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IVG : pourquoi la suppression de la clause de conscience pour les médecins serait à la fois une atteinte grave aux libertés et un mauvais coup pour les femmes
©DR - stock.adobe.com

Evolution

Les députés examinent ce jeudi une proposition de loi réformant l'accès à l'IVG. Le texte prévoit notamment de supprimer la double clause de conscience pour les médecins. Cette évolution est-elle une atteinte à la liberté des médecins ?

Bertrand de Rochambeau

Bertrand de Rochambeau

Bertrand de Rochambeau est président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof). 

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Atlantico.fr : Une proposition de loi soumise jeudi 8 octobre à l’Assemblée nationale propose de supprimer la clause de conscience des médecins spécifique à l’IVG pour ne garder qu’une clause de conscience générale, en quoi cela pose problème ?

Bertrand de Rochambeau : On s’apprête à supprimer une mesure législative de l’ordre de la loi, pour ne laisser subsister qu’une mesure d’ordre règlementaire, c’est-à-dire qui n’est pas du tout soumise à la discussion et aux parlementaires. On va faire disparaitre ce que la loi de Simone Veil en 1974 avait créé, c’est-à-dire un argument législatif qui met à l’abri les médecins qui ne souhaiteraient pas faire d’IVG pour qu’ils ne soient pas contraints. Dans sa mouture actuelle, l’article qui est proposé dans cette proposition de loi supprime un article de loi important, un alinea, le seul qui reste de la loi Veil, pour ne laisser subsister qu’un argumentaire règlementaire. Car la clause de consciente dite générale qui s’applique à tous les médecins, à tous les soignants, est un règlement du code de la santé qui est repris dans le code de déontologie. Il suffirait d’un texte, d’un décret et les choses sautent. Ça c’est dans la nature même des textes. Si en 1974, Simone Veil avait tenu à ce qu’il y ait un alinéa spécifique là-dessus c’est que ce qui existait ne couvrait pas la même chose.

Et puis si vous lisez les deux articles de clauses de conscience pour les soins : celui spécifique à l’ivg et le général, ils ne disent pas la même chose. Dans le premier il est marqué « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer sans délai ». Il n’est jamais tenu, il n’y a pas d’exception et c’est la loi qui le dit. Dans la clause de conscience de nature générale elle dit : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ». Donc il y a deux exceptions à la clause de conscience, c’est l’urgence et le devoir d’humanité. Ces exceptions ne sont pas anodines. Les différentes révisions de la loi sur l’IVG ont imposé qu’il y ait dans tous les services publics de maternité, un service d’orthogénie. Les médecins qui travaillent dans ces établissements de maternité pourrait être contraints, dans ces deux conditions, l’urgence et le manque d’humanité, à pratiquer quand même une IVG alors que leur clause de conscience les en empêche. Parce que lorsque vous arrivez à la fin du délai légal - et c’est justement la proposition de loi qui est discuté là, le premier article souhaite le prolongement de ce délai – on peut considérer que cela devient une urgence à traiter et donc il est discuté une diminution de ce délai qui pourrait être contrainte. Et quand vous êtes dans un service hospitalier public, vous allez vous faire imposer ce que vous ne voulez parce qu’on dira qu’il y a urgence. Quand au devoir d’humanité, si une patiente viens vous voir en grande détresse, parce qu’elle demande d’une IVG, est-ce que ce ne serait pas faire preuve de manque d’humanité que de l’envoyer ailleurs ? Ceci se discute parfaitement et donc il n’y a plus de clause de conscience absolu pour protéger les médecins qui ne veulent pas pour leurs raisons personnelles, réaliser cet acte qui n’est pas de nature ordinaire.

La volonté de retirer cette clause est donc une atteinte à la liberté des médecins ?

Pas seulement des médecins mais des sages-femmes et de tout les soignants à qui on va demander de participer à l’IVG. Si vous voulez que leur médecins fassent bien leur travail comme on les a vu faire pour le Covid, il ne faut pas aller les chercher et les contraindre. Certains et même beaucoup ont arrêté ce qu’ils faisaient, leur spécialité, pour aller donner un coup de main, pour s’occuper des gens en réanimation. Ils n’ont pas été contraints, ils n’ont pas besoin de ça quand ils ont une conscience et les soignants ont une conscience. Et cette conscience de soulager les gens, il faut comprendre qu’elle peut aussi aller contre autre chose. Il y a des médecins qui se sont retirés parce qu’ils avaient de très forts risques de complication. Donc, cette capacité du soignant et du médecin à définir ce qu’il peut prendre en charge, cette liberté-là, doit lui appartenir en totalité. Et c’est d’autant plus vrai dans l’acte de l’IVG. Et si vous souhaitez abolir cette clause de conscience dans l’absolu, alors là c’est sûr que ce sera une mesure inconstitutionnelle et donc elle n’a aucune chance de passer.

Cette mesure présentée comme une opportunité pour les femmes d’un meilleur accès à l’IVG pourrait-elle se retourner contre ces dernières ?

Oui, parce qui si vous supprimez ça, je pense qu’il va y avoir encore plus de gens qui vont se débrouiller pour ne pas le faire. Parce que, si vous êtes gynécologue, que vous voulez travailler, et que dans le service de gynécologie de votre hôpital on vous dit : « on vous recrute mais il y aura obligatoirement à faire des IVG ». Si le médecin ne peut pas dire, si c’est le cas :  « ma clause de conscience m’en empêche » alors il ne sera pas embauché dans cet hôpital. Et on a déjà une cruelle pénurie de spécialistes en gynécologie, et en gynécologie obstétrique dans nos hôpitaux , puisqu’environ 30 % des postes à pourvoir ne sont pas pourvus et il y a plus de 10 départements en France ou il n’y a plus de gynécologue installés en ville, donc si on veut continuer à créer de la pénurie et du désert médical, on ne s’y prendrait pas autrement.  Et au final, le service que l’on doit aux femmes, que l’Etat s’est engagé à donner partout en France va être encore plus inexistant. Il ne pourra pas être. L’Etat s’engage, et c’est très bien, à donner des soins de même qualité, de bonne qualité, partout sur le territoire. A force de supprimer des gynécologues obstétriciens, je pense que les femmes se trouvent, et seront de plus en plus en difficulté pour trouver des médecins pour les soigner. Et ce n’est pas d’autoriser les sages-femmes à le faire qui changera la donne. Car je ne suis pas sûr que les sages-femmes soient très demandeuse, et puis ce ne sont pas des gynécologues.

Bertrand de Rochambeau est président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) et s'exprime au nom du Syndicat. Le syndicat s'oppose à la suppression de la clause de conscience des médecins relative à l'IVG.

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