Police - gendarmerie : quelle répartition optimale pour garantir la sécurité sur le territoire national ? <!-- --> | Atlantico.fr
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livre blanc sur la sécurité intérieure policiers gendarmes Gérald Darmanin
livre blanc sur la sécurité intérieure policiers gendarmes Gérald Darmanin
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Livre blanc

Gérald Darmanin s'est exprimé dans les médias sur les axes du livre blanc de la sécurité intérieure. En concertation avec les élus, un redécoupage des zones dédiées à la gendarmerie et à la police est envisagé. L'ancienne séparation entre les zones rurales et les zones urbaines serait remise en cause.

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Atlantico.fr : Monsieur le ministre de l'intérieur parle dans son interview au Parisien de ce week-end d'une  "mauvaise répartition entre police et gendarmerie sur le plan national". Le sujet de l'organisation territoriale des forces de sécurité est directement remis sur la table par le ministre et semble créer une inquiétude dans les rangs. Comment interpréter cette annonce politique au moment de la parution du livre blanc de la sécurité intérieure ?

Général Bertrand Cavallier : Le livre blanc sur la sécurité intérieure vient d’être diffusé. Il synthétise les réflexions de hauts fonctionnaires représentant les différentes composantes du ministère de l’intérieur.  Ses conclusions ouvrent un nouveau champ de réflexion dans le domaine de la sécurité et notamment sur la question très centrale des  critères de compétences territoriales entre la gendarmerie et la police.

J’observe qu’il y a une différence entre le LBSI et la communication du ministre. Ce dernier, part du postulat d’une « mauvaise répartition entre la police et la gendarmerie sur le plan national » et s’appuie sur l’exemple très symbolique de Toulouse et de son agglomération : «  dans l'agglomération de Toulouse, il y a quatre villes sous l'autorité de la police, et tout le reste de la zone, très urbanisée, sous le contrôle de la gendarmerie ».  Il affirme qu’« il faut sans tabou aller vers une organisation plus efficace »,  en évoquant la notion de «  bassin de délinquance comme ceux autour des transports en commun ou des axes autoroutiers  ».

Or cette référence au bassin de délinquance ne reflète pas les propositions formulées dans le paragraphe 1.1.3. «  Définir une méthode claire et pertinente pour partager sur le territoire les compétences de la police et de la gendarmerie », qui stipule que « la délinquance ne peut suffire pour départager l’adéquation de telle ou telle force de sécurité à un territoire dans le sens où elle est la traduction d’une activité qui dépend essentiellement de l’action et de la présence des forces de l’ordre, ainsi que des modalités d’enregistrement des faits par les agents. En outre, tandis que la délinquance a tendance à s’uniformiser sur le territoire (cyber, escroqueries, terrorisme, atteintes aux biens, violences…), il n’y a pas de définition claire et partagée d’une délinquance qui serait propre à l’urbain. Il faut donc dorénavant s’appuyer sur d’autres éléments pour différencier ZPN et ZGN et adopter une vision pragmatique et locale, fondée sur la réalité des territoires et le service rendu à la population ».

De surcroît, l’exemple de Toulouse et de son agglomération entendue en  tant qu’unité urbaine - qui est très étendue-, est particulièrement sensible car s’y expriment deux cultures opérationnelles, celle de la gendarmerie et celle de la police. Dans ce territoire, le groupement de gendarmerie de Haute-Garonne assure la sécurité au profit de 430 000 habitants (chiffre en augmentation constante et rapide) sur un total d’un million, sachant que les gendarmes sont également en charge de la protection des zones plus rurales peuplées de 350 000 habitants.

Les propos du ministre ont donc pu être interprétés par nombre de militaires de la gendarmerie, mais aussi par des élus des communes concernées, comme une orientation vers un passage de l’ensemble de ces territoires sous la compétence de la police nationale. Ils en appellent donc au respect du principe énoncé supra « d’une vision pragmatique et locale fondée sur la réalité des territoires et le service rendu à la population ».

Les questions de redéploiement territorial furent au coeur des débats au début des années 2000 dont les résultats seraient marginaux selon la Cour des Comptes, pensez vous que ce sujet est encore d’actualité 20 ans après ?

Les différents rapports de la Cour des comptes ainsi que le référé du 13 mars 2018 [1] portent principalement sur la question des rémunérations et du temps de travail dans la police et la gendarmerie nationale. Pour autant, en demandant des éclaircissements sur le temps de travail réel ainsi que sur leur coût, ils posent la question centrale du «  potentiel opérationnel des deux forces » et de la « maîtrise de toute les conséquences budgétaires ». En d’autres termes, c’est tout l’enjeu de la productivité de sécurité qui devrait être objectivement abordé mais qui reste à ce jour occulté. Or, des critères simples permettraient de clarifier ce débat, ne serait-ce qu’au regard du respect des contribuables qui payent pour cette fonction sécurité d’essence régalienne, sans évoquer l’impératif d’en finir avec l’emballement catastrophique de la dette publique :

  • sur un effectif donné et quelque soit le ratio membres de forces de l’ordre/population, combien de personnels effectivement en service ? combien sur le terrain (nombre de patouilles en période nocturne…) ? ;

  • en combien de temps une demande d’intervention peut-elle être satisfaite sur un territoire donné ?

  • quel appui concret aux forces de sécurité est apporté par la vidéo-protection ?

  • quelle capacité de montée en puissance dans un contexte dégradé comme ce fut le cas récemment lors de l’attaque du commissariat de Champigny ?

  • quels sont en cas d’évènement subit les renforts respectifs apportés dans le cadre de la coordination opérationnelle entre les agglomérations et les territoires ( CORAT), comprendre entre la police nationale et la gendarmerie nationale ?

  • quels sont les effectifs locaux de la police municipale et quelle est leur contribution effective à l’exécution de la mission de sécurité ?

  • quelles données factuelles sur le nombre de crimes et délits constatés ? sachant qu’un nombre élevé ne peut être aucunement avancé comme l’argument d’une plus grande légitimé institutionnelle sauf à procéder de façon spécieuse d’une valorisation de l’échec…

Alors que les élus et les collectivités sont appelés à occuper une place de plus en plus importante dans les questions de sécurité au sens large, l’annonce du ministre traduit-elle selon vous l’adhésion profonde des populations et des élus à cette vision des territoires ? Y a-t-il une question de méthode ?

Dans son article 2.2. « Conforter le rôle du maire et des polices municipales dans la sécurité du quotidien », il est dit que « Le Livre blanc réaffirme que le maire est et doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune, en sa qualité d’agent de l’État disposant d’un pouvoir général de police administrative…/…L’échelon intercommunal est quant à lui confirmé dans son rôle de mutualisation des moyens ou, de manière extensive, des polices (communautaires). Enfin, le Livre blanc ouvre la voie à une réflexion sur les pouvoirs de police d’autres niveaux de collectivités (départements, régions) sur leurs domaines ».

Il y a donc une volonté claire de repositionner les élus dans le coeur de la manoeuvre « sécurité ».  Ceci participe de ce souci de faire mieux vivre la démocratie locale, attente qui s’est manifestée de façon très forte à l’occasion de la crise des gilets jaunes. Ni la technostructure, ni certains corporatismes ne peuvent aujourd’hui continuer d’imposer leur décisions sans concertation, d’autant que ce sont les élus qui sont en première ligne.

La réaction de nombre d’élus de l’agglomération de Toulouse suite à la déclaration du ministre de l’intérieur, Gérard Darmanin, est en la matière très révélatrice d’une fin d’époque. La vision parisienne ne peut plus être exclusive.

L’opposition gendarme-ruralité à policier-urbanité vous semble t-elle une grille d’analyse encore pertinente ?

Cette opposition est totalement obsolète. Elle relève d’une vision caricaturale et surannée. Les territoires se sont transformés et la gendarmerie s’est adaptée au fil des années à cette nouvelle réalité.

Si l’on veut être plus précis et contemporain, la véritable opposition se situe entre une logique de centre métropolitain et de périphérie. Le policier agit majoritairement sur les centres urbains denses et le gendarme sur un dégradé de territoires allant du périurbain dense à l’hyper ruralité. Chaque espace est de plus en plus spécialisé et répond à des dynamiques propres.

Partout en France, le gendarme sécurise une grande partie de la France dite « périphérique » qui a pris ces dernières années une véritable dimension culturelle sociale. Car si les forces de sécurité agissent dans l’espace sur un territoire, elles dirigent leur action vers la population qui y vit.

Les deux modèles de force de sécurité intérieure ne présentent donc pas une dichotomie réductrice mais répondent à deux logiques qui de plus en plus tendent à s’opposer socialement. La gendarmerie offre par sa position géographique comme par les réalités sociales qu’elle touche un véritable trait d’union sécuritaire.

Par ailleurs, en contrôlant la périphérie mais également par sa capacité incomparable de montée en puissance, la gendarmerie contribue à la régulation du centre qui est devenu de façon structurelle le territoire dépressionnaire en matière de sécurité.

A 18 mois des élections présidentielles, le chantier de redéploiement annoncé est-il réalisable ?

Tout est réalisable dès l’instant que l’on s’appuie sur une volonté politique et surtout une capacité à en assumer le coût. La question est de savoir si le chantier de redéploiement est réaliste dans la forme et avec la manière présentée.

Je ne le crois pas pour les raisons déjà abordées plus haut. Les maires dont le rôle en matière de sécurité est réaffirmé dans le livre blanc auront leur mot à dire. Dans une logique d’acceptation par la population, il faudra aussi demander aux habitants s’ils sont favorables à une telle bascule de force. En matière de coût, considérant des gains difficilement estimables, ne vaut-il pas mieux privilégier les dépenses sur l’équipement, la rénovation des infrastructures plutôt que d’opérer des mouvements de forces de cette nature ? En outre, basculer des policiers des petites villes vers les grandes agglomérations constituera une immense source de déstabilisation de la police nationale, laquelle n’en a pas besoin en cette période troublée.

Au-delà de l’échéance des présidentielles, la conjoncture sur les 18 mois à venir n’est pas favorable à un tel bouleversement sur certaines zones où les redéploiements seraient envisagés. L’équilibre y est trop fragile pour se permettre une perte de présence due à une bascule. Toute rupture du contact serait interprétée comme une opportunité pour les délinquants, comme un abandon pour les habitants et in fine comme un nouvel échec de l’autorité.

Sur le plan politique, la décision ex cathedra de redéploiement pris par une élite urbaine parisienne sans concertation annihilerait enfin les efforts déployés par le gouvernement pour se rapprocher des élus et des territoires.

De façon plus globale, alors que l’insécurité est perçue à juste titre comme la préoccupation première des français, la montée des menaces de toute nature exige désormais de porter l’effort au profit des acteurs les plus résilients. Dans cet esprit, les organisations de nature militaire démontrent incontestablement une nouvelle pertinence.

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