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Olivier Véran ministre de la santé
Olivier Véran ministre de la santé
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Lutte contre la pandémie

L’attitude du ministre de la santé, qui s’est emporté contre les députés qui venaient de voter un amendement empêchant une prolongation du confinement sans consultation du Parlement, est très révélatrice.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Olivier Véran s’en est pris dans l’hémicycle aux députés qui ont prorogé l’état d’urgence "seulement" jusqu’au 14 décembre (au lieu du 16 février) et demandé à ce que la prolongation du confinement soit soumise à leur approbation.  "C'est ça la réalité, si vous ne voulez pas l'entendre, sortez d'ici !" leur-a-t-il dit en évoquant une visite à l'hôpital. Doit-on y lire une forme de déni de la démocratie parlementaire ?

Arnaud Benedetti : C’est un signe de nervosité à tout le moins, mais cela traduit en ce qui concerne le ministre une forme d’hubris. Ce dernier a gagné bien des arbitrages depuis des semaines, réimposant l’enjeu sanitaire comme "ligne de front" prioritaire. Le problème c’est qu’il oublie, fort de ses victoires au sein de l’appareil d’Etat, qu’en démocratie libérale, tout se discute. C’est le principe du délibératif et ce principe s’impose, y compris en situation de crise. L’esclandre Véran n’est pas qu’un simple "pétage de plomb". Il est d’une certaine façon le signal faible d’une escalade : on met une partie de l’économie à l’arrêt, on suspend le fonctionnement de la société en limitant la circulation et en voulant contraindre les interactions sociales, on prétend désormais faire taire l’espace parlementaire et l’on peut craindre que la prochaine phase soit celle de la limitation de la liberté d’expression, dont des aventures législatives hasardeuses, à l’instar de la controversée loi Avia, fort heureusement censuré, ont constitué les signaux faibles. La toute puissance du médical, et le ministre est médecin , pose problème. Mais cette toute puissance trouve dans le saint-simonisme au pouvoir un formidable terrain d’expansion. Elle peut s’y déployer car le bio pouvoir est en train de devenir le cheval de Troie, dans ces circonstances exceptionnelles où  la peur panique de la mort constitue le trait constitutif de la sensibilité post-moderne, de la domestication des opinions. Peu à peu, les conditions d’un état d’exception banalisé s’alignent...

Au vu de cette séquence, il semble que quiconque irait à l’encontre des mesures du gouvernement serait de facto un ennemi des soignants qui luttent sans relâche contre l’épidémie. Acculé, le gouvernement utilise-t-il la carte de l’hôpital public comme un joker ?

L’exécutif le fait sans se rendre forcément compte de ce qu’il introduit. La plupart de ces  ministres sont les héritiers d’une conception techno-managériale dont ils sont aussi  le produit. Ils défendent leur zone de confort idéologique. Mais ils sont au cœur d’une contradiction : cette idéologie a entraîné la pénurie et la désorganisation. Cette pénurie et cette désorganisation, ils essaient de la compenser en contraignant toujours plus le champ social et aussi le champ démocratique car cette idéologie est "dos au mur" comme le révèle avec acuité cette crise. Ils s’efforcent de reconvertir l’objet de la ruine - l’hôpital , ces "nouvelles tranchées" symboliques - en bouclier politique pour légitimer des mesures toujours plus restrictives, très souvent peu comprises par les opinions. La boîte de Pandore de leur conception du monde est ouverte avec tous les maux dont elle est comptable . Ils essayent , "quoiqu’il en coûte" de la refermer, comme ils peuvent, en sommant ceux qui doutent de leur stratégie de se taire. Mais ils ne peuvent dissiper cette impression inquiétante que nous sommes lancés dans une sorte de fuite en avant dont on ne distingue pas l’issue.

Est-ce une manière de tenir pour responsable les oppositions plutôt que d’assumer les dysfonctionnement de la stratégie sanitaire du gouvernement ou de remettre en cause sa propre stratégie ?

Ce pouvoir agit comme tous les pouvoirs en difficulté : il se crispe. C’est une constante, celui-là n’y échappe pas plus que ses prédécesseurs, lointains et proches. Il pourra toujours arguer que la plupart de ses opposants, parce qu’ils ont été alternativement au pouvoir, portent leur part de responsabilité dans le désarmement sanitaire. Ce qui n’est pas faux. Mais ce qui est vrai, et qui dépasse le seul cadre sanitaire mais que ce cadre sursouligne, c’est que ce pouvoir apparaît de plus en plus  comme la queue de comète d’un monde finissant, qui se désagrège, et qui met à mal le citoyen au profit de l’homme contrôlé, le sujet au profit du patient. Cette crise sanitaire est une "formidable" opportunité pour les rêves oligarchiques. C’est ce qu’il faut craindre par dessus tout. Et à terme, bien plus que le virus...

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