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Révolution tactique du champ de bataille classique
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Stratégie

Les conflits récents connaissent des transformations sur le champ de bataille avec la recrudescence des drones et le recours à la guerre électronique.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les stratèges qui étudient l’évolution de l’art de la guerre s’en doutaient depuis longtemps mais les conflits récents conduits en Syrie, puis en Libye et enfin (et peut-être surtout) entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan où deux armées classiques s’affrontent en terrain clos sont venus confirmer leurs craintes : le champ de bataille "classique" tel qu’il pourrait avoir lieu en Europe est complètement modifié par deux techniques qui ont fait des progrès considérables : les drones et la guerre électronique. En troisième, les augmentations de performances de l’artillerie sol-sol viennent compléter le tableau.

Depuis le déclenchement de l’offensive azérie lancée le 27 septembre 2020, les pertes évaluées des deux côtés sont importantes même si Bakou ne communique pas sur les siennes. Surtout, ce sont les matériels lourds qui sont les premières victimes visibles de dizaines de drones armés (ou kamikazes) engagés journellement jusqu’au cessez-le-feu du 10 octobre. De jour comme de nuit, ces armements lourds sont relativement faciles à repérer en particulier grâce à l’imagerie infrarouge. La seule parade tactique qui semble avoir fonctionné dans quelques cas est l’emploi de leurres qui ont fait dépenser des munitions inutilement. La première constatation est que des engins extrêmement chers (chars de bataille, pièces d’artillerie, batteries sol-air, etc.) sont très vulnérables à l’action des drones qui eux, sont relativement économiques et faciles à manier. Cela révolutionne la conception de la bataille classique (hors nucléaire) qui pourrait avoir lieu en Europe car c’est la fin de l’idée même de puissance de grands corps blindés et mécanisés tels qu'ils ont été conçus depuis les années 1950 qui est mise à mal. Les États-majors n’ont pas attendu ce constat pour diminuer le nombre de leurs chars lourds, mais c’était plus dans une logique comptable que tactique.

Pour compléter le tableau, la guerre électronique (qui est loin d’être une nouveauté) vient gêner le développement des aides aux décisions présentes partout sur le champ de bataille qui passent par des communications satellitaires. À savoir que les écrans de localisation et de guidage qui sont présents jusqu’au niveau de la section de combat peuvent être brouillés à tout moment par les contre-mesures adverses et, comme il est d’usage, les communications radio interceptées. Même si elles sont extrêmement difficiles à décrypter, surtout dans un temps rapide qui permet leur exploitation optimale, elles représentent un risque de localisation de l’émetteur et sa possible neutralisation par un tir d’opportunité.

Il y a aussi une amélioration de l’efficacité de l’artillerie sol-sol dans les domaines de la portée et de la précision des tirs qui ne se font plus après un réglage initial. Le tir "efficacité" se fait désormais d’emblée.

Cela veut-il dire qu’il va falloir revenir en arrière pour reprendre des techniques de l’ancien temps ? Le Hezbollah l’avait fait dans en 2006 dans la guerre qui l’avait opposé à Tsahal. La plupart des communications passaient par des réseaux filaires et par agents de liaison comme durant la Grande guerre.

La défense contre les drones va remettre sur le devant de la scène la lutte anti-aérienne qui était passée au second plan car aucun adversaire ne pouvait concurrencer les aviations modernes occidentales, russes, chinoises, etc.. Et contre une multitude de drones peu coûteux, il serait vain de vouloir employer des missiles sol-air qui sont, eux, très chers. Va-t-on devoir revenir au bon vieux canon de 40 mm ?

De plus, au sol, les matériels devront bien sûr continuer à développer des moyens de camouflage (en particulier thermiques même si ces derniers sont d’une efficacité limitée, le meilleur camouflage étant quand les moteurs des véhicules sont éteints et froids; les Serbes l’avaient bien compris en 1998-99 en faisant déplacer leurs blindés la nuit par des attelages de bœufs) et de défense anti-aérienne rapprochée, la vénérable 12,7 a encore de beaux jours devant elle.

Il va peut-être falloir revenir à des fondamentaux comme l’étude de la topographie sur des cartes papier avec une vieille boussole (une horreur pour les jeunes générations).

Comme toujours, la lutte entre la lance et le bouclier va se poursuivre. En matière de guerre électronique, il va certainement être possible de brouiller les liaisons existant entre les opérateurs et leur engin volant. C’est déjà le cas dans le domaine de l’aviation classique, les pilotes de Mirage 2000 émiratis ne s’aventurant plus au dessus de Tripoli car toute leur avionique est saturée par les contre-mesures mises en œuvre par les spécialistes turcs présents au sol et en mer depuis la fin 2019.

Enfin et surtout, comme on le hurlait dans l’infanterie dans les années de la Guerre froide : "les distances bordel !" va revenir à la mode. Les militaires ne sont pas en train de tourner un film où tout le monde doit être présent à l'écran! En effet, bien que nombre de pays aient abandonné les charges à sous-munitions, ce n’est toujours pas le cas pour les plus grands, États-Unis, Russie, Chine, Inde, tout le Maghreb, etc. et ce type d’armes peut faire des ravages dans les regroupements de véhicules ou de personnels à terre (qui eux aussi sont très repérables par les caméras thermiques).

Aux spécialistes de pondre de nouvelles tactiques qui prennent en compte les menaces actuelles.

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