Les e-scooters et autres trottinettes électriques sont-ils une bonne affaire pour l’environnement (et pour les entreprises qui les louent ) ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
trottinettes
trottinettes
©Thomas SAMSON / AFP

Moyen de transport idéal pendant la crise du Covid ?

Les trottinettes et les scooters électriques en libre service sont massivement déployés dans les villes. Ces modes de transport sont-ils viables économiquement ? Leur bilan carbone est-il respectueux de l'environnement ?

Anne  de Bortoli

Anne de Bortoli

Anne de Bortoli est ingénieur en génie urbain et docteur en transport. Ses travaux de recherche portent sur l'évaluation environnementale et durable des systèmes de transport, par le biais de modèles quantitatifs.

Voir la bio »

Atlantico.fr : Les trottinettes et les scooters électriques en libre service sont de plus en plus nombreux. Qu'est ce qui a mené à cette augmentation, notamment pendant la crise du covid ? Quels sont les avantages à les utiliser ? 

Anne de Bortoli : On estime qu'il y avait entre 20 et 40 000 trottinettes électriques en libre-service à Paris, mis en service par 12 opérateurs, à l'été 2019. Aujourd'hui, la ville a limité le nombre d'opérateurs à 3 et le nombre de trottinettes par opérateurs, à l'instar de nombreuses autres villes (Lyon, 2 opérateurs, 3500 trottinettes par opérateur). D'autres villes les ont interdites. Nous ne sommes sans doute plus au "pic d'activité" des trottinettes en free-floating du fait des nombreuses régulations mises en place au cours de l'année écoulée, mais en effet la chute d'activité liée à la régulation et à l'engouement face à la nouveauté qui est retombé a laissé place à un rebond lié à la crise sanitaire. Dans les grandes villes, il y a une réticence à fréquenter les transports en commun, particulièrement aux heures de pointe, de peur d'être contaminé. D'où un rebond d'utilisation des véhicules individuels, voiture particulière comme microvéhicules (trottinettes, vélos, scooters). En dehors des conditions exceptionnelles liées à la pandémie, de plus en plus d'usagers se tournent vers la micromobilité car elle permet de s'affranchir des inconvénients des transports en commun et de la voiture en ville : d'un côté la promiscuité avec autrui et les incidents techniques, de l'autre la congestion routière. Les vitesses urbaines atteintes en deux-roues sont excellentes à Paris. D'ailleurs, notre enquête auprès des usagers  des trottinettes partagées et personnelles à Paris menée à l'été 2019 a mis en évidence deux facteurs d'attractivité particulièrement forts: le gain de temps mais aussi l'aspect ludique. L'aspect environnemental ne ressort pas du tout.

Ce moyen de transport électrique est souvent présenté comme un moyen de mobilité douce plus respectueux de l’environnement, mais son bilan carbone est plus élevé que ce qu’on pourrait penser, à quoi est-ce dû ?

Comment se situent les trottinettes  et scooters électriques par rapport aux autres moyens de transport ? J'ai estimé que les trottinettes de première génération émettaient autour de 110 grammes de CO2 équivalent par kilomètre parcouru, en faisant un calcul sur cycle de vie complet, i.e. de l'extraction de matières premières à la fin de vie, en passant par la manufacture de la trottinette, son transport, son usage et son entretien. Ces émissions étaient à 50% dues à la manufacture de la trottinette (principalement du fait de l'aluminium et ensuite de la batterie et des composants électroniques), et à 50% liée à la gestion de flotte pour la recharge et l'entretien (des vans diesel faisant des allers-retours entre la ville et l'entrepôt en banlieue). Aujourd'hui, les trottinettes sont plus robustes, la gestion de flotte a été améliorée, et on peut espérer un meilleur bilan. Je vais bientôt finaliser un modèle d'évaluation environnementale des trottinettes de 2eme génération, spécialement conçues pour les usages partagés. Je dirais qu'on devrait avoir un impact autour de 60g de CO2eq/km. Le problème, c'est qu'il est difficile d'obtenir des données fiables, notamment sur la durée de vie des trottinettes. C'est le point faible des microvéhicules partagés, les opérateurs le savent, mais n'ont pas d'obligation de prouver la durabilité mécanique de leurs engins. Les municipalités devraient faire la demande de tests de vérification par une tierce partie.

Les trottinettes et scooters électriques sont-ils viables économiquement ? 

Pour les trottinettes électriques, la course au leadership sur le marché qui a mené à l'explosion de l'offre d'abord aux USA puis en Europe et en France était liée au besoin de conquête de marché pour permettre ensuite, à quelques acteurs, de rendre le modèle économique rentable. Les trottinettes de première génération ne devaient pas être rentable du fait de leurs courtes durées de vie. La question des scooters électriques est un peu différente: le coût d'utilisation est plus élevé, ce qui s'explique par une vitesse commerciale également plus élevée que la trottinette. L'usager est prêt à payer pour gagner du temps. Côté coûts des opérateurs, nous sommes sur des véhicules qui présentent de plus longues durées de vie, de l'ordre de 50 000 km, et donc potentiellement plus faciles à amortir.

Y-a-t-il des solutions pour les rendre plus écologiques et plus rentables ? 

Elles sont nombreuses: éco-conception de la trottinette (optimum entre coûts environnementaux des matériaux utilisés et durée de vie pour minimiser l'impact au kilomètre parcouru sur durée de vie), optimisation de la gestion de flotte (véhicules électriques type van à remorque ou vélos cargos, batteries amovibles), optimisation de l'entretien (multi-recyclage des pièces récupérables, auscultation régulière), prévention contre le vandalisme et le vol, gestion de la fin de vie vertueuse et transparente.

J'ai réalisé une étude sur l'impact environnemental des trottinettes, vélos et scooters partagés, que je compare à leurs homologues personnels. L'article est en processus de publication. Ce qu'il montre, c'est que :

  • le paramètre important de la performance environnementale de ces modes, privés comme partagés, est la longévité kilométrique. On peut avoir les mêmes longévités kilométriques si les usagers sont respectueux et les véhicules partagés bien conçus. A l'inverse, on peut n'utiliser son vélo ou son scooter que, respectivement, quelques centaines ou milliers de kilomètres. Dans ce cas là l'impact environnemental du microvéhicule est plus important que s'il avait été mutualisé

  • la performance environnementale des micromobilités électriques se situe généralement entre les transports en commun + les modes actifs, et les modes thermiques

  • La performance des microvéhicules est variable (selon la conception des véhicules, leur entretien, la gestion de flotte), mais aujourd'hui celle des scooters électriques partagés semble être meilleure que celle des trottinettes électriques partagées car on estime des durées de vie d'environ 50000km pour les scooters, contre plutôt 7000 km pour les trottinettes. Selon ces hypothèses, on a un impact d'environ 30gCO2eq/km pour le scooter électrique partagé et 55gCO2eq/km pour la trottinette partagée de 2eme génération. Encore faut-il qu'on atteigne vraiment les 50 000 et 7000 km. Aujourd'hui les flottes de scooters partagées sont encore jeunes, et on a peu de recul sur le sujet.

  • Mais le meilleur mode de transport en ville, qui allie vitesse et respect environnemental global, reste encore le vélo (si possible en acier, plus lourd mais 10x moins impactant que l'aluminium !), plutôt personnel et plutôt sans assistance électrique. Surtout si vous avez un régime végétarien et local (le coût carbone de la calorie brûlé peut être 5 ou 10 fois inférieur avec un tel régime). Comme les niveaux d'activité sportive préconisés par l'OMS ne sont pas atteint en Union Européenne et en Amérique du Nord, le vélo est à la fois bon pour la planète et bon pour notre santé !

  • Notons tout de même qu'une trottinette utilisée sur un grand kilométrage sur sa durée de vie, par exemple 15 000 km, peut avoir un impact carbone très faible, de l'ordre de 10-20gCO2eq.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !