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La colère des petits commerçants est légitime mais quand elle vise Amazon et les supermarchés, elle tourne à l’hystérie
©SEBASTIEN BOZON / AFP

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Les commerçants qui pleurent ont des raisons de pleurer mais malheureusement, les raisons sont fausses. Quand ils pointent ceux qui profiteraient de la situation, Amazon ou la grande distribution, ils se trompent de coupables. Et le débat devient hystérique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les commerçants sont manipulés et il va falloir qu’ils ouvrent grands leurs yeux pour réunir les conditions de leur survie. Les hypermarchés qu’ils accablent et Amazon qu’ils vouent aux gémonies ne sont pour rien dans leur désolation. Mieux, ils pourraient même aider le petit commerce à s’en sortir.

Le deuxième confinement a beau être plus light, il a fracturé le monde du commerce. Et la fracture est profonde. Entre ceux qui peuvent travailler (les hypers et les grandes surfaces spécialisées dans des secteurs dit utiles en temps de crise), auxquels s’ajoutent ceux qui, moyennant de changer certaines de leurs habitudes, vont pouvoir continuer de travailler, entre tous ceux qui pleurent, haut et fort, qui se rebellent contre tout et qui refusent de reconnaitre qu’il va falloir s’adapter et qui finiront par disparaître.

Parce que, qu’ils le veuillent ou non, cette crise sanitaire a eu un effet spectaculaire sur l’économie. Elle a accéléré la mutation structurelle.

Pour les petits commerçants de proximité, les libraires, les gérants de bars ou de restaurants, la situation est évidemment affreusement compliquée, douloureuse et souvent catastrophique. Ils n’ont plus de chiffre d’affaires et pas de visibilité sur l’avenir à moyen terme, alors même qu’on approche des fêtes de Noël qui constituent souvent leur moment fort de l’année.

Cette situation est tellement grave, elle suscite tellement d’émotion, relayée sans beaucoup de retenue par les médias, qu’on en vient à occulter une partie de la réalité qui est la leur.

A priori, leur situation est simple. S’ils n’appartiennent pas à un commerce dit essentiel, ils doivent être confiné, c’est à dire que leur boutique doit être fermée. C’est la loi.

Ce qui rend la situation particulièrement nerveuse, c’est que la définition des produits de première nécessité est encore floue et surtout, ce qui la rend insupportable c’est que les hypermarchés, certaines grandes surfaces spécialisées et tout le e-commerce dont Amazon, vont ramasser la mise en offrant des solutions alternatives aux consommateurs.

« Pourquoi eux et pas nous ? » Dans un pays accroché aux valeurs d’égalité et de justice, c’est insupportable. Les petits commerces emmenés par des cabinets de lobbying préfèrent se battre pour faire fermer la grande surface plutôt que de faire ouvrir leur propre boutique. L’égalisation par le bas. On est au cœur du mal français. Si nous ne pouvons pas travailler, au moins que chacun soit logé à la même enseigne, pourvu qu‘elle soit fermée. Aberrant !

Ce qui rend la situation nerveuse c’est que le petit commerce a fait des efforts d’équipement pour permettre le respect des gestes barrières et pour protéger les clients qui seraient sans doute plus à l’abri dans un salon de coiffure que dans une file d’attente à la caisse d’un hypermarché.

Ces petits commerçants avaient d’ailleurs tiré les leçons du premier confinement. Parce qu’à l’époque, ils ne s’étaient pas préparés, leurs organisations syndicales avaient donc demandé à ce qu’ils soient fermés. Et bien sûr perfusés d’aides et de subventions.

Le gouvernement s’en est souvenu en octobre pour ce deuxième confinement mais les organisations professionnelles ont, cette fois-ci, fait machine arrière et lancent un formidable lobbying pour que les commerçants soient exclus du confinement.  Bercy a tranché en reprenant les règlements de mars. Du coup, les commerçants qui voudraient travailler aujourd'hui n’ont effectivement que leurs yeux pour pleurer.

Alors, il ne faut pas trop exagérer la situation parce que beaucoup ont été aidés pendant le premier confinement et le seront encore cette fois-ci, entre le PGE, les exonérations de charges, les mises au chômage partiel et les aides directes, le gouvernement signent les chèques pour soigner les blessures.  Ça ne paie pas les loyers certes, mais des négociations sont en cours pour faire en sorte que les bailleurs paient leur part de la crise, avec les assureurs qui sont assez peu enclins à faire leur métier d’assureur.

Cela étant, les aides multiples et variées ne permettront pas aux commerçants de faire leur métier, c’est à dire du commerce. Avec en plus des stocks à écouler et des fournisseurs à payer.

Ce qui est intéressant dans cette fronde du petit commerce, c’est qu‘elle ne fédère pas la totalité des commerçants. Il y en a beaucoup qui ne font pas de bruits et qui essaient d’assumer cette situation exceptionnelle pour s’adapter et changer. Beaucoup considèrent qu’ils ne sont pas définitivement condamnés, que ça n’est ni la guerre, ni la fin du monde. On doit pouvoir s’adapter.

Et le changement qu’ils opèrent dans leur commerce va de la restauration de la boutique au code couleur, du choix des références au nettoyage très fin du portefeuille des fournisseurs, ça peut passer par d’un réaménagement total du magasin (merci le PGE), jusqu'à la mise en place de procédure digitale pour la gestion interne mais surtout pour la relation client.

Le progrès qu’on n’attendait pas si vite dans le commerce de détail, c’est l’arrivée massive du digital dans le processus de vente et de suivi du client. Ce processus d’évolution qui a sans doute été expérimenté par certains au moment du 1er confinement a été ressorti et élargi. En partant du principe que si la porte du magasin était condamnée, la fenêtre pouvait rester ouverte, la Poste marchait, le téléphone aussi.

On a donc assisté depuis deux semaines à une relance du click and collect. Ça marche dans tous les types de commerce dans des formes plus ou moins évoluées.

1ère forme, la plus primaire, la commande par téléphone ou par internet. C’est La forme la plus basique, parce que le nombre de commerçants qui ont ouvert un site internet depuis le dernier confinement a explosé. Le client commande et vient chercher ce qu’il a acheté ou alors fait appel à un livreur. Uber et Deliveroo, même combat. Tout le monde ou presque le fait, du libraire (fermé) au fleuriste (fermé), tout le monde vend un peu, ce qui maintient la relation client et limite les dégâts.

2e forme plus sophistiquée, dans l’habillement, la chaussure, l’automobile, l’électroménager, les chaines de jouets, les grands magasins, les marques les plus puissantes ont réussi à balancer une partie de leur chiffre d’affaires via le net. Ils sont devenus des vrais acteurs de la vente en ligne. C’est le cas de la Fnac, des chaines de bricolage etc...

3e forme, la plus aboutie et qui préfigure l'organisation future du commerce de détail consiste à se greffer sur une plateforme digitale à laquelle on versera une petite commission quand elle flèche un client. Ces plateformes se sont multipliées et fonctionnent comme des galeries marchandes avec, à proximité, une enseigne d’hypermarché. Le Bon coin s’est transformé en plateforme à partir d'un site qui, au départ, était spécialisé dans l’immobilier. Price minister est une plateforme de ce type. La branche digitale du groupe Casino, CDiscount, aussi.

Mais le meilleur exemple de plateforme de E-commerce est évidemment Amazon. Quand les hommes politiques et les petits commerçant fustigent Amazon, ils se trompent complètement.

Amazon n’est pas la réplique digitale de Walmart, ça n’est pas un immense magasin avec un immense entrepôt. Amazon a commencé par être libraire. Amazon a ensuite élargi son principe de fonctionnement à quantité de produits, mais Amazon ne sert que d’intermédiaire entre le client qui surfe sur son site et le commerçant ou le producteur local ou étranger qui a installé une vitrine et d’un clic de souris, le client arrive sur le portail d’Amazon.

Amazon est certes devenu en vingt ans un champion du monde du commerce de détail, mais ce qu’on oublie, c’est qu‘Amazon accueille sur son site et fait travailler des milliers de commerçants indépendants et de producteurs locaux. Exactement comme Booking fait travailler des hôteliers indépendants, au même titre que la grande chaine comme Accor, qui propose ses marques à des propriétaires d’hôtels.

Alors le chiffre d’affaires et les profits d’Amazon sont gigantesques, Amazon ne paie sans doute pas l’impôt qu’il devrait payer dans chaque pays où il travaille... Mais Amazon ne paie de l’impôt que sur son propre chiffre d’affaires, ses commissions. Parce que ses fournisseurs, eux paient l’impôt, ce qui est normal. Les grandes entreprises travaillent avec Amazon mais les petites aussi. Et beaucoup d’entreprises considèrent qu’il est plus intéressant, plus clean et plus efficace, de travailler avec Amazon plutôt que de traiter avec Carrefour ou Auchan et leurs centrales d’achat, qui s’accaparent le produit.

L‘avenir du petit commerçant aujourd’hui est tout tracé.

Ou bien il crée sa propre plateforme (ce que Accor a essayé de faire contre Booking dans l’hôtellerie), sans pour autant se permettre d’abandonner Booking.

Ou bien il se branche sur une plateforme française existante. C-Discount, par exemple, a une force d’attraction pour les petits commerces et les indépendants. Encore plus fréquemment, il peut aussi ouvrir sa page Facebook ou Linkedin, ou communiquer avec ses clients via Twitter

Ou bien il se fait carrément héberger chez Amazon ou Le Bon coin.

La mutation accélérée du secteur est en train de générer un système de collaboration incontournable très éloignée de la guerre qu’on nous annonce entre les grands et les petits. Le débat contre Amazon est devenu hystérique parce qu’il ne correspond pas à la réalité telle qu’elle en train de se forger.

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