Gestion du Covid : non, quelques perquisitions chez des ministres ne sont pas la preuve d’une bonne santé démocratique <!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Salomon, Edouard Philippe, Olivier Véran, plaintes, perquisitions, justice, enquête, crise sanitaire, covid-19, coronavirus
Jérôme Salomon, Edouard Philippe, Olivier Véran, plaintes, perquisitions, justice, enquête, crise sanitaire, covid-19, coronavirus
©BERTRAND GUAY / AFP

Plaintes

Des perquisitions ont été menées aux domiciles et bureaux d'Olivier Véran, Edouard Philippe, Agnès Buzyn, Jérôme Salomon et Sibeth Ndiaye ce jeudi dans le cadre d'investigations liées à la gestion de la crise du coronavirus. Qu'espère-t-on démontrer avec une telle procédure ?

Hervé Lehman

Hervé Lehman

Ancien juge d’instruction, avocat au barreau de Paris, Hervé Lehman est l’auteur de Justice, une lenteur coupable (2002). Il a participé à la rédaction du rapport de l’Institut Montaigne sur la réforme de la Justice (Pour la Justice). Il est l'auteur du livre "Le procès Fillon" (Cerf, mars 2018) et vient de publier "L’air de la calomnie- une histoire de la diffamation" aux Editions du Cerf (2020). 

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Atlantico.fr : Dans le cadre de l’information judiciaire pour "abstention de combattre un sinistre" ouverte par la Cour de justice de la République le 7 juillet dernier, les domiciles et bureaux d'Edouard Philippe et d'Olivier Véran ont été perquisitionnés jeudi. Qu'espère-t-on démontrer avec une telle procédure ?

Hervé Lehman : Ces perquisitions chez un ministre en exercice et l’ancien Premier ministre prennent à contrepied ceux qui pensent que « la Justice » est aux ordres du pouvoir en place. La réalité est plus complexe : les juges sont indépendants, le parquet ne l’est pas, et la Cour de Justice de la République est une institution judiciaire tout à fait particulière. Elle est compétente pour juger les infractions commises par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Elle est composée de magistrats, de députés et de sénateurs, mais la commission d’instruction ne comprend que des magistrats, souvent d’anciens juges d’instruction. Rappelons qu’Emmanuel Macron avait le projet de supprimer cette institution pour faire revenir les ministres dans la procédure de droit commun. 

La Cour de Justice de la République a été saisie de nombreuses plaintes contre les ministres en charge de la gestion de la crise sanitaire. La commission d’instruction recherche donc des preuves d’éventuels délits commis par ces ministres qui n’auraient pas pris les mesures permettant un meilleur bilan humain, et notamment le délit d’abstention de prise  de mesures permettant de combattre un sinistre. La saisie des dossiers de travail, et surtout des échanges de mails qui sont aujourd’hui une source précieuse et abondante de preuves, pourrait mettre en évidence le fait que telle ou telle mesure, par exemple le port du masque, n’a pas été prise alors que les ministres savaient qu’elle permettait d’éviter des contaminations.

Une enquête parlementaire ne serait-elle pas plus indiquée pour traiter ces faits ? Le parlement en a-t-il les moyens ?

Les politiques se font aujourd’hui rattrapés par une de leur dérive : l’obsession du tout pénal. Dès que l’on vote une loi, celle-ci prévoit des incriminations pénales nouvelles. L’arsenal légal comprend plus de dix-sept mille infractions. Trouver aujourd’hui une loi qui pénalise n’importe quel comportement n’est pas très difficile. Par exemple, Christine Lagarde a été condamnée par la Cour de Justice de la République, pour négligence dans la gestion des fonds publics pour ne pas avoir fait appel de la sentence arbitrale du dossier Tapie.  

Cette dérive pénaliste du législateur trouve particulièrement à s’appliquer avec le sacro-saint principe de précaution. L’idée se développe que s’il y a une victime, il doit y avoir un responsable pénalement sanctionné. Or, il y a là une grave confusion. Lorsqu’un ministre prend une décision politique, comme par exemple encourager  ou décourager le port du masque alors qu’il y a une pénurie de masques, il ne commet pas un délit. Il prend une décision politique. C’est peut-être la bonne, c’est peut-être la mauvaise, seule l’Histoire le dira, et encore, cela dépend souvent de la lecture de l’Histoire que chacun fait. Arrêter  le nucléaire, est-ce prévenir des sinistres, ou en provoquer d’autres ? Vaut-il mieux, pour la santé publique, le charbon ou le nucléaire ? Ce n’est pas au juge pénal de le dire, c’est au peuple de choisir et de sanctionner lorsqu’il s’exprime par le suffrage universel.

La responsabilité d’Edouard Philippe et d’Olivier Véran, c’est une responsabilité politique. On s’est beaucoup moqué de Georgina Dufoix dans l’affaire du sang contaminée lorsqu’elle avait dit qu’elle était responsable mais pas coupable, alors que c’était tout à fait exact : elle était politiquement responsable mais pas pénalement coupable, et elle a d’ailleurs finalement été relaxée. Plus encore, il est évident que les décisions importantes ont été prises par le président de la République qui, lui, jouit d’une immunité judiciaire. Alors, rechercher la responsabilité pénale de ministres qui mettent en œuvre la politique décidée par le président n’a aucun sens.

En attendant les élections au cours desquelles le peuple dira ce qu’il pense de la façon dont Emmanuel Macron et son gouvernement ont géré la crise sanitaire, la Constitution prévoit que le Parlement contrôle l’action du gouvernement. C’est à lui, en effet, que revient, à travers les commissions d’enquête parlementaire, le rôle de rechercher et de mettre à jour les erreurs qui ont pu être commises. Ces commissions n’ont pas le même pouvoir que le juge pénal, puisqu’elles ne peuvent pas procéder à des perquisitions, mais est-il normal de perquisitionner chez un ministre en exercice pour rechercher comment il fait son travail, en appliquant les mêmes méthodes que pour les trafiquants de drogue ?

Cette procédure aura-t-elle des suites ou n'est-ce qu'un coup d'épée dans l'eau ? 

Ce n’est  que le début d’une longue procédure. Si l’on voit les précédents, elles ont plutôt accouché de souris, Laurent Fabius et Georgina Dufoix ont été relaxés dans l’affaire du sang contaminé, Edmond Hervé dans la  même affaire et Christine Lagarde dans l’affaire Tapie ont été symboliquement condamnés. Tout ça pour ça…

Mais il y a plusieurs conséquences graves. La première est que cela conforte la méfiance des Français vis-à-vis des politiques : si les juges perquisitionnent chez les ministres, c’est que ceux-ci sont suspects, et, comme on sait, il n’y a pas de fumée sans feu. La seconde est que la menace pénale paralyse les acteurs de la vie publique. C’est vrai pour les maires qui craignent d’être pénalement poursuivis pour le moindre accident, et cela le devient pour les ministres. Or la peur n’est pas bonne conseillère. Le politique accepte d’être battu aux prochaines élections, il ne mérite pas de souffrir les affres de la justice pénale comme s’il était un voyou, en dehors des cas, bien sûr, où il a un comportement malhonnête. La troisième conséquence est que pendant ce temps-là, les juges ne s’occupent pas de la vraie délinquance qui appelle une réponse plus rapide.

Hervé Lehman vient de publier "L'air de la calomnie - Une histoire de la diffamation, d'Oscar Wilde à Denis Baupin" aux éditions du Cerf.

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