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coronavirus covid-19 confinement
coronavirus covid-19 confinement
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Confinement

"Les bars, restaurants, librairies, théâtres, cinémas, lieux de représentations artistiques sont fermés. Le souffle de la foule ne s'entend plus. Nous nous retrouvons le soir devant nos écrans, pour échapper aux miroirs. [...] Le confinement est plus que jamais intérieur".

Marie Martin

Marie Martin

Marie Martin n'est pas un pseudonyme. Passée par des études de lettres puis de droit, elle travaille aujourd'hui dans le milieu de l'informatique et du droit fiscal. 

En parallèle, elle devient auteur, la passion des mots et de leurs images ayant toujours fait partie de sa vie.

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Boulevard Poissonnière, installée au Brébant, une femme pleure au téléphone. Elle a les cheveux longs, détachés, roux, avec une frange. Elle essuie les larmes qui coulent le long de sa joue. Nos regards ne font que se croiser. Il est passé 18h et elle a reçu une mauvaise nouvelle. Elle est inquiète.

À la sortie des écoles, au bout de la rue du Château-Landon, une BMW gris métallique passe plusieurs fois en trombe. Trois jeunes, tête et bras par la fenêtre, expriment un enthousiasme qui n'a d'écho que le vrombissement sourd de leur voiture. Ils sont simplement heureux et font « les cons ».

Ces scènes se sont déroulées avant le deuxième confinement. Avant même le couvre-feu et la fermeture des bars et restaurants. Mais nous les lisons avec ce que l'air du temps nous soumet : pandémie mondiale, actes terroristes, émergence d'expressions telles qu' « islamo-gauchisme », « séparatisme ». L'ambiance est à l'ordre et à la pudeur. Quitte à nous faire oublier quelques fondamentaux qui font l'essence de l'homme.

L'ordre

Le rang, l'unité. Combien de fois avons-nous entendu ces injonctions ces dernières semaines ? Se tenir en rang, face au Covid-19. S'unir, n'appartenir qu'à « (…) une seule communauté, (...) la communauté nationale », selon les vœux d'Emmanuel Macron (tweet du compte présidentiel du 29/10/2020, 17h46, dont la bannière Twitter est devenue « Tenir ensemble » ces derniers jours).

Restez chez vous. Armez-vous des gestes barrières. Il n'y a plus d'applaudissements pour les soignants le soir. La lassitude a pris place face à cette décision de confiner à nouveau pour désengorger les hôpitaux. Il nous avait été promis que nous serions prêts pour une éventuelle seconde vague. Le peuple s'était uni aux soignants pour demander plus de moyens. Mais les lits ferment. Les hôpitaux sont délaissés. C'est une farce. Les instituteurs et les personnels des crèches sont mobilisés pour garder les enfants des parents qui travaillent.

Travaillez. Ce deuxième confinement nous permet de travailler, en mettant l'accent sur le télétravail, sans toutefois le rendre obligatoire. Ainsi, les bus, les métros resteront bondés. Les pistes cyclables ne sont pas en vogue sous le froid, la pluie, ou pour ceux qui habitent loin de leur lieu de travail.

Recentrez-vous. La culture, grande oubliée de ce confinement, est effacée. Il n'y a plus de divertissement commun. Cinémas, théâtres, salles de concert, spectacles, danse, sport, expositions, librairies... Le confinement, en nous confrontant à la peur de la mort, à la solitude, nous renvoie devant notre propre miroir. Nous nous regardons tels que nous sommes. Nous nous demandons qui nous sommes parmi les autres maintenant que nous en sommes écartés. « Le divertissement nous divertit de la vie », écrit Laurence Devillairs (« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier », article paru dans Philosophie magazine, hors-série n°42). Le divertissement nous nourrit, l'art inspire le beau, les idées, les sentiments. Cette nourriture n'est pas de première nécessité dans la logique néo-libérale. Mais se recentrer, ne plus tourner les yeux vers les idées des autres, « trouver la vérité en soi » implique un repli, un enfermement psychique et, à terme, un manque d'ouverture.

Taisez-vous. L'ordre touche aussi nos liens sociaux quand les dirigeants tentent (avec succès, selon mon opinion) de faire empiéter sur la sphère privée, dans nos foyers, le principe républicain de laïcité (neutralité religieuse) qui est sommé de ne s'appliquer qu'à l’État et à ses représentants. La polémique, largement entretenue par les chaînes d'information en continu qui relayent chaque événement pouvant avoir un rapport avec un acte de terrorisme islamique, est un outil de l'ordre dans le sens où elle mène à la division : la peur de l'autre. À trop vivre dans le présent, nous en oublions le passé. Nous devenons un peuple de réactions, d'émotions plutôt que de réflexions. « Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s'il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi les hommes, mais dans un monde de silhouettes », alertait déjà Albert Camus en 1948 (Le Témoin de la liberté, allocution dans la salle Pleyel, 13 décembre 1948). Les polémistes alimentent un ordre par la division. Préparant ainsi un peu mieux le champ de la campagne présidentielle.

La pudeur

Nous avons l'ordre de nous en tenir à la retenue, à la réserve, à la délicatesse sans, bien-sûr, tomber dans le pudibond. Nous nous taisons, chez nous. Les réseaux sociaux qui nous permettent un certain espace d'expression, sont ciblés par cet ordre de retenue au motif qu'ils seraient le lieu des graines de la haine, des fakes news, de la désinformation. Nous avons pu entendre certains politiques demander un changement de la Constitution, celle qui avait été le dernier rempart contre les aberrations de la loi Avia. Par le biais de l'atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, la loi contre les contenus haineux sur internet avait été en partie vidée de sa substance par censure du Conseil constitutionnel.

Si les polémistes ne cessent d'aboyer, la population française se réduit au silence de l'abattement et du repli. « Terrorisme », « communautarisme », « gestes barrières », « distanciation sociale »... les mots choisis par les gouvernants ont un retentissement sur nos vies. L'expression « distanciation sociale » a été mal choisie et aurait dû être remplacée par « distanciation physique ». Se protéger du Covid n'implique pas la distanciation des sentiments. Mais la peur instillée par les mots mal choisis effrite les liens.

Serge Tisseron, dans sa tribune publiée au Monde le 31 octobre 2020, note une « prise en compte nouvelle par le chef de l’État, de l’importance des liens ». Et cela à la seule lumière du fait que ce deuxième confinement nous permet tout de même de rendre visite à nos aînés dans les EHPAD, et que trente personnes peuvent être conviées à un enterrement. Mais, à mon sens, ce n'est pas une réelle reconnaissance de l'importance du lien. C'est un compromis. Un compromis qui sonne de manière aussi absurde que les enfants doivent aller à l'école, soi-disant pour éviter les dégâts d'une privation d'éducation, alors qu'en fait l'argument économique est le réel moteur de cette décision. Les enfants seront gardés par nos instituteurs et par les employés des crèches. Or, nous savons à quel point les enfants jouent un rôle important dans la propagation du virus. Comment réellement faire respecter aux enfants les gestes barrières ? Est-ce que cela à un sens d'imaginer que les crèches peuvent être adaptées à la non propagation du Covid-19 ?

Les bars, restaurants, librairies, théâtres, cinémas, lieux de représentations artistiques sont fermés. Le souffle de la foule ne s'entend plus. Nous nous retrouvons le soir devant nos écrans, pour échapper aux miroirs. Il n'y a plus de sentiment d'unité comme il a pu exister lors du premier confinement.

Le confinement et l'interdiction des rassemblements, privés ou publics, envoie un message clair de peur à la société. Il y a là un non-sens lorsque les personnes se massent pour aller se faire tester, ou bien pour aller chercher leurs enfants à l'école. Le message pousse clairement à la distanciation sociale et, quand bien même l'interdiction ne s'applique pas aux manifestations déclarées, elle tente de freiner la contestation sociale des Gilets jaunes - contestation qui se revendique d'ailleurs apolitique, montrant la rupture entre une certaine partie de la population et l'exercice du pouvoir.

Serge Tisseron se demande si la « prise en compte (…) de l'importance des liens » permettrait d'endiguer les théories du complot qui circulent et qui enflent. Vœu pieux. Ce n'est pas le discours du président qui pourrait endiguer le complotisme ou les fausses informations, mais une cohérence étatique dans les discours et les décisions. J'en appelle encore à une honnêteté des politiques. Qu'ils puissent dire « je ne sais pas », et non seulement « nous n'avons pas tout bien fait ». Vœu pieux, là aussi ?

La femme installée à la terrasse du Brébant, je ne suis pas allée la voir. J'aurais dû. Avec le confinement, je peux moins tendre la main à ces inconnus qui sont bouleversés. Les trois jeunes dans leur voiture, je ne les ai pas recroisés. De manière générale, je ne croise plus personne qui fait « le con ». Le confinement est plus que jamais intérieur. Restent nos écrans. Internet. Le son des clics solitaires, chez soi. Le monde virtuel. Bienvenue dans l'ère du métro, boulot, télé, dodo.

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