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Décapitation islamiste : est-il encore temps d’arrêter la spirale infernale… et comment ?
©ABDULMONAM EASSA / POOL / AFP

Trop c'est trop

Un professeur d'histoire géographie a été décapité ce vendredi soir à Conflans-Sainte-Honorine. Il avait, après avoir montré des caricatures de Mahomet en cours, subi un harcèlement de la part de familles musulmanes. Trois semaines après l'attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, cette nouvelle attaque sanglante met à mal la résilience des Français.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Atlantico : Un professeur d'histoire géographie a été décapité ce vendredi soir à Conflans-Sainte-Honorine. Il avait, pendant un cours, sensibilisé ses élèves à la problématique de la liberté d'expression et montré des caricatures de Mahomet suscitant par-là les plaintes de certains parents d'élèves. Sur les réseaux sociaux, nombre de commentaires évoquent un climat de guerre civile. Si les Français se sont toujours montrés résilients, à quoi la succession d'attaques islamistes qui ensanglantent la France pourrait-elle malgré tout finir par nous mener ?

Guylain Chevrier : Par-delà l’innommable que nous inspire cet acte de barbarie, il y a un seuil symbolique très fort qui a été franchis avec cet attentat. C’est la liberté d’expression comme principe fondant notre société, dans le lieu même de l’éducation à cette liberté, qui a été frappé de plein fouet. Que ce soit un enseignant, c’est d’une certaine façon le symbole même de notre République, transmetteur de savoir, mais aussi de valeurs et de principes communs, qui a été atteint. La liberté d’enseigner elle-même qui est remise en cause aujourd’hui, le sens même de l’école, de son universalisme aveugle aux différences. C’est aussi celle-ci comme dernière digue face au morcellement identitaire qui progresse. Rappelons-nous les difficultés des professeurs d’histoire à aborder la leçon sur la shoah dans des classes de quartiers populaires, le refus massif d’une catégorie d’élèves de participer à la minute de silence pour les victimes de l’attentat de Charlie-Hebdo…

La multiplication des attentats au nom de l’islam, spécialement contre la liberté d’expression, comme celui d’il y a trois semaines par un Pakistanais devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, suivi par ce qui vient de se produire dont le sentiment d’horreur est indescriptible, tendent à banaliser ces actes aux yeux de ceux pour qui leur religion est sacrée et intouchable. Cela crée une sorte d’incitation, de désinhibition. Cet acte est l’expression aussi, et cela apparait comme un fait nouveau, d’une radicalisation diffuse par-delà le djihadisme qui sévit en général en étant en bande organisée. Ici, il apparait que nous ayons affaire à l’action d’un individu du commun, ayant basculé dans la violence au regard de ce climat délétère autour d’un enseignant harcelé par des réseaux sociaux se déchainant contre lui, à partir de familles musulmanes d’élèves, dont l’intolérance religieuse les a poussés à demander des sanctions voire sa démission, sinon son interdiction d’exercer. Cela, pour avoir simplement fait son travail d’enseignant éclairant les esprits. On ose évoquer un malentendu entre les familles et l’institution scolaire, il n’y en a pas. A-t-on à l’esprit qu’en Algérie il y a quelques jours, dans un Etat nullement séparé du religieux, comme la totalité des Etats arabo-musulmans, on a condamné un homme à dix ans de prison pour « incitation à l’athéisme » ? Le voilà le problème, ce fond de décor avec lequel un trop grand nombre de nos concitoyens musulmans ne parviennent pas à couper le lien, reproduisant un rapport à leur religion qui ne peut être que reconnu par l’Etat et ainsi, dans une toute-puissance à imposer ses normes.

Ce qui vient de se produire est un traumatisme profond qui ébranle les fondements sur lesquels reposent notre démocratie, notre sens de la vie. Il y avait déjà des tensions importantes autour des revendications communautaires à caractère religieux permanentes émanant d’un islam rétrograde : le burkini à la piscine, le halal à la cantine, le rejet de tel médecin parce que de sexe masculin pour soigner une femme, entendre imposer des accommodements religieux dans l’entreprise qui n’ont rien à y faire, jusqu’au refus de petits garçons de prendre la main de petites filles pour motif religieux à l’école primaire… Le risque, si les mesures prises ne sont pas à la hauteur de cela, c’est de voir une partie de nos concitoyens, se retourner contre nos concitoyens de confession musulmane, et que des heurts graves surviennent, car il y a beaucoup de colère après ce qui vient de se passer et ce, alors qu’à chaque attentat on nous dit « unité, il ne faut pas se diviser.» Il est certain que cela ne suffira pas aujourd’hui, il y a comme un point de non-retour qui a été atteint qui pointe le risque bien réel d’une guerre civile annoncée, car on nous fait bien la guerre déjà. Rappelons que selon l’enquête de l’Institut Montaigne « Un islam français est possible », près de 30% de nos concitoyens de confessions musulmanes portent la loi religieuse, la charia au-dessus de la loi commune et/ou considèrent leur religion comme un instrument de révolte contre la société. Nous sommes entrés dans la zone d’alerte de tous les dangers. On soulignait vendredi soir que sur les réseaux sociaux on voyait certains se réjouir de ce qui vient d’arriver, et ce n’est plus un phénomène marginal, mais qui s’amplifie à chaque vie enlevée alimentant la violence et sa banalisation. Le maire de Conflans-Sainte-Honorine déclarait sous ces sombres auspices : « Ca peut toucher n’importe quelle ville ». Oui, sous cette forme, cela peut maintenant frapper partout.

Gilles Clavreul : Ce crime abominable n’est pas le premier de la longue série d’attentats islamistes, mais il marque le franchissement d’un nouveau seuil. Ce n’est ni le crime de masse comme le Bataclan ou le 14 juillet à Nice, ni l’opération dirigée contre des ennemis « systémiques » que sont les Juifs, les policiers ou les caricaturistes, ni non plus l’assassinat opportuniste du passant choisi au hasard. Là, on cible un homme en particulier : c’est un enseignant, mais il n’est pas choisi au hasard. On le tue et on le décapite – c’est-à-dire qu’on veut souiller son cadavre au-delà de la mort – parce qu’il a osé parler de la liberté d’expression dans le cadre du cours d’éducation morale et civique (EMC). C’est un fonctionnaire victime du devoir qui a donc été abattu par une idéologie ennemie.

Le choc est, bien sûr, épouvantable pour les enseignants. Par culture et par état d’esprit, c’est peut-être la corporation la moins susceptible de basculer dans le revanchisme et la haine, mais le traumatisme, si je puis dire, n’en sera que plus terrible : pourquoi ? pourquoi nous, qui ne faisons qu’enseigner, qui nous débrouillons, au quotidien, avec des problèmes sociaux, individuels, psychologiques…et même pédagogiques, de tous ordres, qui affrontons les questionnements légitimes de nos élèves ? Pourquoi nous, qui plaçons tous nos espoirs sur la puissance émancipatrice du savoir, qui croyons aux vertus du débat, qui opposons patiemment la connaissance aux passions ? Il va y avoir une onde de choc terrible parmi les 900000 enseignants français. Notre devoir à tous est d’être près d’eux, de les soutenir et de leur montrer que les Français sont solidaires.

Je ne crois pas à la guerre civile, parce que les Français sont plus civilisés qu’on ne pense. Ils ont parfaitement compris que les islamistes étaient dans la provocation permanente, et le fait est qu’ils y répondent avec un stoïcisme – je préfère cela au mot très galvaudé de « résilience » - digne d’éloges. Cependant, l’idée qu’à intervalles réguliers, certains d’entre nous se fassent découper en rondelles aux cris « d’Allah ou Akbar », sans que cela suscite davantage qu’une condamnation révulsée, ce n’est plus possible non plus. Il faut le dire nettement : contre l’islamisme, on finasse trop, depuis trop longtemps. Ce n’est pas au moment où le plus dingue se saisit d’un couteau pour égorger qu’il faut réagir : il faut s’occuper de tous ceux qui ont armé ce bras. Or on commence à peine…

Dans quelle mesure peut-on considérer que les discours sur l'islamophobie supposée de la société française nourrissent aussi les ressentiments victimaires qui mènent à ce genre de crime ? Les critiques de Charlie Hebdo et notamment ceux qui se font fait entendre pour critiquer la republication des caricatures devraient-ils assumer une part de responsabilité ?

Guylain Chevrier : On sait combien l’usage même du terme « islamophobie », fait pour interdire toute critique de l’islam en l’amalgamant à une phobie et ainsi, à une forme de racisme, est un poison qui propage l’intolérance religieuse. On se demande comment la Commission nationale consultative des droits de l’homme a pu en faire l’une de ses références dans son rapport annuel sur la lutte contre le racisme. La manifestation du 10 novembre dite contre « l’islamophobie » a été un point culminant d’hystérisation dans ce domaine. Elle a été animée par des militants de l’islam politique comme Madjid Messaoudène , qui s’est moqué de l’émotion créée par les attentats de Mohamed Merah qui avait tiré à bout touchant dans la tête de jeunes enfants ou Marwan Muhammad, ancien directeur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) qui a fait reprendre en cœur Allah Akbar en fin de manifestation, cette organisation qui a multiplié les procès contre des intellectuels pour tenter de les faire taire en annihilant la liberté d’expression et qui continue de sévir. Tout un conglomérat s’est inscrit dans cette démarche justifiant l’interdiction du blasphème, du NPA qui n’était « Pas Charlie » à la France insoumise accueillant dans ses rangs des indigénistes et autres militants de l’islam politique, en passant par Philippe Martinez à la tête de la CGT livrant la lutte syndicale à ce cloaque, jusqu’à la Ligue des droits de l’homme piétinant les droits qu’elle est censée défendre… Une manifestation qui en dit long sur l’état de déliquescence de notre démocratie face au danger islamiste.

Marika Bret, DRH à Charlie Hebdo, dans une interview donnée au Point après avoir dû quitter son domicile dans le contexte du procès des attentats de 2015, exfiltrée par des policiers au regard des menaces terroristes qui pèsent sur elle, « dénonçait « le climat de haine » alimenté par Jean-Luc Mélenchon : «Il a partagé sur les réseaux sociaux un dessin de la revue Regards qui faisait parler les morts de Charlie pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils ont toujours pensé… Et lorsqu’un internaute l’a interpellé sur ce dessin plus que douteux, Jean-Luc Mélenchon lui a répondu que le Likoud le rendait fou. Ce propos de la part d’un responsable politique est une infamie. » (Mélenchon ou la République à géométrie variable)

On se rappelle que le pape François s'était immiscé dans le débat sur la liberté d'expression après l'attentat meurtrier contre Charlie Hebdo, jugeant que ce "droit fondamental" n'autorisait pas à "insulter", "offenser", se moquer de la foi d'autrui, pour préciser : "si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing, et c'est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision". L’Eglise catholique s'illustrait ici pour le pire par cette justification. N’oublions pas non plus que tout fut fait pour empêcher la publication de ces caricatures par le CFCM qui les a condamnés et la plainte, entre autres, de l’Union des organisation islamiques de France (l’UOIF), contre Charlie Hebdo, pour tenter de faire entrer dans notre droit la condamnation du blasphème. On attend toujours des instances religieuses musulmanes de France la moindre remise en cause des sourates du coran invitant au djihad ou à la discrimination des femmes.

Quelques éléments d’un sondage Ifop pour l'hebdomadaire Charlie Hebdo début septembre révélait que si 59% des Français soutenaient la publication des caricatures du prophète, plus 21 points par rapport à 2006. En revanche, 69% des musulmans français interrogés pensent que les journalistes "ont eu tort" de publier ces dessins, "car cela constituait une provocation inutile". 8% des Français, dont 18% des musulmans, ne condamnent pas l'attentat contre Charlie Hebdo. Une statistique qui prend de l'ampleur chez les 15-24 ans, avec 26% des jeunes Français musulmans qui ne condamnent pas les djihadistes. 40% des musulmans font passer leurs convictions religieuses avant les "valeurs de la République". Chez les jeunes musulmans de moins de 25 ans, le pourcentage est de 74 %. Voilà l’état de la situation dans laquelle nous sommes. On ne stoppera ce mouvement de communautarisation qu’en s’attaquant aux racines de cet état des choses, à cet état de pensée.

Gilles Clavreul : Dans quelle mesure les idées commandent aux actes ? Vaste question, pour partie indécidable : il s’agit moins de connexions établies, d’organisations structurées, d’ordres directs, que d’un climat diffus, d’un acquiescement tacite au passage à l’action, d’un assentiment collectif adossé à un discours qui travaille en profondeur et dans la durée l’imaginaire des individus. Il faut tout un village pour élever un enfant, dit le proverbe africain ; de même, il faut tout un écosystème islamiste pour fabriquer un terroriste. Mais l’écosystème en question ne fabrique pas que des meurtriers : il a aussi ses idéologues, ses cadres, ses employés discrets, ses braves gens. Toute la difficulté qu’affrontent les pouvoirs publics d’une société démocratique comme la nôtre, c’est que pour démonter tout cet écosystème, il ne suffit pas de démanteler des filières terroristes : il faut aussi – et en réalité il faut surtout – perturber la formation de cette « bonne société fréro-salafiste », celle qui tambourine sur les réseaux sociaux contre « les lois islamophobes », qui soutient l’islamiste Idriss Sihamedi et qui trouve grâce auprès de tant de relais d’opinion, universitaires militants et journalistes engagés peu au fait des réalités des quartiers populaires.

C’est dans cet écosystème que se fabrique, non les assassins eux-mêmes, mais le ressentiment contre une France jugée raciste. Face à cela, j’aimerais bien que les réponses socio-économiques, la lutte contre les discriminations et la fin des ghettos, indispensables par ailleurs, soient efficaces. Mais je ne le crois pas : les idéologues de l’islamisme sont désormais, pour la plupart, des représentants des classes moyennes inférieures, diplômées et intégrées. Et leur force n’est pas le nombre, mais la véhémence et l’esprit de suite.

Ces leaders d’opinion, qui tentent souvent de se présenter comme une partie de la solution, sur le mode « nous sommes les élites musulmanes, acceptez nos valeurs et nous serons des modèles pour nos frères », sont en réalité une partie du problème, sinon le problème lui-même. A l’image des corps intermédiaires du « vieux monde », ils sont sans cesse tiraillés entre une volonté d’interlocution avec les pouvoirs publics, et des gages donnés aux attentes, réelles ou supposées, à une base dont ils craignent à tout instant qu’elle ne soit séduite par un discours plus radical. D’où cette surenchère permanente, et cette complaisance envers des discours violemment anti-flics, anti-laïcité, voire anti-Français. Lorsque cette hostilité devient une doxa, que la haine y soit permise voire encouragée, explique largement que les plus déterminés, ou les moins stables, finissent par passer à l’acte. A plus forte raison s’ils n’appartiennent au groupe que de loin mais s’imprègnent de sa doxa via les réseaux sociaux.

Emmanuel Macron et le gouvernement ont porté la thématique des séparatismes et de la laïcité pour éviter de trop focaliser leur discours sur l'islamisme radical. Ce type d'attaque ne prouve-t-il pas plutôt que ceux des islamistes prêts à passer à la violence sont plus dans une volonté d'imposer leur volonté au reste des Français que de développement "séparé" ?

Guylain Chevrier : On donne à voir ici un comportement plus motivé par la volonté d’en découdre avec notre société que de se mettre à part pour vivre entre soi. Au regard de la problématique du passage à l’acte d’individus du commun, comme ce jeune de 18 ans, cela étant, les deux sont liés, la radicalisation religieuse s’enracinant dans le phénomène de mise à part. Mais au lieu d’aller sur ce terrain avec les pincettes du terme "séparatisme", descriptif d’un risque de division, il vaudrait mieux en désigner la cause, le communautarisme islamique. Ce mouvement d’enfermement dominé par une logique de la foi au-dessus de tout amenant ces croyants à s’isoler, avec ce que cela peut engendrer de montée des tensions et des antagonismes, est une cocote minute. C’est ce communautarisme qu’il faut combattre, car nous sommes bien informés par différents rapports, dont du Sénat sur la radicalisation religieuse, qu’il en est le principal terreau, et ainsi un terrain de chasse pour les endoctrineurs. C’est aussi que nous n‘en sommes plus au risque du "séparatisme", mais qu’il est là. Le travail des endoctrineurs sur les réseaux sociaux est d’autant plus puissant qu’il s’adresse à des individus qui peuvent être déjà dans ce schéma, qui constituent un terrain d’accroche jusqu’au passage à l’acte.  C’est dans ce contexte fermé où tout se réfère au religieux que l’on voit se produire la rencontre de deux formes du "hors-la-loi", celle de la délinquance avec celle de l’islamisme, proposant à l’individu une lecture renversée de sa délinquance comme voie bénie, puisqu'en opposition à un Etat mécréant qui rejetterait sa religion. Pour que l’élu en arrive à tuer tout en se faisant tuer, il reste par l’endoctrinement religieux à inculquer que la vraie vie serait après la mort, celle d’un paradis dont la qualification suprême passerait par le martyr. En ne condamnant pas comme on le devrait on banalise aussi ce hors-la-loi, et on favorise par l’absence d’une sanction proportionnée, qui pose la limite, la déviance. Il faut revenir vers une éducation à la loi par son intériorisation le plus tôt possible, qui protège contre cette fragilisation exposant au risque de l’endoctrinement.

Gilles Clavreul : Je dirais l’inverse : Emmanuel Macron a mis l’accent sur l’islamisme radical mais il a précisé d’entrée de jeu que « la laïcité [n’était] pas le problème »…avant d’annoncer un projet de loi renforçant la laïcité. Or, si la laïcité n’est pas le problème, force est de constater qu’une minorité de Français ont un gros problème avec la laïcité. Et avec l’égalité entre les femmes et les hommes. Et avec l’acceptation de l’homosexualité. Et avec les juifs. Et j’en passe. Refuser de lier lutte contre l’islamisme et combat pour la laïcité est une erreur conceptuelle : c’est la laïcité qui fixe le cadre, en France, qui protège la liberté contre les mainmises religieuses. Et cela s’étend à l’ensemble de la société, et pas à l’Etat uniquement : l’article 1er de la Constitution dit que la France est une « République…laïque ». C’est la République qui est laïque, et pas seulement l’Etat.

Voilà pour les principes, mais les principes ne valent que s’ils sont suivis d’effet. J’ai soutenu l’orientation globale du discours du Président de la République le 2 octobre et j’ai salué son évolution sur ces sujets. Mais nous sommes rattrapés par le réel : cet assassinat atroce, qui s’inscrit dans un contexte de pressions islamistes constantes, notamment depuis l’ouverture du procès de Charlie, imposent de changer de braquet. Radicalement. Le plan tel qu’il a été présenté par le Président est à mon avis déjà obsolète. Il faut aller plus loin, bien plus loin que ce qui est envisagé pour l’instant – sans tout attendre de la loi : c’est surtout la mentalité collective qu’il faut faire évoluer.

De toute façon, il ne faut pas s’imaginer que les enseignants retourneront sagement dans les classes après les vacances, ni que la société française dans son ensemble n’acceptera de considérer qu’après tout, entre le Covid et la crise économique, ces attaques terroristes passent par pertes et profits. Cet acquiescement serait mortifère, et je crois qu’il profiterait à tous les populistes capables de s’emparer de la colère et du rejet qu’il ne manquerait pas de susciter.

Comment sortir de la spirale infernale dans laquelle la France s'enlise ?

Guylain Chevrier : Il y a eu de graves erreurs qui se sont accumulées. Puisque nous parlons de l’école, on a vu depuis une vingtaine d’année un net recul de la pensée universaliste, à laquelle on oppose le relativisme culturel, où pour faire bonne mesure toutes les cultures se valent, les critiquer équivalant à de la discrimination, du racisme. Ce qui ne permet plus de comprendre la place de la raison, de la pensée spéculative, critique, s’appuyant sur la connaissance et les enseignements de l’expérience, dans l’établissement de la modernité démocratique, de la liberté de l’individu s’émancipant du poids de la tradition ou/et de la religion. Mettre en cause le statut inférieur des femmes qui dans certaines cultures les condamne à l’analphabétisme contraire au développement ou encore, montrer qu’une forte fécondité liée à des croyances religieuses qui interdisent la contraception contribue à l’appauvrissement des sociétés, est devenu tabou. La volonté d’intégrer les élèves par la reconnaissance de leurs différences à travers l’enseignement du fait religieux à l‘école, en introduisant dans les programmes des références qui dépassent leur place naturelle dans l’histoire ou la littérature, pour leur faire un sort particulier au nom de l’idée selon laquelle, mieux on connait la croyance de l’autre et mieux on adoucit les mœurs, est un leurre et un échec absolu. Et pour cause, ce n’est pas parce que protestants et catholiques ignoraient la religion de l’autre que les Irlandais du Nord se sont entretués pendant des années, mais parce que leur conflit politique avait pris une tournure religieuse, ou encore les musulmans et les juifs en terre palestinienne, alors qu’ils connaissent aussi très bien ce qu’il en est de l’autre, mais tant que ce conflit se portera sur le versant religieux et non politique, ils continueront de se faire la guerre. Comment comprendre que l’on puisse accepter que des accompagnatrices voilées encadrent des sorties scolaires, fussent-elles mères d’élèves, en étant de fait, en encadrant non leur enfant mais un groupe, à une place qui celle d’un agent du service public? Et ainsi, censées respecter une neutralité de l'école qui est l’un de ses principes fondateurs. C’est jeter la confusion sur le sens même de l‘Etat laïque et encourager le communautarisme comme exemple à suivre.

On sous-estime ce que représente la croyance, la foi, comme forme irrationnelle du rapport au monde qui, lorsqu’elle domine, est ainsi un danger absolu pour la libre pensée, pour tout ce qui n’est pas elle, comme nous l’avons connu en France avec trente ans de guerres de religions effroyables d’horreurs, de massacres, au XVI e siècle. Nous avons la mémoire courte. Rien n’est différent avec l’islam si on laisse au sein de cette religion murir une pensée collective qui se retourne contre notre société au nom du caractère sacré de la foi. Nous avons su imposer par la séparation des Eglises et de l’Etat, la liberté, en s’opposant à une Eglise catholique qui entendait continuer d’exercer sa domination. Nous sommes aujourd’hui entrain de refaire cette expérience avec une grosse minorité au sein de l’islam, qui conteste cette séparation et ainsi, rejette notre République laïque. Et au sein de cette minorité, il faudrait commencer par interdire le salafisme, qui fait flores dans les quartiers et surtout auprès des jeunes, proposant de revenir au mode de vie du prophète. Une régression aux mœurs et mode de vie du VIIe siècle, qui a ainsi été laissé s’installer sur notre territoire, une véritable contre société intolérable antagonique avec notre République.

Comment comprendre cette volonté ancienne, que prolonge le président de la République, de vouloir voir à tout prix la solution aux problèmes dans l’accompagnement par l’Etat de l’organisation du culte musulman ? C’est tout d’abord assigner nos concitoyens de confession musulmane à leur religion avant tout, ce qui est un encouragement à ce qu’ils se pensent comme communauté au lieu que comme citoyen, et c’est aussi rompre avec la laïcité de l’Etat, qui le fait être indifférent aux différences de chacun pour en garantir les droits. C’est affaiblir la République. Il faut passer de cet encouragement au droit à la différence justifiant un droit de se mettre à part, à une politique de l’Etat qui se concentre sur une volonté sans faille à imposer nos valeurs et principes communs favorable à l’intégration de chaque élève dans notre République sans accommodements ni compromis. Ce qui passe par une bataille idéologique implacable de la liberté contre l’obscurantisme.

Gilles Clavreul : Pour moi, le problème n’est pas la force de l’ennemi, le problème c’est notre faiblesse. L’Etat, la puissance publique en général si j’étends aux collectivités locales, aux hôpitaux, à la sécu et aux entreprises publiques, lutte contre l’islamisme avec un élastique dans le dos. Cet élastique, c’est un mélange de prudences légitimes – ne pas bousculer, ne pas stigmatiser – de réticences plus idéologiques quant aux responsabilités et aux causes profondes de la révolte islamiste – et enfin d’ignorance, voire de franche incompétence. Pour avoir un avis qualifié sur la progression de l’islamisme dans les quartiers populaires, il faut non seulement y aller souvent, mais aussi être en contact avec les professionnels de la sécurité et du renseignement. Je milite depuis longtemps pour une réorganisation en profondeur des administrations qui s’occupent, de près ou de loin, de citoyenneté : laïcité, lutte contre la radicalisation, lutte contre le racisme et les discriminations, et même politique de la ville et intégration…ce sont des sujets connexes. Ils doivent traités en cohérence avec les remontées de terrain des préfets, du renseignement territorial et de la DGSI. Aujourd’hui, cette synergie n’existe pas.

 Mais le volet technique n’est pas suffisant. Plus le temps passe, plus le problème s’aggrave. Et plus il s’aggrave et plus il devient évident que des solutions qui, hier, ne s’imposaient pas, vont s’imposer d’elles-mêmes d’ici peu de temps. Je pense à la mise hors-jeu des organisations islamistes, c’est-à-dire notamment les courants fréristes et salafistes, ainsi que le Tabligh et les fondamentalistes chiites. On avait prêté peu d’attention à la proposition de Manuel Valls en 2017, consistant à « interdire le salafisme ». Le Premier ministre Edouard Philippe l’avait alors balayée en ces termes : « on ne peut pas interdire une idée ». On ne peut certes interdire une idée, mais on peut dissoudre les associations qui s’en réclament, dès lors que ces idées appellent à la haine ou menacent la République : c’est ainsi qu’est née, en janvier 1936 la législation contre les ligues factieuses, toujours en vigueur et qu’on n’applique qu’avec parcimonie.

 Il y a plusieurs angles d’appréhension du sujet : si on pense à l’intégration des descendants de l’immigration et à l’ancrage de l’islam dans le paysage national, je n’ai aucune inquiétude concernant la vaste majorité des Français de confession musulmane. Cela se passe très bien, contrairement à ce que certains veulent faire croire, et même de mieux en mieux. En revanche, si on parle de cette minorité importante, de l’ordre d’un quart à un tiers des musulmans visant sur notre sol, qui respectent les lois du bout des lèvres mais n’adhèrent pas, en leur for intérieur, aux lois de la République ni ne partagent – ce qui est plus grave – le corps de valeurs que la société française reconnait siennes, alors il est évident que les ajustements techniques, pas plus que les discours balancés, ne peuvent suffire. Il faudra montrer une détermination bien plus forte pour montrer que nos principes de vie ne sont pas des « exigences minimales de la vie en société », formule révélatrice du Conseil Constitutionnel par sa pauvreté et son défaitisme, mais bien des exigences maximales et non négociables.  

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