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opposition emmanuel macron démission colère des citoyens
opposition emmanuel macron démission colère des citoyens
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Corinne Lhaïk publie "Président cambrioleur" aux éditions Fayard. Emmanuel Macron se plaint souvent de ne pas être compris. Ce livre est une enquête critique au coeur de son parcours, de sa manière de gouverner. Ce président cambrioleur, on l’admire plus qu’on ne l’aime. On le hait plus qu’on ne le déteste. Extrait 2/2.

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk est journaliste. Après avoir dirigé le service politique du magazine L’Express, elle rejoint la rédaction de L’Opinion en janvier 2020. Elle suit le parcours d’Emmanuel Macron depuis 2011.

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La haine, comme l’amour, ne se mesure pas, ne s’explique pas. Elle se constate. Pour Emmanuel Macron, elle mijote tout au long de l’année 2018, elle explose en décembre. Des Français haïssent ce président et sa femme au point de vouloir les tuer. Les slogans, les banderoles, les effigies brûlées ne sont pas tous de purs symboles. Elle, c’est Marie-Antoinette, et lui, Louis XVI. Le surmoi de ce pays est monarchiste et régicide, Macron lui-même l’a dit et écrit.

La haine se reçoit comme un paquet de mer dans la figure. Le mardi 4 décembre, Emmanuel Macron est de retour à Paris. Il revient du Puy-en-Velay. Le samedi d’avant, à Paris, l’Arc de triomphe est saccagé, le quartier alentour mis à sac ; la préfecture de Haute-Loire est incendiée, on veut faire griller ses occupants comme des poulets. Le président de la République est venu dire son soutien. Sa voiture est poursuivie par des gilets jaunes. Si elle avait été rattrapée, il aurait été lynché.

Ce mardi soir, le chef de l’État reçoit Richard Ferrand. Le président de l’Assemblée nationale est choqué par les images du véhicule présidentiel traqué, une meute à ses trousses. Il comprend qu’Emmanuel Macron aimante la haine, c’est un air minoritaire, mais bruyant, puissant. Comme souvent, Macron tempère, il n’a pas envie de dire qu’on le hait, il en fait une affaire générique – c’est la fonction qui veut ça – et marginale : « Ce que les gens n’ont pas vu, c’est que j’ai aussi beaucoup parlé avec d’autres personnes. C’est comme ça », confie-t-il à Ferrand.

Le 1er décembre, Emmanuel Macron avait tweeté pour condamner le déchaînement des violences. Il se trouve alors en Argentine pour le G20. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, l’accompagne. « Il était secoué, même s’il n’en laissait rien paraître, témoigne-t-il. Il était lucide, il savait ce qu’il se passait. »

Rentré en France, le président vide son agenda, plus de Serbie, pas de Maroc. Et se tait. On s’interroge sur cette absence de son. Le jeudi 6 décembre, Macron sonde Ferrand. Doit-il intervenir ? Le Breton fait dans l’explicite. « Tu la fermes jusqu’à dimanche. » Macron est un irritant, il doit prendre acte que son silence est plus nécessaire que sa parole. L’intéressé acquiesce. « Je vais le dire, il faut que cela se sache », conclut Ferrand.

Et le voilà qui parle pour dire que Macron ne va pas parler. Il appelle l’AFP et la dépêche tombe le vendredi à 5 heures du matin. « Après différents échanges et un tour d’horizon, le président, lucide sur le contexte et la situation, ne souhaite pas mettre d’huile sur le feu et par conséquent n’a pas l’intention de s’exprimer avant samedi. »

À chaque crise, ses risques. « Pendant le confinement, il y a eu une montée en violence, le risque de passage à l’acte a progressé, constate Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur jusqu’en juillet 2020. J’en ai parlé avec le ministre de l’Intérieur allemand : chez eux, le terrorisme vient de l’extrême droite. Chez nous, c’est l’islam mais depuis quelque temps, il y a un risque de radicalisation de l’ultra-droite. »

La haine anti-Macron est une donnée politique inédite. « On ne peut pas la mesurer de manière objectivée », explique l’homme de l’art, Jérôme Fourquet, politologue, directeur à l’IFOP. Son ouvrage, L’Archipel français, est devenu le livre de chevet de l’élite qui veut comprendre le pays. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports, fait partie de ses lecteurs. « Au-delà de son analyse sur l’archipellisation de la France qui consisterait à ce que des populations vivent à l’écart les unes des autres sur un même territoire, j’ai trouvé particulièrement intéressant ses écrits sur le mythe de l’homogénéité, dit-il dans L’Opinion. Fourquet montre qu’un des défis français sera la capacité à (re-)lier entre elles des fractions du peuple qui sont d’ores et déjà “séparées” sur le plan socioculturel. »

Aujourd’hui, Fourquet puise encore dans cette grille de lecture sociologique pour décrypter la haine. « François Hollande avait une popularité inférieure à celle d’Emmanuel Macron, explique-t-il. Dans son cas, le rejet était plus marqué par le mépris et la condescendance, la comparaison avec le pingouin, la cravate de travers, l’épisode du scooter, l’affaire Leonarda. Il en sortait l’image d’un président normal, pas à la hauteur. Avec Nicolas Sarkozy, l’opposition était radicale, peut-être avec de la haine, mais elle était en partie politique. C’était la droite contre la gauche, l’homme du Kärcher, le ministre de l’Intérieur de la peur. C’était encore de nature politique, même s’il y avait de l’affect dans tout ça. Avec Macron, on est passé à autre chose, on est dans un clivage peuple d’en haut, peuple d’en bas. » La sociologie a remplacé la politique.

Il fut un temps où « le peuple d’en bas » plaçait de l’espoir dans ce fringant jeune homme. Le 16 janvier 2016, il est ministre de l’Économie et inaugure les bus électriques d’une usine Bolloré, à Quimper, en compagnie de Vincent Bolloré et de l’ancien maire de la ville, Bernard Poignant. Il va au-devant de tout le monde dans l’usine, prend le temps qu’il faut. Il adore. Il déambule, se fait interpeller : « Viens là Macron, c’est toi l’avenir », lui disent des syndicalistes. Ils font des photos avec lui. Dans son speech, il leur a parlé de Bernanos.

Quatre ans plus tard, en février 2020, l’IFOP et la fondation Jean-Jaurès publient une étude. La popularité de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande sont assez homogènes selon les catégories sociales. On les aime ou on les déteste à peu près de la même manière que l’on soit cadre ou ouvrier : à peine un point d’écart.

Avec Emmanuel Macron, cet écart est de quinze points. « Il y a une haine de classe qui ne s’adressait pas à Sarkozy, poursuit Jérôme Fourquet. Son côté bling-bling, sa façon de s’exprimer ne renvoient pas à la même morgue sociale qu’Emmanuel Macron. À son corps défendant, il incarne l’élite, phénomène aggravé par son jeune âge et son côté fort en thème qui a tout réussi. Une tête bien faite qui brûle les étapes, le premier de la classe qui sait qui il est. »

À plus de cinquante ans quand il devient président, Nicolas Sarkozy a accompli le cursus honorum de la politique classique. Il a souffert, gagné, perdu, il fréquente des notables, il parle mal l’anglais. Il ne connaît pas tellement mieux les gens que Jacques Chirac ou François Hollande, mais ces prédécesseurs de Macron ont un alibi commun : ils peuvent aligner des heures de permanence, de meeting, de campagne. Ils en ont vu défiler, des Français !

La France de Macron ressemble à un millefeuille et les macronistes incarnent la couche supérieure du gâteau, lisse et sucrée, comme la vie qu’ils sont censés mener. Elle ne rencontre jamais les couches d’en dessous, le peuple ne fréquente pas le bourgeois, le populo et les bobos font chambre à part. Ce n’est pas nouveau, mais la politique qui pouvait créer du liant – la droite avait ses ouvriers et la gauche ses mangeurs de caviar – ne joue plus ce rôle.

Deux hommes, l’un dans la haine de Macron, l’autre dans l’amour, croient que la lutte des classes ordonne la vie publique. Il ne faut pas le leur dire, ils pensent n’avoir rien en commun. Le premier est François Ruffin, député de La France insoumise. Il est l’auteur de pamphlets anti-Macron, qui lui permettent au passage d’insister sur sa gémellité avec le président de la République. Tous deux sont natifs d’Amiens, tous deux passés par l’établissement privé La Providence, tous deux viennent de la classe sociale intermédiaire.

Lui, Ruffin, a fait le choix de quitter son camp, c’est ce qu’il dit. Il reproche à Macron d’être « le produit d’une ségrégation sociale, hors du peuple, loin du peuple, et maintenant contre le peuple », écrit-il dans Ce pays que tu ne connais pas. Délit de classe, délit de sale gueule. « Votre tête ne me revient pas », assène-t-il, « ce rejet, physique, viscéral, nous sommes des millions à l’éprouver. C’est désormais un fait politique. Pourquoi ? D’où ça vient ? Vous exhalez une classe. Vous portez en vous une suffisance qui suscite chez le commun, chez moi, chez nous, à la fois respect et révolte ». Respect et révolte, drôle de mélange.

Le second personnage s’appelle François Bayrou. Il a commencé comme Ruffin, révolté par « l’homme d’argent » qu’était Macron, jusqu’à ce que le respect l’emporte. « J’ai cru au portrait que l’on faisait de lui : technocrate, énarque, inspecteur des finances, banquier d’affaires », dit le président du Modem devenu un précieux allié du président de la République. « Il est très différent de l’image que j’avais, il est simple, voué à sa fonction. Depuis Mitterrand, aucun président ne connaît aussi charnellement la France que lui. Quand on lui parle du Morvan, de la Gascogne, des monts du Lyonnais, il en sait l’histoire et la géographie. » Devinette : sachant qu’Emmanuel Macron et François Bayrou se téléphonent chaque jour, au bout de combien de conversations téléphoniques le député de La France insoumise passerait-il de la révolte au respect ?

Certains tatouages s’effacent difficilement. Un passage par la banque Rothschild vous marque en politique. Aujourd’hui plus qu’hier : deux présidents de la République, Georges Pompidou et Emmanuel Macron, sont passés par cet établissement. Pompidou, c’était une autre époque, un président pouvait être photographié cigarette au bec, rouler en Porsche, fréquenter les beautiful people de son temps. Personne n’y trouvait à redire.

« Georges Pompidou a travaillé avec mon père Guy pendant plusieurs années », raconte David de Rothschild. « Lorsqu’il est devenu président de la République, leur relation n’a pas changé : une amitié profonde et naturelle, sans ambiguïté. À cette époque, évidemment, on ne connaissait pas le mot “Internet” ».

La relation entre leurs successeurs est réelle, mais discrète. Mais que Macron se balade sur les Champs-Élysées en compagnie de David de Rothschild ou pas, l’affaire est réglée : il est le président des riches qui a aboli l’ISF pour faire plaisir à ses anciens patrons et autres. Ce voisinage en induit un autre, plus insidieux. « Un jour, on me demande si Emmanuel Macron est juif, raconte Bernard Poignant. Je réponds que non. On me répond : “Même pas un peu ?” »

Poignant connaît les vies de président. Il était conseiller de François Hollande à l’Élysée, il sait qu’un chef d’État peut passer sept ou huit heures d’affilée au téléphone avec ses homologues étrangers, que deux jours à Bruxelles pour les affaires européennes vous enferment dans une bulle. Qu’il faut renouer ensuite avec le quotidien français. Il connaît bien les socialistes, il a fait son parcours au sein du PS. Et n’avoir jamais souffert dans sa vie politique est insupportable pour les enfants et petits-enfants de François Mitterrand.

Pour beaucoup de Français aussi. Les leçons du premier de la classe ne sont pas audibles. Il a du mal à les convaincre qu’il comprend leurs problèmes. On ne peut pas se déguiser, Macron n’a pas connu la fin du mois qui commence le 9. Il est jeune, beau garçon, riche et doué, il a réussi son couple, il n’a pas de cicatrices. Il reprend le refrain de ceux qui veulent réformer pour faire le bien des autres. Il touche le bac, les retraites, la santé, l’assurance-chômage. Il dit qu’il veut préserver le modèle social français, pour le bien de tous. Ceux qui ont peur de perdre leur boulot, qui n’ont pas les moyens de payer l’EHPAD de leurs parents et le mariage de leurs enfants, ont du mal à l’entendre.

Comment s’identifier à ce président ? Mitterrand aimait les mets délicats et les femmes. Il avait des enfants. Jacques Chirac aimait la bonne bouffe et les femmes. Il avait des filles. Nicolas Sarkozy aime le chocolat et les femmes. Il a eu un bébé avec Carla Bruni. François Hollande aime bien manger et les femmes. Il est parent, avec Ségolène Royal.

Emmanuel Macron aime sa femme, Brigitte. La belle histoire d’amour fascine. Elle réveille aussi de vieux réflexes, cachés au fond des cerveaux reptiliens. Le couple Macron est transgressif. Il est rebelle à l’ordre le mieux établi, celui de nature. Ces Don Juan défient la loi la plus sacrée, celle de l’âge. Elle a vingt-quatre ans de plus que lui. Elle est court vêtue. Vous en voyez beaucoup des sexagénaires en minijupe ? Elle n’a jamais été son professeur de français, elle lui a donné des cours de théâtre, la France de la fin du XXe siècle, celle de leur rencontre, n’est plus le pays qui a tué Gabrielle Russier, mais… leur relation commence entre une adulte et un mineur. Quelque chose qui dérange certaines hiérarchies.

« L’époque est à la psychologie, notamment dans les milieux populaires, constate Jérôme Fourquet, on parle couramment de complexe de Narcisse. Les gens considèrent que ce qui se dit officiellement, c’est de la com’, juste de la mousse, que la vérité vient de la vie personnelle ; c’est elle qui permet d’approcher la réalité. » La cravate de François Hollande (de guingois), la gifle de François Bayrou (donnée à un môme qui lui avait fouillé les poches), les relations avec l’autre sexe sont des indices plus regardés que les programmes et orientations idéologiques.

Chez Macron, ces clignotants disent : il n’est pas comme nous. Le message non verbal émis par ce président et son équipe est bourré de testostérone. Napoléon affirmait que les hommes dorment six heures, les femmes sept, et les imbéciles huit. Macron ne prend même pas six heures de sommeil. C’est donc un surhomme. François Mitterrand s’échappait de ses journées, sa liberté intime était de maîtriser son temps. Macron n’en est pas propriétaire. Différence de personnalité et d’époque.

Ce président a un côté métallique, sans faiblesses apparentes, dans la maîtrise permanente. Son goût du théâtre, nécessaire pour l’asseoir dans la fonction, devient un handicap. Il joue beaucoup et souvent mal. Sa voix ne l’aide pas, qui s’envole dans les aigus, ou descend dans les graves, de manière surfaite. La crise de la Covid-19 est cruelle. Elle montre un président perdu dans les hauteurs churchilliennes, parlant de guerre alors que les munitions font défaut. Son Premier ministre, Édouard Philippe, explique qui va reprendre l’école, le bus et le travail, quand et comment. Ce que les Français attendaient.

« La séduction, l’habileté de Macron suscitent de la méfiance, analyse Jérôme Fourquet, les gens se disent : “Il va nous la faire à l’envers.” Certains ont le sentiment qu’il jouit du pouvoir, qu’il trouve une certaine satisfaction à affronter la situation. Ils disent : “Putain, il s’aime bien”, et ils ajoutent : “J’peux plus.” Avec Nicolas Sarkozy, c’était : “Je le déteste.” »

Emmanuel Macron présente lui-même sa vie comme un roman. « En réalité, je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque : cela ne se résume pas en formules, mais c’est bien cela le cœur de l’aventure politique, dit-il à La Nouvelle Revue française, en avril 2018. En somme, on est toujours l’instrument de quelque chose qui vous dépasse. »

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Notre interview avec l'autrice : "Emmanuel Macron aime les crises : elles lui permettent, pense-t-il, de faire valoir ses qualités d’audace et de courage"

Extrait du livre de Corinne Lhaïk, "Président cambrioleur", publié aux éditions Fayard

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