Mais qu’est ce qu’ont vraiment loupé les partis pour que 79% des Français soient désormais prêts à un vote anti-système ?<!-- --> | Atlantico.fr
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vote élection sondages Français anti-système citoyens
vote élection sondages Français anti-système citoyens
©PATRICK HERTZOG / AFP

Sondage pour 2022

79% des électeurs envisagent un vote anti-système en 2022, selon le dernier indicateur de la protestation électorale établi par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et administré par l’institut Opinionway, en partenariat avec Le Figaro. Comment en est-on arrivé là ?

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Atlantico.fr : La plupart des électeurs (79 %) envisagent un comportement électoral protestataire ou une tentation populiste : voter pour RN, LFI, DLF ou LO/NPA, s’abstenir ou voter blanc, un score en augmentation. Comment en est-on arrivé là ?  

Dominique Reynié : Ce que je mesure avec cet indicateur c’est la disponibilité à adopter, en 2022, à la présidentielle, l’un des quatre comportements que je qualifie de protestataire. Ils sont chacun différents des autres mais ont en commun un rapport critique à la politique : l’abstention, le vote blanc, le vote pour les candidats antisystème populistes (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan) et le vote à l’extrême gauche (LO/NPA). On voit quand on fait cette étude que 79%, soit pratiquement 8/10 personnes interrogées, sur un grand échantillon de 3.000, disent qu’ils pourraient adopter l’un ou l’autre de ces comportements en 2022. Les explications, il y en a beaucoup. Fondamentalement, c’est sans doute le sentiment que le corps électoral, les électeurs, les citoyens ne parviennent plus par la démocratie électorale à peser sur la détermination de leur destin. D’une part, il y a des préoccupations qui sont exprimées dans les urnes, qui ne se retrouvent pas dans les politiques publiques et d’autre part des préférences qui se trouvent dans la société française qui n’arrivent pas à passer l’étape de la représentation, qu’elle soit médiatique ou politique. Je pense en particulier, parce que c’est l’un des éléments les plus forts, à la question des frontières, de l’immigration et du contrôle que peut avoir le pays sur sa sécurité, son style de vie et ses relations - à travers ces mouvements migratoires - avec le reste du monde.

Sur quels sujets les gouvernements successifs n’ont-ils pas su répondre ? Sur quels fronts n’ont-ils pas su parler aux Français ?

Il me semble que depuis le milieu des années 1970, les majorités successives, droite ou gauche, ont pris soin de répondre, voire d’anticiper, les demandes des Français dans le domaine social. Parce que sur le plan économique, le chômage, à part l’embellie importante qu’il y a eu récemment sous Macron mais qui est détruite par le Covid, est resté un problème massif. Sur le plan social, les différentes majorités ont pris à cœur de prendre toute une série de dispositions qui augmentaient ce que la communauté nationale paraissait devoir offrir à ses membres, qu’il s’agisse des retraites, de la santé, du chômage, etc. C’est là-dessus que s’est fait l’arbitrage principalement en faveur de ces dépenses sociales, qui sont colossales, qui ont amené l’Etat français à délaisser les fonctions fondamentales qui sont les siennes, les fonctions régaliennes. Ce dont on ne s’est pas vraiment aperçu pendant pas mal de temps parce que le monde restait d’apparence irénique, en tout cas son apparence autorisait l’irénisme. Maintenant on voit surgir des problèmes qui sont là, non pas de manière passagère, mais à l’échelle de nos vies : des problèmes de sécurité à l’intérieur des frontières et de sécurité face à l’extérieur, avec des puissances problématiques et agressives qui cherchent à faire prospérer leur propre intérêt – ce qui est normal – au détriment du notre, ce qui n’est évidemment pas acceptable pour nous. Et puis ce que j’appelle le patrimoine immatériel, le style de vie, qui semble remis en question par des attaques régulières contre des éléments constituants la culture française. On pense beaucoup en ce moment à la laïcité, mais au-delà de ça ce sont nos libertés, notre façon de vivre est largement contenue dans ces libertés, elles ne résument pas le pays mais elles en sont l’expression forte. Et tout ça est assez mal défendu car jusqu’à présent on a mis l’accent sur le social et l’Etat se trouve faible sur les parties régaliennes. C’est-à-dire les missions - et c’est la grande surprise des gouvernants quels qu’ils soient depuis 10 ou 15 ans - sur lesquelles les Français considèrent qu’il n’y a pas de négociation : on ne peut pas vivre dans un Etat qui n’est pas capable de défendre ses citoyens contre l’insécurité ou de garantir à ses citoyens que leur style de vie sera conservé et pas mis en cause à l’intérieur ou à l’extérieur. En fait, c’est un grand désarmement qui a eu lieu. La politique d’Etat est devenue une politique sociale presque à part entière. Bien sûr ce n’est pas le cas, la formule « à part entière » est sans doute excessive, mais la part consacrée à la dépense sociale est très importante. On a d’ailleurs le sentiment qu’on entend plutôt les responsables politiques promettre une augmentation qu’une réduction. Cet argent-là, il est pris sur les générations futures, c’est la dette, et sur les fonctions régaliennes du présent qui ne sont pas assumées comme elles devraient l’être. Peu à peu ce délitement a réagi à cela. Il faut être juste, ça ne date pas de 2017, ce sont des variations de longue durée. On a cessé en France d’avoir un budget équilibré depuis en gros le milieu des années 1970. C’est une très ancienne incapacité mais finalement tous les arbitrages se sont faits en faveur d’une forclusion, du déni ou de l’oubli de ce problème-là et les Français l’ont mesuré tout doucement. C’est ainsi que j’explique le début du déraillement qui est difficile à dater précisément. C’est autour du milieu des années 1980 quand le pouvoir socialiste est confronté à l’impossibilité de mener sa politique socialiste et à l’obligation de corriger un peu le tir pour tenir compte des réalités économiques qui étaient un peu catastrophiques. A ce moment-là, il y a la démonstration d’un modèle, principalement social, qui ne fonctionne plus et on voit que les électeurs commencent à chercher des voix électorales pour exprimer leur mécontentement, leur déception, leur exaspération et c’est ce qui va passer avec le vote Front National et Jean-Marie Le Pen : élections municipales 1983, européennes 1984, présidentielle de 1988 et après cela ne s’arrête plus. Quand on ajoute au vote FN/RN le vote pour des formations populistes de gauche, comme le mélenchonisme et ses différentes étapes on s’aperçoit que la hausse de ces comportements électoraux est accompagnée d’une hausse des tendances à l’abstention assez nette. Le record a été battu en 2017, mais il l’avait déjà été le 21 avril 2002, qui est pour partie le résultat de l’élection. Et dès qu’on a autonomisé le vote blanc, en 2014, il a battu tous les records en 2017 au second tour. Il y avait un réservoir d’électeurs qui voulaient aller voter pour exprimer leur insatisfaction à l’égard d’on ne sait quoi, le vote blanc est difficile à interpréter.  

Peut-on analyser cette protestation électorale comme une envie révolutionnaire ? Dans quelle mesure les Français veulent-ils du changement ? Et jusqu’à quel point ?  Cela peut-il aller jusqu’à la remise en cause des institutions et de la démocratie représentative ?

Je ne crois pas. Je crois que ce sont les élites qui remettent la démocratie représentative et même les institutions. Ce sont les élites partitocratiques, politiques, qui parlent de sixième République, qui est un sujet qui n’intéresse pas les Français et qui ne répond pas à leurs attentes. Je crois aussi que c’est une erreur d’organiser des décisions sur la base de la convention citoyenne lorsqu’il s’agit de grands sujets parce que cela dessaisit les électeurs de leur pouvoir. C’est un signal envoyé qui tend à dire qu’il y a beaucoup de pouvoir chez les gens qu’on tire au sort qui sont même longuement reçus par le chef de l’Etat et qui sur des sujets très importants ont l’assurance que leurs idées seront toutes appliquées. C’est inouï car au fond on n’a jamais pu dire ça à une assemblée élue par le peuple, ni même à un président. C’est une forme d’étrange paradoxe. Ces méthodes sont utiles pour éclairer les décisions et avoir le retour d’une certaine expertise de leur vie qu’ont les Français mais on a eu le sentiment que c’était une façon de substituer le tirage au sort à l’élection. Ça a contribué à désorienter les électeurs qui tiennent fondamentalement à la souveraineté du suffrage parce que c’est la seule manière de mettre chacun à égalité et de donner au peuple un pouvoir qu’il n’a pas autrement.  On sait que la sociologie de la démocratie participative est très élitiste, aristocratique, très diplômée, très CSP+. Toutes ces formes là qui sont censées venir régénérer le vote en vérité elles ont précipité sa relégation. Or les Français, les 47 millions d’électeurs, sont détenteurs d’un pouvoir et si on leur donne le sentiment que ce pouvoir n’existe plus ils vont se retirer du jeu. Je ne crois pas à l’option révolutionnaire car les Français sont un peuple riche sur le plan économique, c’est d’ailleurs pourquoi ils soutiennent massivement l’Europe et l’euro dans notre enquête, ce qui gêne beaucoup les populistes. C’est la difficulté, les Français ont le sentiment de ne pas avoir de débouchés à leurs protestations. C’est assez triste car c’est une forme de dépression, mais ils ne veulent pas un pouvoir qui mettrait par terre l’Europe et l’euro. L’euro c’est les retraités, le patrimoine des Français, ça serait pour eux une paupérisation considérable et ils le savent. Et le vaste monde leur semble plus redoutable si nous n’avons pas l’ensemble européen comme solidarité familière et historique. Il y a là, un obstacle pour les populistes. Et évidemment si les populistes se convertissent à l’euro, ce qui commence à se faire en Europe, ils cessent d’être populistes. Ils deviennent une droite ou une gauche plus marquée mais rentrent dans le cercle des partis de gouvernement.

Dans la perspective de 2022, si la classe politique souhaite limiter la protestation électorale et un vote populiste, quel est le discours qu’elle doit tenir ? Y a-t-il des figures susceptibles de le porter ?

Des figures je ne saurais pas dire. C’est un système à candidatures, les Français verront bien. Sur le discours, ce qui me parait essentiel, c’est de restaurer la souveraineté du suffrage et de redire aux Français qui commencent à en douter que tout passera par le suffrage universel, que tout est là, qu’il faut à nouveau rentrer dans le jeu, participer, exprimer ses préférences dans leur diversité pour relégitimer l’ensemble du système. Il ne manquerait plus aujourd’hui qu’une crise de régime, institutionnelle. Le pays serait par terre. Le discours rassurant est un discours de fortification de nos institutions, celles qui existent, avec leurs défauts. Je ne suis pas sans reproche à leur égard mais ça me semble un problème secondaire puisqu’elles existent avec la majesté du suffrage universel. Et ensuite, je vais faire une réponse un peu naïve, au sens où, il faudrait que le discours porte sur ce qui attend les Français dans les années qui viennent et qui va être difficile, parce que les dangers intérieurs et extérieurs s’affirment et ne vont pas cesser. On doit réarmer le pays moralement, économiquement, militairement, juridiquement. C’est un discours de ce type qu’il faut tenir. Il ne faut pas mentir aux Français car tout va devenir plus compliqué, sauf à trouver de l’argent quelque part, on ne sait pas où, car on a déjà pris beaucoup sur le futur et sur toute une série de dépenses. Il va falloir rediriger une partie de nos ressources vers le développement, la recherche, la défense de la souveraineté alimentaire, l’armée, la police, etc. Il y a toute une série de secteurs qui sont la puissance d’un pays dans lesquels il va falloir réinvestir fortement et pour cela choisir d’en mettre un peu moins ailleurs.

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