Fractures françaises : le divorce entre les deux droites est-il irrémédiable ? <!-- --> | Atlantico.fr
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droite étude france électeurs citoyens
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©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Avenir de la droite

Selon l’enquête 2020 sur les "Fractures françaises", réalisée pour Le Monde par Ipsos-Sopra Steria, la droite serait confrontée à un rétrécissement idéologique. Il ressort de cette étude l'existence en France de deux droites. Ces deux droites sont-elles conciliables ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : L'enquête Ipsos-Sopra Steria met en avant ce que le "Monde" nomme une "poujadisation" de l'électorat LR. Tirez vous le même constat ?

Bruno Cautrès : Je serais plus nuancé en ce qui concerne le terme de « poujadisation » car le contexte n’est pas le même qu’au début des années 1950 où le poujadisme était apparu. De même, la sociologie de la droite reste davantage diversifiée que celle du poujadisme : la droite c’est encore aujourd’hui les travailleurs indépendants mais aussi des professions libérales ou une partie des cadres supérieurs. Une fois cela dit, il est vrai que l’enquête montre une forte inclinaison des sympathisants LR vers des valeurs sociétales conservatrices : les sympathisants LR sont en moyenne peu favorables à la PMA, disent très souvent s’inspirer du passé dans leur vie, trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France, que les immigrés ne font pas assez d’efforts pour s’intégrer. On constate néanmoins que certaines de ses valeurs ou attitudes sont de toute façon très forte dans l’ensemble de l’enquête et de l’échantillon : ainsi si 80% des sympathisants LR déclarent « s’inspirer des valeurs du passé » dans leur vie, c’est le cas de 74% de l’ensemble des français interrogés !  De même, si 96% des sympathisants LR disent que « l’autorité est une valeur qui a été trop critiquée » dans la France d’aujourd’hui c’est le cas de 88% dans l’ensemble de l’échantillon et de 95% des sympathisants de LaREM ou de 90% de ceux du RN. Si « poujadisation » il y a, elle concerne donc également d’autres strates de l’électorat également. Les variations que l’on constate autour de la moyenne de plusieurs de ces indicateurs montrent néanmoins bien que sur certaines des questions de tolérance culturelle et sociétale, les sympathisants de droite sont souvent plus proches de ceux du RN que de ceux de LaREM. C’est la cas de tout ce qui concerne l’immigration : par exemple, 66% des personnes interrogées considèrent qu’il y a « trop d’étrangers en France », c’est le cas de 84% des sympathisants LR (+18 points), de 95% de ceux du RN (+29 points) et de 52% de ceux de LaREM (-14 points). Le tableau est à nuancer en fonction des indicateurs : parfois les sympathisants LR sont intermédiaires entre ceux du RN et de LaREM.

Edouard Husson : Soulignons d’abord que nous avons affaire à une enquête présentée dans le journal « Le Monde », par Brice Teinturier, avec toute la bien-pensance et la détestation de ce qui est sainement, normalement de droite telle qu’on peut la rencontrer régulièrement dans les colonnes du quotidien du soir ! On a connu le sondeur plus objectif. Rendez-vous compte, voici des électeurs qui se préoccupent, plus que la moyenne nationale, de la délinquance, de l’immigration de l’emprise de l’Islam et du terrorisme. Ils attendent un chef. Ils ne seraient pas contre le rétablissement de la peine de mort. Ils sont hostiles à la PMA pour toutes, critiquent les excès du féminisme. Les mêmes aggravent leur cas car ils sont pour la libre entreprise, une fiscalité basse etc...Et d’invoquer une majorité de français qui pensent raisonnablement et sont derrière les options sociétales du gouvernement Macron. Le terme de « poujadisation » est utilisé pour suggérer le populisme. Mais si l’on se rappelle que Jean-Marie Le Pen a commencé, dans les années 1950, comme député poujadiste, il y a une question, qui n’est plus posée, qui est celle de la possible convergence avec l’électorat actuel du RN. Le libéralisme économique, au sens de la défense de la libre entreprise et de la baisse de la fiscalité, est porté par une partie de l’électorat du parti de Marine Le Pen, celui du sud-est, qui se reconnaît dans Marion Maréchal. Le rassemblement entre la droite RN du nord de la France et la droite « poujadiste » se ferait naturellement si Marion Maréchal était la candidate de cette droite. 

Ce "divorce" porte surtout, selon l'étude, sur les sujets régaliens (délinquance et immigration arrivant en tête des préoccupation de cette franche de la population).

Bruno Cautrès : Il faut rappeler que l’enquête a été réalisée dans un contexte d’actualité qui a mis sur le devant de la scène médiatique beaucoup d’éléments portant sur le thème de l’insécurité. Il n’est pas impossible que cela ait joué un rôle dans la hiérarchie des préoccupations affichée par les personnes interrogées. Mais nous savons que les enquêtes sociologiques captent des attitudes, des ressentis, qui sont assez profondément ancrés néanmoins. Tout se passe comme si les sympathisants de droite, à la recherche aussi d’une équation politique leur redonnant une spécificité, se (ré) appropriaient les thèmes que sont l’ordre public et la sécurité. Cela n’est pas si nouveau que cela, rappelons-le. Il s’agit de thèmes sur lesquels la droite a toujours voulu affirmer son leadership. Les spécialistes de sociologie des opinions politiques parlent de « issue ownership » : un phénomène d’appropriation par des partis politiques de certains thèmes dont ils entendent être perçus comme les propriétaires légitimes. C’est le cas de « la loi et l’ordre » (law and order), un thème traditionnellement cheval de bataille pour les partis politiques de droite partout en Europe. Si le « niveau de délinquance » préoccupe 46% des personnes interrogées (arrivant en tête des préoccupations des personnes interrogées), c’est le cas pour 58% des sympathisants RN et 72% des sympathisants LR !  Les sympathisants RN, de leur côté, sont davantage préoccupés par l’avenir du système social que les sympathisants LR.

Edouard Husson : Le « divorce » dont il est question est une notion entièrement définie par rapport à l’électorat LR du milieu de la décennie, l’électorat UMP de Nicolas Sarkozy en 2012. En 2007, l’ancien président de la République avait réussi à attirer la moitié de l’électorat du Front National en mettant en avant immigration et insécurité. Malgré la candidature de François Bayrou, sur un positionnement macroniste, Nicolas Sarkozy avait réussi à garder une grande partie de l’élection du centre-droit, un ancien électorat UDF. François Fillon avait encore réussi à maintenir une partie du grand écart. Mais l’élection d’Emmanuel Macron a rompu le cartel électoral qui fut RPR et UDF. 

Il ressort de cette étude l'existence en France de deux droites. L'une culturellement plus libérale et l'autre plus libérale…économiquement. Ces deux droites sont elles conciliables aujourd'hui?

Bruno Cautrès : La pluralité des droites en France est fort ancienne. Il y a toujours eu deux, voire trois, droites. Le centre-droit, libéral/européen/réformateur se retrouve aujourd’hui davantage dans Emmanuel Macron que dans LR. Mais il faut prendre garde à un effet de perspective : Emmanuel Macron est au pouvoir et il incarne forcément aux yeux de ce centre-droit le côté réformateur. Par ailleurs, il faudra avoir en tête les paramètres économiques qui tiennent à cœur de l’électorat de droite et de centre-droit : la réduction des déficits publics, du nombre de fonctionnaires et des impôts. La crise de la Covid met tout cela en sourdine ou entre parenthèses, pour le moment. En ce qui concerne l’avenir électoral de la droite, au sens LR du terme, la grande question stratégique est de savoir si elle souhaite rejouer avec Emmanuel Macron le match UDF/RPR (solution Estrosi d’une alliance pour la présidentielle) ou si elle s’inscrit dans une autre trajectoire. Le choix de son candidat pour l'élection présidentielle sera capital pour les LR et l'orientation de cette trajectoire. 

Edouard Husson : Je crois qu’il faut changer de cadre d’analyse. Nous sommes revenus à une répartition claire entre la droite, le centre et la gauche. Il s’agit de trois blocs de 30% environ. Les droites dont nous parlent l’enquête Sopra Storia sont en fait une droite LR qui représente aujourd’hui 12 à 15% de l’électorat et un électorat centriste rallié à Macron. Il n’y a pas d’autre solution, pour le RN, s’il veut gagner les prochaines élections, que de s’allier à cette partie de l’électorat LR qualifiée de poujadiste par Brice Teinturier. Ou pour cet électorat - que Laurent Wauquiez a essayé d’incarner, de s’allier au RN. Tâche impossible avec la structure actuelle des partis. Mais on pourrait imaginer, avec une nouvelle personnalité, une nouvelle force politique. Qui arriverait en tête de la présidentielle au premier tour. Car Emmanuel Macron aura du mal, lui, à garder le centre-gauche et faire le plein des voix centristes. 

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