés au sort sur la question des vaccins, Emmanuel Macron est-il en train de saper une nouvelle fois les pouvoirs du Parlement ? Quel est son intérêt à ce genre d’action ?

L’idée est de reprendre à chaud ce qui se fait en matière de bioéthique depuis des années, un débat associant des citoyens ordinaires pour tâter le terrain social avant de prendre des décisions. Visiblement, il s’agit pour le pouvoir de se couvrir par rapport à une société française qu’il perçoit  comme en proie au complotisme. Il s’agit de se cacher derrière ce consensus citoyen pour permettre de prendre la décision évidente à prendre en pareil cas, à savoir vacciner le maximum de monde sans forcer cependant personne.

Sauf que là, il y a urgence. Ce tirage au sort, et la mise en place de ce collectif délibératif sur la vaccination, auraient dû être faits à l’été 2020, et les résultats déjà connus à ce jour et rendus opérationnels dès maintenant. Là, en janvier 2021, c’est du pur délire. On dirait qu’Emmanuel Macron ne croit vraiment pas lui-même à sa rhétorique de la guerre. Si, vraiment, nous en sommes en guerre contre le virus, on n’a pas le temps de demander l’avis d’un nouveau comité Théodule, aussi citoyennement correct soit-il. Ce dernier de toute façon est complètement inutile, car l’on sait bien ce qu’il faut faire dans une telle occasion. Il faut redonner confiance. Or la première chose pour redonner confiance aurait été de ne surtout pas évoquer une quelconque obligation. La vaccination doit apparaitre comme un avantage pour les vaccinés ou un acte de solidarité de leur part, et non comme une obligation qui leur est faite de la part d’un Etat largement déconsidéré ces temps-ci. Après le coup des masques (qui ne servent à rien d’abord, obligatoires ensuite), nos dirigeants auraient intérêt à se calmer sur ce genre de mesures à tonalité policière.

Pour ce qui est du Parlement, force est de constater que la majorité présidentielle a souhaité, contrairement aux vœux du Sénat, discuter le plus tard possible des mesures en cours. Les oppositions avaient réussi un petit coup de main parlementaire sur ce point, mais le gouvernement a fait revoter la Chambre des députés pour ne pas avoir à revenir avant longtemps devant les députés et sénateurs. La mise à l’écart du Parlement est effectivement une illustration de l’hyperprésidentialisme actuel. Mais, du coup, dans une logique imparable, toutes les responsabilités se concentrent en un seul homme : Emmanuel Macron lui-même.  Et il ne lui reste plus qu’à se mettre en colère contre les hommes et les femmes sans qualités qu’il a lui-même choisis.

Qui sont les garde-fous du président ? Dispose-t-il de proches ou de conseillers capables de le faire changer de trajectoire politique et de le recadrer quand cela est nécessaire ?

D’après ce qui sort dans la presse et de ce que l’on sait de la constitution du « macronisme » comme entreprise politique depuis 2015, je doute qu’il y ait beaucoup de gens capables autour d’Emmanuel Macron de lui servir de garde-fou. Ils sont tous ses obligés par la belle carrière qu’il leur a offerte depuis 2017 en dépit de leurs espérances limitées au départ dans leurs partis respectifs, ou des personnes qui lui ressemblent bien trop par leur formation pour pouvoir lui rappeler certaines réalités.

 Et d’ailleurs, qui a recadré Emmanuel Macron et ses ministres sinon la presse ! Et tous ceux qui se sont exprimés, plus ou moins vertement, sur la lenteur incroyable des vaccinations ? En somme, l’opinion publique au sens noble de l’expression d’usage public de la raison.

Après, il est possible qu’Emmanuel Macron ait bien conscience que les services de l’Etat, les Agences régionales de santé en particulier, ne répondent plus ou pas aux demandes que le pouvoir exécutif leur fait, mais qu’a-t-il fait alors pour renverser la table depuis le printemps 2020 ? Pour leur donner plus de moyens ? Pour se débarrasser des administratifs incompétents ? Sommes-nous vraiment en guerre ? Savons-nous « limoger » ceux qui ne sont pas à la hauteur de leur grade ? Savons-nous donner aux opérationnels les moyens qu’ils réclament ?

Jusque-là, la stratégie d’Emmanuel Macron était de ne rien changer de fondamental aux politiques publiques, en espérant le retour à la normale par la grâce du vaccin. Cela a justifié par exemple de laisser l’Education nationale ou les Universités sans personnel supplémentaire pour dédoubler les cours. Maintenant, si l’on n’est même pas capable dans la France d’Emmanuel Macron de s’organiser pour vacciner massivement, ou même d’expliquer simplement ce qu’on veut faire sur ce point sans changer tous les jours de stratégie tout le niant hautement, le retour à la normale risque d’attendre longtemps.

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