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Le rebond (modéré) de la croissance chinoise est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
©STR / AFP

Espoir face à la pandémie

Après l’effondrement du PIB de la Chine en début d’année à cause du Covid-19, l’économie chinoise a connu au troisième trimestre un rebond de 4,9% sur un an, confirmant sa reprise. Comment expliquer ce rebond ? Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Michel Fouquin

Michel Fouquin

Michel Fouquin est conseiller au Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et professeur d'économie du développement à la faculté de sciences sociales et économiques (FASSE).

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Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : La Chine a affiché une croissance presque au même niveau qu’avant l'épidémie de covid. Comment expliquer ce rebond ?

Emmanuel Lincot : Le PIB chinois a progressé de 4,9% au troisième trimestre, selon les statistiques publiées le 19 octobre dernier. Encore qu'il faille être vigilant car l'on sait ce que signifient les statistiques données par un Etat communiste. Sur l'année, le FMI prévoit une croissance inférieure à 2 % contre un recul de 4, 3 % aux Etats-Unis. La comparaison est, dans tous les cas, cruelle. La puissance de la production chinoise a permis d'augmenter sa part des exportations mondiales. Matériel médical et produits informatiques ont été massivement vendus et d'une manière fort opportuniste, après nous avoir exporté la Covid-19, pour suppléer aux pénuries de l'Occident dans ces secteurs. Les plans de relance à la consommation dans les pays occidentaux - en France notamment - ont également dopé la demande d'importations en provenance de la Chine. Bref, la Chine profite aujourd'hui des difficultés de l’Occident. Mais pour combien de temps encore ? 2 % de croissance, c'est bien en deçà de ce que l'on estime nécessaire pour acheter, en Chine, la paix sociale. Nous entrons dans l'hiver avec des risques de pénurie alimentaire qui s'ajoutent à la période estivale précédente qui, elle, a été marquée par une série de catastrophes naturelles. Pour la première fois depuis l'instauration du régime communiste, des millions de personnes se retrouvent sans emploi. Ces chômeurs vont devoir affronter une période difficile et sans bénéficier d'aucune aide de l'Etat.

Michel Fouquin : Nous savons qu’une fois la pandémie écartée la reprise économique sera là, plus ou moins nette. La Chine nous en fait une démonstration particulièrement forte en retrouvant un rythme de croissance de 4.9% de juillet à septembre 2020, par rapport à la même période de l’année dernière, ce qui porterait la croissance pour l’année 2020 entre 1.9% et 2.8% selon les estimations. En d’autres termes la Chine sera parvenue début 2021 à effacer la récession brutale de son économie. La première explication tient à sa maitrise de la pandémie qui, et c’est essentiel, se confirme en ce début du mois d’Octobre, alors qu’un peu partout dans le monde la pandémie est entrée dans une deuxième vague. En d’autres termes tous les freins à la reprise en Chine sont levés, alors qu’ils se remettent en place ailleurs.

La reprise s’est faite en partie sous une forme de rattrapage de tout ce qui était dans les carnets de commande avant le confinement. La reprise est particulièrement forte dans l’industrie et la consommation des ménages a aussi repris, alors que les services sont en peine (tourisme, éducation, transports), . Dans l’industrie la forte demande nationale et internationale de matériel médical a été un accélérateur de la reprise. De même la généralisation dans le monde développé du recours au travail à domicile a été à l’origine d’un boom des achats de matériels électroniques.

Peut-on considérer que ce rebond est une bonne nouvelle car l'économie va repartir en Chine après cette crise ?

Emmanuel Lincot : La propagande du régime entend nous faire croire que c'est le retour du business as usual. Il n'en est rien. Le divorce avec les Occidentaux, le Japon et l'Inde est définitivement consommé. La tension avec l'Union Européenne et les Etats-Unis - que Donald Trump soit réélu ou pas - va s’accentuer et avec elle, la guerre commerciale sera relancée voire la guerre tout court. De ce point de vue, tous les voyants sont au rouge. Frictions autour de Taïwan ou à la frontière indienne et bientôt entre les Etats du Golfe et l'Iran (Téhéran ayant signé un accord de défense avec Pékin et Moscou) s'ajoutent aux nombreux contentieux liés aux transferts de technologie imposés par Pékin aux firmes étrangères, le manque de transparence des subventions publiques et la question des surcapacités industrielles chinoises qui incitent Pékin et ses firmes à pratiquer le dumping. On le voit tout particulièrement avec les pays impactés par le projet des Nouvelles routes de la soie.

Michel Fouquin : Au-delà de ce rebond on peut s’interroger sur la croissance future de la Chine. Il était clair que le rythme de croissance était entré depuis plusieurs années dans une processus de ralentissement progressif aux alentours de 5% par an. Surtout la stratégie annoncée par le Président chinois était de réduire la dépendance de la Chine à l’égard de la croissance du commerce international, ce qui avait été le cas dans les décennies précédentes, d’une part, et par la volonté affichée de construire une économie autonome sur le plan technologique et si possible à l’avant-garde d’autre part. 

Cependant des zones d’ombre existent en Chine et ailleurs dans le monde, et elles ne disparaitront pas du jour au lendemain. Le plus grave sans doute c’est l’aggravation des inégalités sociales exacerbées par la pandémie. En Chine en particulier les travailleurs migrants de l’intérieur sont aussi les plus pauvres et les plus précaires. Ils ont dû retourner dans leurs campagnes, ce qui permet de masquer le problème pendant un certain temps. Il y a ensuite le conflit avec les Etats-Unis qui menace de priver la Chine de débouchés importants et de sources stratégiques de composants de pointe pour son industrie comme par exemple les productions liées à l’économie numérique.

Peut-on considérer que ce rebond est aussi une mauvaise nouvelle car la Chine continue à consolider sa puissance économique pendant que l'Occident, lui, continue à s'affaiblir en raison d’une épidémie que nous ne savons pas gérer ?

Emmanuel Lincot : C’est peut-être le chant du cygne pour ce régime qui se trouve renforcé dans son système de répression mais qui, dans le même temps, se heurte à une résistance de plus en plus grande des pays occidentaux dont l'avancée technologique est encore réelle. Le découplage de l'économie mondiale va coûter cher à tous mais tout particulièrement à la Chine. « L’opposé coopère » écrivait Héraclite : cette crise nous aura décillé les yeux et les dirigeants occidentaux comprennent combien ils ont été naïfs vis-à-vis de ce régime chinois à la fois revanchard et pernicieux. La Chine et son régime comme l'islamisme d'ailleurs (qui sont les deux dangers systémiques majeurs auxquels nous sommes prioritairement confrontés) agissent comme de puissants révélateurs de nos faiblesses. Nous ne remercierons jamais assez nos ennemis de nous avoir permis d'en prendre conscience. Sans le savoir, ils nous aident à nous réarmer, à nous réinventer. Nous avons le temps pour nous. Et nous allons vaincre.

Michel Fouquin : La performance relative de la Chine par rapport au reste du monde en 2020 (plus 2% contre moins 4.4% pour le reste du monde selon le dernier rapport du FMI le World Economic Outlook de septembre 2020) est un argument politique de choix en faveur du système politique chinois notamment vis-à-vis de pays en développement. De plus la Chine a les moyens financiers de ses ambitions comme on l’a vu lors de la promotion de son projet de développement de « nouvelles routes de la soie ». L’excédent courant chinois se maintient à des niveaux particulièrement élevés cette année malgré les mesures de protection prises par les États-Unis.

Par ailleurs l’agressivité manifestée par la Chine à l’égard par exemple de Taiwan, la propagande guerrière de certains média chinois appelant à se préparer à la reconquête militaire de l’ile sont autant de sources d’inquiétude. De même en va-t-il de la reprise en main brutale de Hongkong qui a mis un terme à l’idée d’y maintenir un régime démocratique original.

Cependant l’avance prise par la Chine pendant la pandémie doit aussi être relativisée : d’une part il semble probable qu’un vaccin sera disponible vers la fin de l’année 2020 et dès lors la croissance pourra reprendre dans l’ensemble du monde. D’autre part on peut s’interroger sur la capacité de la Chine à égaler l’occident. D’ailleurs le Président chinois n’envisage la Chine du futur que comme une économie modérément prospère. En termes de revenus par tête le niveau chinois est encore faible : en moyenne le revenu par tête chinois n’est encore qu’à 35% du niveau moyen des pays de l’OCDE, ou encore au quart du niveau de revenu des Etats-Unis. 

Le processus de rattrapage de l’Occident va devenir de plus en plus difficile, d’une part parce que les réserves de gains de productivité liées à la transformation des structures sectorielles de l’économie : ainsi les effets des transferts de l’agriculture à faible productivité vers l’industrie à forts gains s’épuisent. D’autre part il y a la question de la capacité de la Chine à innover radicalement. L’exemple de Huawei me semble appartenir à la capacité chinoise de mettre en valeur les percées technologiques de l’occident au profit d’applications à grand potentiel commercial. La rupture de ses approvisionnements en composants américains pourrait  le mettre en grande difficulté. 

A plus long terme on peut, entre autres,  s’interroger sur la capacité du système chinois de générer des chercheurs capables de développer des innovations radicales dans un système de société hyper contrôlée et qui favorise le conformisme plutôt que l’individualisme.

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