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Existerait-il des complotistes sans comploteurs ?
©WILLIAM WEST / AFP

La germination des mots

La perte de confiance d’une population envers ses dirigeants est mère de tous les complots. Ainsi, le mensonge concernant les masques sanitaires a durablement fracturé la crédibilité de tout un gouvernement.

Jean-Pierre Marongiu

Jean-Pierre Marongiu

Jean-Pierre Marongiu est écrivain, conférencier, ingénieur, expert en Management et Directeur général et fondateur du thinktank GRES : Groupe de Réflexions sur les Enjeux Sociétaux.Perpetuel voyageur professionnel, il a parcouru la planète avant de devenir entrepreneur au Qatar où il a été injustement emprisonné près de 6 ans, sans procès. Il a publié plusieurs romans et témoignages dont : Le Châtiment des Elites, Qaptif, InQarcéré, Même à terre, restez debout ! Aujourd'hui conférencier et analyste societal, il met son expérience géopolitique au service d'une approche libérale-souverainiste de la démocratie.

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La germination des mots, à savoir l’ensemble des phénomènes sociétaux par lesquels un mot se développe et donne naissance à un sens nouveau, voire à un autre mot, est-elle un signe des temps, une dérive ou la conséquence de l’avènement du contre-pouvoir multiforme que représentent les réseaux sociaux ?

Le confinement bien évidemment, est un mot à la germination fulgurante et au sens modifié. Qui aurait pu imaginer que cet état d’enferment quasi intime, pouvait s’appliquer à une population complète, plus que cela à un tiers de la population mondiale ?

Les groupes de mots, eux aussi, germinent, prenons l’exemple de la liberté d’expression. A priori, le terme de liberté ne s’accommode pas de limitation, pas davantage que celui d’expression, pourtant l’association des deux donne lieu à des amoindrissements de leurs territoires en fonction de l’environnement, du lieu sociétal où s’exerce ce droit et plus encore en fonction de l’époque.

Si nous nous en tenons à ces deux seules expressions sémantiques, confinement et liberté d’expression, et si nous poussions la curiosité jusqu’à les associer, nous obtenons alors une germination curieuse.

Confinement et liberté d’expression ont donné récemment naissance à deux fruits n’appartenant pourtant pas à la même branche, pas même au même arbre : Complotiste et Comploteur.

En vérité, seul le mot complotiste a fleuri instantanément d’un bourgeon bienveillant celui de rassuriste. Les termes de négationniste et de collabo trouvant, eux, une deuxième naissance, mais finalement pas de modification sensible depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Ce n’est qu’avec le documentaire Hold Up de Pierre Barnerias que la germination se ramifie pour accoucher de comploteurs. Il fallait s’y attendre, les contraires s’attirent et s’aimantent sans doute parce qu’ils s’autojustifient.

À trop crier au loup, celui-ci arrive, à trop crier aux complotistes les comploteurs sévissent.

Le complot, le mot en tous cas, a eu ses heures de gloire durant la Révolution française.

À partir de la fuite avortée de Louis XVI à Varenne, en juin 1791, la Révolution s'accélère et les accusations de complots fusent, de plus en plus nombreuses et variées aussi sottes et grenues que fondées parfois. Les conservateurs auront beau chercher des raisons politiques à la fuite du Roi, soutenir qu’il a été enlevé… l’opinion publique refuse d'y croire. Les thèses du complot fleurissent.

Personne n’est épargné par les complotistes, les aristocrates, le clergé, mais aussi le nouveau pouvoir, l'Assemblée nationale également.

Mais si les complotistes rallient le plus grand nombre et gagnent en crédibilité, c’est que le complot originel est démontré : le Roi s’est bel et bien enfui, dans le plus grand secret, afin d’organiser la contre-révolution avec l’aide de l’étranger.

La confiance est rompue et c’est bien de cela que se nourrissent les théories du complot.

Quelques députés épars continueront de défendre l’idée d’une monarchie constitutionnelle, mais ils perdront de l’influence avant de perdre la tête sous la pression des complotistes et l’abolition de la monarchie sera inéluctable.

La fuite avérée de Varenne a suscité des vocations. Les chasseurs de complots se multiplient comme les cueilleurs de champignons qui ramassent tout et n’importe quoi et qui inévitablement jettent le panier regorgeant de vénénosités.

Quand un mensonge d’état éclate au grand jour, cela constitue pour l’opinion publique la preuve de l’existence de tous les complots et pire, que des comploteurs se cachent dans les arcanes du pouvoir.

La perte de confiance d’une population envers ses dirigeants est mère de tous les complots.

C’est l’épisode de Varenne qui a mis à mal la confiance du peuple, comme le mensonge concernant les masques sanitaires a fracturé la crédibilité de tout un gouvernement.

Les médias balbutiants en 1791, quelques feuilles de papier polycopiées et à des déclameurs de tavernes s’emparent de l’aubaine. Puisque les chasseurs de complots se passionnent pour la moindre rumeur, il convient de leur en vendre.

À la Convention, Marat, dénonce sans relâche les complots. Dans l’Ami du peuple, il écrira, avant d’en être lui-même victime, une phrase d’une modernité prophétique :

  • Les complots et les conspirations se multiplient d’une manière effrayante. À peine s’écoule-t-il huit jours sans quelque explosion nouvelle. Tant que les conjurés ne seront pas abattus, les conjurations n’auront point de terme, et à force de tramer contre la liberté publique, ils parviendront enfin à l’anéantir.

Sur l’arbre à Covid, les complots fleurissent. Mais qui donc a planté la première graine ?

La graine minuscule d’un mensonge d’État a germé, bien au chaud sous un masque, puis a généré un arbre qui est devenu une forêt.

Il y avait bien un complot quelque part, puisqu’au plus haut niveau de l’état on a menti puis échafaudé d’autres mensonges, de plus en plus gros, pour dissimuler la jeune pousse. Et ainsi de suite, il s’est développé une germination exponentielle accouchant d’une quantité incontrôlable de comploteurs.

Alors forcément, les complotistes ont bien raison de remuer la terre sur des hectares pour y dénicher quelques truffes. Parce que des truffes, même rares, en grattant bien, on finit toujours par en trouver.

Parfois, il n’est pas même besoin de gratter longtemps, des perles de complots improbables semblent affleurer obscènement du sol discréditant les véritables conjurations.

Les relations d’amour et de haine entre complotistes et comploteurs ont une dimension quasi mystique dans l’irrationalité au point que l’on peut raisonnablement s’interroger s’ils n’appartiennent au même camp, tant leurs objectifs sont similaires.

L’Histoire de notre civilisation a toujours connu les uns comme les autres donnant l’occasion à quelques hommes providentiels d’asseoir leurs légendes. Machiavel, Tocqueville, Disraeli, Alexandre Dumas ont probablement écrit leurs plus belles pages de théories complotistes en s’appuyant sur des complots avérés.

Dénoncer les complotistes comme le fit Cicéron dans ses Catilinaires, une série de discours prononcés en 63 av. J.-C., alors qu’il était consul, pour mettre en lumière la conjuration bien réelle de Catilina contre la République romaine n’était-ce pas également un complot afin de prendre le pouvoir ?

L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et son épouse le 28 juin 1914, à Sarajevo est l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale. Mais qui peut être vu comme un complot pour refonder le monde. Cet attentat eut notamment pour conséquences la chute des empires austro-hongrois, allemand, russe et ottoman, la formation de l’URSS, mais fut également la justification de la Deuxième Guerre mondiale et de l’holocauste. Les complotistes devenant eux-mêmes des comploteurs et vice versa.

L’histoire regorge de comploteurs, de théoriciens du complot et de leurs adorateurs respectifs. À l’aulne de la communication universelle des réseaux sociaux, comploteurs et complotistes ont atteint une germination universelle.

S’interroger sur l’existence des uns par rapport aux autres, c’est vouloir connaître qui de la poule ou de l’œuf… complota le premier.

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