Bonne nuit les petits (cyborgs) : le MIT développe une technologie pour téléguider les rêves <!-- --> | Atlantico.fr
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sommeil rêves
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©TOSHIFUMI KITAMURA / AFP

Imagination

Les rêves "encadrés" pourraient être utiles pour stimuler la créativité ou pour affronter les sources de stress et de traumatisme.

Bruno Comby

Bruno Comby

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Comby.

Il est l'auteur de l'Eloge de la sieste (TNR, 2005)

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Atlantico.fr : Une équipe d'ingénieurs du MIT affirme pouvoir implanter des suggestions dans nos rêves, via une technologie nommée Dormio. Comment fonctionne cette technologie, qui semble tout droit sortie d'Inception ?

Bruno Comby : Au cours d’une nuit, nous passons par différentes phases de sommeil, toutes les 90 minutes environ, allant du sommeil léger superficiel au sommeil profond, puis survient une phase de sommeil appelée « sommeil paradoxal » au cours duquel surviennent de petits mouvements rapides des yeux (rapid eye movement) ainsi que les rêves, phénomène totalement inconscient et donc, dans la plupart des cas, incontrolé par le sujet qui dort, sauf pour les « champions du sommeil » qui contrôlent leur sommeil et parfois même leurs rêves. On appelle cela le « sommeil lucide » et le « rêve lucide » mais les personnes disposant de ce degré de contrôle sur leur sommeil sont rares. Au réveil, nous nous souvenons ensuite, mais pas toujours, de nos rêves.

Dormio est une application pour smartphone, un outil ayant pour but de surveiller, d’analyser notre sommeil et qui peut aussi être utilisée pour orienter (terme plus approprié que « contrôler ») nos rêves.

En pratique des petits capteurs disposés sur le poignet, les doigts et la tête du sujet détectent les petits mouvements du poignet, le rythme cardiaque (qui ralentit durant le sommeil, puis devient irrégulier pendant la phase de rêve), les vibrations électriques de la peau au niveau du crâne (EEG : électro-encéphalogramme) qui ralentissent à mesure que le sommeil s’approfondit, puis s’accélèrent à nouveau au moment de la phase de rêve.

La mesure de ces paramètres permet à l’application sur smartphone de savoir à chaque instant à quelle profondeur de sommeil se trouve l’utilisateur.

Dormio peut alors utiliser ces informations pour orienter vos rêves. Comment ? En vous faisant écouter au moment de la phase d’endormissement dite « hypnagogique » (phase intermédiaire entre l’éveil et le sommeil) où votre cerveau devient particulièrement perméable (ouvert à la fois sur le conscient et l’inconscient). A ce moment précis, l’application délivre des suggestions auditives (des sons pré-enregistrés) juste au bon moment (lors de votre endormissement). Lorsque l’application voit que vous vous rêvez ou juste après, elle peut alors recueillir votre témoignage audio sur vos rêves (vous racontez votre rêve à votre téléphonequienregistre). Le tout peut ensuite être décrypté et analysé par vous-même, ou par des chercheurs comme ceux du MIT (Massachusetts Institute of Technology).

En effet la phase de sommeil léger au moment de l’endormissement qu’on appelle aussi la phase hypnagogique est propice à l’introduction de suggestions (en l’occurrence auditives) qui peuvent orienter (et non contrôler) les rêves qui suivront. Par exemple, si vous pensez à une plage ou un océan pendant cette phase hypnagogique, il sera fréquent (mais pas systématique) qu’une dimension océanique se retrouvera sous une forme ou une autre dans votre rêve.

Une équipe du MIT s’est aperçue ainsi que, par exemple, des suggestions sur les arbres lors de l’endormissement provoquaient souvent des rêves dans lesquels on retrouve des arbres sous diverses formes (souvent transformés, par exemple, une voiture en forme d’arbre, etc.).

Certains en concluent, sans doute un peu hâtivement, que cet appareil permet donc de contrôler totalement ses rêves ou d’implanter des idées précises dans un cerveau, comme dans le film INCEPTION.

Certes, nous pouvons orienter nos rêves avec des suggestions appropriées, mais nous n’en sommes pas (encore ?) au point d’afficher sur un écran les images du rêve…

L'étude met en avant des bénéfices sur la créativité et le traitement du stress, dans quelle mesure cela peut-il aider les dormeurs dans ces domaines ou dans d'autres ?

Pendant la journée, notre cerveau dirige notre corps, il est centré sur l’action. Pendant le sommeil notre cerveau s’introvertit, il s’oriente au contraire vers l’inconscient, la créativité est alors beaucoup plus forte. Et cette créativité peut effectivement être « orientée » vers des thèmes choisis, par ce genre d’application. Donc oui, il peut y avoir des applications intéressantes en termes de créativité. A noter qu’on pouvait déjà se focaliser sur certains sujets et utiliser la phase hypnagogique du sommeil même avant ce genre d’application. Ce n’est donc pas totalement nouveau : les grands inventeurs, de Newton (qui rêvait sous un pommier) à Archimède (qui rêvassait dans sa baignoire) ou encore Einstein ou Edison (inventeur de l’ampoule électrique à filament, entre autres) ont toujours utilisé le rêve comme un moyen, un outil privilégié, de création. Le phénomène n’est donc pas vraiment nouveau. Mais on peut (un peu) le favoriser et (bien sûr) l’optimiser, le rendre plus performant.

Pour ce qui concerne la gestion du stress (voir mon livre « Stress-Control ») la vie est une succession de périodes d’action et de repos. Si le repos est insuffisant ou de mauvaise qualité, la récupération de l’organisme ne se fait pas bien. Le stress est étroitement lié à la qualité du sommeil. Dit autrement, le sommeil (et plus particulièrement la pratique de la sieste) est un outil formidable de gestion du stress, avec ou sans application comme Dormio.

Tant mieux si une application peut nous aider à mieux dormir, à mieux maitriser notre sommeil ou à être plus créatif.

Une telle technologie qui influe directement sur nos rêves présente-t-elle des risques ?

Bruno Comby : Cette technologie influe (un peu) sur nos rêves mais elle ne les contrôle pas totalement pour autant. Le rêve, presque par définition, est un phénomène psychique inconscient et incontrolé. Un peu comme une rivière dont l’eau dévale la pente d’une montagne. Mais on peut, dans une certaine mesure, canaliser les flots de nos pensées, les orienter dans une direction choisie.

Une telle application peut ainsi éventuellement nous aider, par exemple à devenir plus créatif sur un sujet précis, à nous relaxer ou nous motiver pour arrêter de fumer, ou nous aider à modifier certains de nos comportements, ce qui peut s’avérer très utile (si c’est fait correctement) … ou pas … car comme pour tout ce qui est efficace, il peut aussi y avoir des effets secondaires indésirables, voire éventuellement nocifs.

On connaît déjà les effets dévastateurs de l’addiction aux écrans et ce genre d’application n’aide évidemment pas.

En effet certains auront tendance à en attendre… des miracles. Voire ne pourront plus s’encormir sans leur application de sommeil. A ce stade, c’est « too much ».

Ceux qui ont déjà un bon contrôle d’eux-mêmes pourront, en utilisant l’application avec modération, améliorer leur contrôle et leur connaissance d’eux-mêmes, de leur sommeil, de leur vie, de leurs rêves et pourront orienter certains changements comportementaux (comme être plus calme, plus concentré, avoir une meilleure mémoire ou cesser de fumer).

Mais attention, car nous savons bien à quel point l’usage des écrans en général et des smartphones en particulier (surtout lorsqu’on les utilise le soir avant de dormir ou la nuit) peut s’avérer addictif et délétère.

Certains sujets fragiles ou instables psychologiquement peuvent basculer dans l’addiction, le sur-investissement psychologique, voire aggraver ou déclencher certains délires.

Ce genre d’application peut aider dans certains cas, et les recherches telles que celles du MIT méritent d’être poursuivies, mais il ne faut pas en attendre trop et comme pour tout, attention au surdosage et aux contre-indications (en particulier pour les sujets psychologiquement instables).

Améliorer son sommeil est utile, s’intéresser à ses rêves aussi, mais en faire une obsession est nuisible et peut contribuer à aggraver ou révéler des troubles psychiques.

En résumé, nous sommes encore très loin des performances recherchées par Leonardo di Caprio dans le film Inception (implanter des idées dans le cerveau ou changer le monde réel pendant le rêve), mais ce type d’application est un outil, qui peut éventuellement s’avérer utile pour apprendre à mieux se connaître et pour diriger (un peu) ses rêves, qui peut aussi aider à se focaliser sur certains objectifs.

Donc oui, apprenez à mieux comprendre votre cerveau et à mieux contrôler votre sommeil et vos rêves, mais à utiliser néanmoins avec modération, sans en attendre la lune autrement qu’en rêve !

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Combyhttp://www.comby.org

Il est l'auteur de l'Eloge de la sieste (éditions TNR, préfacé par Jacques Chirac, 2005)

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