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"La Déraison sanitaire" d’Alexandra Laignel-Lavastine : un essai puissant sans masque ni oeillères, partie 2
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Alexandra Laignel-Lavastine vient de publier "La Déraison Sanitaire. Le Covid-19 Et Le Culte De La Vie Par-dessus Tout" aux éditions Le Bord de l’Eau. Jamais l’humanité n’avait été mieux armée médicalement face à une épidémie ; jamais elle ne se sera montrée aussi désarmée moralement. Extrait 2/2.

Alexandra  Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine est docteur en philosophie et journaliste. Elle a notamment reçu en 2005  le prix de l'essai pour l'ouvrage "Esprits d'Europe : autour de Czesław Miłosz, Jan Patočka et István Bibó (2005)" aux éditions Calmann-Lévy

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Quelque chose de notre modernité a été révélé par la crise du Covid-19 : nous appartenons à une génération qui ne connaît plus la tragédie collective, qui ne tolère plus la vision de la mort et qui a oublié, dans son inexpérience historique, ce qu’étaient les drames partagés dans les dernières guerres mondiales.  L’apparition d’un simple virus a plongé nos sociétés modernes dans un grand affolement, au point de porter toutes les autorités dirigeantes à des mesures sacrificielles violentes qui, sans cette peur générale, auraient soulevé de grandes indignations et des procès immédiats. La peur de la mort a tué tout ce qui faisait la vie collective : le travail, la culture, la famille, la liberté… D’où vient cette peur irrésistible ? Alexandra Laignel-Lavastine, dans son éclairant essai La Déraison sanitaire, le Covid-19 et le culte de la vie par-dessus tout, diagnostique avec lucidité notre étrange refus du tragique, notre culte de la vie et notre angoisse nouvelle de la finitude humaine. Un petit trésor d’intelligence qui examine sans concessions le visage d’une époque livrée à l’absurde. `

La vie quoi qu’il en coûte : l’humanisme radical

Pendant la pandémie de Covid-19, deux grands points de vue se sont opposés, aucun n’étant aisé à balayer d’un revers de main. D’une part, le point de vue radical, celui des bobobos (bourgeois, bolchéviques et bonapartistes) : le point de vue de la vie « quoi qu’il en coûte », quitte à instaurer, en connaissance de cause, un calfeutrement total et centralisé sous tutelle policière, ruineux pour le pays, c’est-à-dire pour la vie de la majorité, mais jugé efficace pour contenir le mal. Noblesse d’âme ou obscurantisme compassionnel ? D’autre part, le point de vue modéré, disons celui des lilicons (libéraux, libertaires et conservateurs) : le point de vue de la vie, oui (ici, l’objectif converge), mais à condition de s’assurer que le remède ne soit pas pire que le mal, d’où une critique de la méthode car il y eu bien une marge d’alternative ici (confinement massif et liberticide). Réalisme contre sentimentalisme ? Ces deux positions ne s’excluent pas ; elles ne se recoupent pas non plus. « Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort ». Tout dépend alors du critère que l’on choisi dans une situation historique donnée et singulière, en engageant sa responsabilité, ainsi qu’il échoit à un politique. Ce dilemme est évidemment passé inaperçu comme tel puisque le point de vue bobobos radical l’a emporté sans discussion : le salut ne pouvait résider que dans l’Immobilisation totale de la vie collective. Du coup, on ne s’y est pas attardé et, au passage, on a simplifié les rôles : les radicaux faisaient figure de doux et généreux humanistes ; les modérés, chez qui l’argument philosophique primait sur l’argument sanitaire, passaient pour des empêcheurs de surenchérir au confinement le plus confiné possible, voire pour des contamineurs de masse potentiels. (…)      

Cette crise aura fait ressortir, comme aucune autre, le formidable assujettissement de nos gouvernements à la technocratie médicale, si bien qu’on a vu les politiques faire de la médecine et les toubibs de la politique. Une confusion des rôles et un panmédicalisme inquiétant car nier le conflit irréductible entre le Savant et le Politique, deux vocations incompatibles (Max Weber), revient là en- core à récuser le tragique de notre condition. Sur un navire, ce n’est ni le responsable des machines, ni celui de la navigation qui commandent, mais le capitaine. On avait vécu dans l’illusion que le « biopouvoir » re- levait dans notre hémisphère de la science-fiction. En 2020, la démocratie s’est mise à sa remorque en un rien de temps.

La vie nue : la fin des transcendances

Une civilisation se fonde sur une culture, une histoire, des mœurs, des rites, des règles de civilité, des lois, des principes et des œuvres, toutes choses qui transcendent le bref passage sur terre de ses représentants, du plus modeste au plus illustre. Aussi pour- rait-on objecter aux inconditionnels du choix de la vie que seule une société dépourvue de « plus haut », ayant abdiqué tout idéal et tout dessein, peut en arriver à ériger le maintien de la « vie nue » (Walter Benjamin) au rang de valeur suprême. Est-ce le cas ? Il n’est pas illégitime de le craindre à observer la suspicion ou l’incompréhension rencontrées par ceux qui suggèrent qu’il pourrait y avoir des choses plus importantes que la sauvegarde de la vie biologique à n’importe quel prix, comme la liberté́, le courage, l’honneur ou encore l’esprit de la démocratie et le souci d’œuvrer avec d’autres à la préservation et à l’élaboration d’un monde commun. En outre, on voit bien le paradoxe : pourquoi donc « sauver des vies » à tout prix si on les réduit à un cercle vital aussi pauvre ?   

Aurions-nous perdu toute transcendance ? (…)   

Comme l’écrit Olivier Rey dans L’Idolâtrie de la vie, « quand on ne peut plus donner sa vie, ne reste qu’à la conserver ». Rien de glorieux ni d’héroïque ici. Nous nous serons quand même beaucoup mentis au cours de cette pandémie, la vie dans la platitude étant aussi une vie dans la servitude, celle-là même à laquelle nous expose le fait d’ériger la vie biologique en souverain bien, et de situer le sacré dans sa préservation plutôt que dans son dépassement. Une folle bascule à l’échelle de l’histoire. Alors non, le choix de la vie sous le Covid ne constitue pas forcément la meilleure nouvelle de ce début de siècle.

A lire aussi : "La Déraison sanitaire" d’Alexandra Laignel-Lavastine : un essai puissant sans masque ni oeillères, partie 1

Extrait du livre d’Alexandra Laignel-Lavastine, "La Déraison Sanitaire. Le Covid-19 Et Le Culte De La Vie Par-dessus Tout", publié aux éditions Le Bord de l’Eau

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