Alexandre Adler : "La liberté turque est une cause aussi juste que la défense de l’Arménie"<!-- --> | Atlantico.fr
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Recep Tayyip Erdogan Turquie Arménie Azerbaïdjan Haut Karabakh
Recep Tayyip Erdogan Turquie Arménie Azerbaïdjan Haut Karabakh
©ADEM ALTAN / AFP

Haut-Karabakh

Alexandre Adler décrypte les enjeux du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et évoque le rôle de la Turquie.

Alexandre Adler

Alexandre Adler

Alexandre Adler est historien et journaliste, spécialiste des relations internationales.

Il est l'auteur de Le monde est un enfant qui joue (Pluriel, 2011).

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Atlantico.fr : Alexandre Adler, avec votre regard d’historien-géopoliticien, vous avez suivi avec intention ces derniers jours les conflits de plus en plus violents entre l'Azerbaïdjan indépendant et l’Arménie. Que vous inspire cette actualité ?

Alexandre Adler : Le sentiment de son extraordinaire complexité. Je suis tout à fait opposé aux jugements à l’emporte-pièce masqués par le fait que nous avons évidemment une idée terrible de Erdogan, l’un des personnages les plus négatifs de la conjoncture internationale.

Sauf que je souhaiterais dire une chose : cette détestation générale à l’égard d’Erdogan ne signifie pas qu’on doive donner un blanc-seing complet à une stratégie purement arménienne (c’est, soit dit en passant, l’attitude du premier ministre russe Lavrov, qui utilise la diplomatie russe actuelle pour déstabiliser l’Azerbaïdjan sous prétexte de soutenir l’Arménie).

On ne peut nier la diabolisation complète de l’Azerbaïdjan qui sévit dans notre intelligentsia française.

Les Russes cherchent aujourd’hui un équilibre. Cet équilibre ne vise pas à abandonner l’Arménie complètement, mais à créer une balance jusqu’au bon compromis. Ce bon compromis signifie notamment que le Karabakh (« le jardin noir ») largement arménien restera évidemment sous le contrôle de l’Arménie.

Le président de l’Azerbaïdjan lui-même, Aliyev, dans sa sagesse, ne souhaitait rien d’autre. Il y a encore, je crois, des positions intermédiaires pour éviter la guerre et les centaines de morts (dans les deux camps) de la semaine dernière.

Vous avez certainement lu la tribune des 176 personnalités politiques (maires, députés et sénateurs) publiée dans le JDD (Journal du dimanche), qui appelle la France à s’engageren faveur de l’Arménie et à ne plus demeurer dans la molle neutralité. Que vous inspire cet appel en bloc à la défense arménienne et, dans le même coup, cette dénonciation de « l’agression azerbaïdjanaise » ?

Nous sommes tous soumis à l’injonction actuelle de tout faire pour faire tomber Erdogan (le seul véritable paladin des extrémistes iraniens). Au fond, nous sommes dans ce moment rarrissime et dont il faudrait faire quelque chose de positif (utilisons les opportunités historiques !), et où un programme commun qu’on pourrait résumer en « Harro sur Erdogan » s’impose à tous.

La réponse est « Oui », mais supposons qu’Erdogan, demain, est mis en faillite définitive, que fait-on ?     

Nous verrons que l’unité actuelle éclate évidemment.

Il y a un véritable parti nationaliste arménien, dont Charles Aznavour, à la fin de sa vie, était l’avocat plein de séduction et d’éloquence, qui souhaite l’effondrement pur et simple de l’Azerbaïdjan. Ce qui, entre parenthèses, est vraiment inacceptable pour l’opinion turque éclairée et laïque (qui a été piégée récemment par Erdogan) qui a été contraint à la pure clandestinité ou à l’exil (en Europe) en attendant la chute d’Erdogan. Que fait-on de ces gens-là ? Méritent-ils la détestation arménienne ?

Il faut cependant reconnaître que ce qu’ont laissé entendre même les turcs modérés n’est pas nécessairement annonciateur des lendemains qui chantent. Ainsi, nous devons imaginer les possibilités :

  1. D’une Turquie plus modérée, et qui réintègre une alliance occidentale (celle de l’OTAN)
  2. D’un Iran rationaliste et raisonnable qui renoncera à l’ultime folie anti-israëlienne de ces dernières années.

Bien entendu, la solution ne peut pas être manichéenne mais… complexe.

Il semble quand même, dans votre discours, que vous n’avez pas un mot véritable pour les Arméniens, alors même que l’ensemble de l’intelligentsia française se lève en bloc pour dénoncer la domination azerbaïdjanaise. Où vous placez-vous sur l’échiquier ?

L’Arménie a toujours suscité la sympathie française, et pour de très bonnes raisons, mais on raisonne souvent en termes purement moraux et non politiques et géostratégiques. J’essaye justement de comprendre l’échiquier planétaire, non de me rallier à un camp sentimental.

J’essaye aussi de réfléchir avec le prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, qui a eu l’extraordinaire courage et détermination de se mettre à défendre purement et simplement le génocide arménien, et qui a été récompensé pour cela par le Nobel.

La Turquie a des personnages forts auxquels il faut adhérer plus qu’au politiquement correct rapide anti-islamiste.

La liberté turque est une cause aussi juste que la défense de l’Arménie. Dans ces pays comme dans l’Azerbaïdjan, des laïcs partout se battent contre les dogmatiques. Il ne faut pas les oublier.

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