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Attentats terroristes de 2015 : l’extension du domaine de la peur au coeur de la rivalité entre Al-Qaïda et Daesh
©Reuters

Bonnes feuilles

Cyrille Bret publie "Dix attentats qui ont changé le monde" aux éditions Armand Colin. De Mumbai à Paris, de Beslan à Oslo et de Tunis à Bruxelles, les attaques terroristes jalonnent notre temps et scandent la marche du monde. Extrait 2/2.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Le terrorisme de masse fait irruption en France en 2015. Cette année-là, les deux grandes galaxies djihadistes portent la violence politique au cœur de la capitale française et rivalisent dans la terreur fanatique. Après une décennie 2000 sans acte terroriste majeur perpétré sur le sol national, la France subit deux séries d’attentats particulièrement marquants, tant par l’ampleur de leurs bilans que par la puissance de leurs charges symboliques. 

Du 7 au 8 janvier, des criminels se revendiquant d’Al-Qaida commettent une série de meurtres à la rédaction du journal Charlie Hebdo, au magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes puis à Montrouge. La communauté nationale et les opinions européennes sont traumatisées. Mais la vague de terrorisme ne s’arrête pas là : dix mois plus tard, Daech commet les attentats les plus graves jamais perpétrés en France : explosions-suicides au Stade de France, mitraillages dans les rues de Paris et massacre à l’arme automatique au théâtre du Bataclan. Le 13 novembre 2015 marque un tournant dans les stratégies de la terreur mais il symbolise aussi la résilience des démocraties européennes face aux terrorismes. Dans l’adversité, l’unité nationale tient bon alors même que ces attentats étaient destinés à déclencher une guerre civile au sein de la République entre les communautés musulmanes et les mouvements d’extrême droite. 

Les attentats de 2015 ont ceci de singulier qu’ils constituent une tentative pour importer la guerre de Syrie au cœur des métropoles européennes. En effet, ils annoncent ceux de Berlin, Barcelone ou encore Stockholm. Tout, dans leur déroulement, est conçu pour « militariser » la vie politique française à commencer par leur bilan : 130 morts et 413 blessés. Avec ces massacres, Daech prétend ouvrir un front en Europe au moment où l’organisation subit des revers militaires sur le terrain en Syrie face à la Russie et aux Occidentaux. 

Le 13 novembre 2015 a changé la donne au Moyen-Orient, mais il a surtout transformé la vision française du terrorisme. Pour le Président français, il s’agit d’« actes de guerre » qui réclament une réponse militaire. Ce jour-là, pour bien des Français, le terrorisme devient « la forme de la guerre au XXIe  siècle », selon les mots employés par l’historien Pascal Ory dans le journal Le Monde le lendemain des attentats.

[…]

Les attentats du 13 novembre constituent un tournant en raison d’un contexte dans lequel les « effets de terreur » se renforcent les uns les autres. En France et en Europe, 2015 est marquée par un crescendo constant de la peur instillée par Daech. Les massacres du 13 novembre représentent l’acmé d’une série d’attentats perpétrés sur le sol français depuis le début de l’année 2015, émaillée d’actes de violence qui diffusent un sentiment de terreur latent dans tout le pays. Le 7 janvier, 17 personnes sont tuées à Paris et dans sa proche banlieue par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, respectivement au nom d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) et de Daech sans que celle-ci émette de communiqué de revendication. Le 26 juin, à Saint-Quentin-Fallavier, en Isère, un salarié étrangle et décapite le chef de son entreprise puis essaie de faire exploser une usine de production de gaz.

Le 21 août, à bord d’un train Thalys reliant Amsterdam à Paris, des activistes tentent de prendre en otage des passagers à la hauteur d’Oignies (Pas-de-Calais). Mais des passagers s’opposent à eux et évitent le massacre. 
Toute l’année 2015, la tension sécuritaire monte : après les événements du 21 août, le président de la République alerte l’opinion en déclarant : « Nous devons nous préparer à d’autres assauts. » Dès les attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher, le plan Vigipirate est placé au niveau « alerte attentat » en Île-de-France et, à partir du 12 janvier, l’opération Sentinelle organise le déploiement de contingents des forces armées aux abords des sites sensibles. 

En 2015, pendant plusieurs mois, l’opinion est hantée par la peur des attentats. Le sentiment de « vulnérabilité généralisée » que suscite le terrorisme est installé dans le pays. Il est renforcé par la peur que les ressortissants français qui ont gagné la Syrie pour participer au djihad ne reviennent en France étendre le champ de la violence. La crainte devant ces « revenants » se place au premier plan du débat public, et contamine rapidement bien d’autres sujets politiques. Ainsi, à l’été 2015, une crise migratoire sans précédent est déclenchée par la crise syrienne et par la reprise de la guerre civile en Libye. De nombreux réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique traversent la Grèce, les Balkans, l’Italie, etc. vers l’Allemagne et les pays nordiques pour demander l’asile politique. Signe de la panique latente, une des principales craintes exprimées alors est l’utilisation de ces flux par les réseaux terroristes pour infiltrer l’Europe et y organiser des attentats. Plusieurs partis politiques à travers l’Europe instillent même l’idée que les flux de réfugiés sont exploités par les réseaux terroristes.

Le contexte syrien en 2015 est lui aussi déterminant pour saisir la portée politique des attentats de Paris et l’essor de la terreur politique. Pour mesurer la puissance de Daech à cette période, il convient de se souvenir que l’organisation est au faîte de son expansion territoriale au moment des attentats de Paris. Son essor s’est fait à une vitesse stupéfiante : à partir du 29 juin 2014, date de la proclamation du « califat » par son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, Daech a conquis des territoires qui s’étendent de Falloujah et Mossoul, à l’est en Irak, à Alep et Homs, à l’ouest en Syrie. À la faveur de l’effondrement des États syrien et irakien, l’organisation avait entrepris la construction d’un pseudo-État disposant d’administrations spécialisées et de plusieurs armées. 

En réaction à ces conquêtes, dès août 2014, la coalition internationale avait lancé des frappes aériennes. En novembre 2015, malgré sa puissance militaire, Daech commence à pâtir des offensives menées depuis août par les forces armées russes en soutien au régime de Bachar el-Assad. 

La rivalité entre Daech et Al-Qaida aggrave encore les « effets de terreur ». Depuis le début des années 2010, Daech avait en effet vivement critiqué Al-Qaida pour sa stratégie centrée sur les États-Unis et l’avait accusée de se disperser militairement, géographiquement et médiatiquement en voulant frapper les États-Unis partout dans le monde. 

Initialement, la stratégie de Daech est très différente de celle de l’organisation d’Oussama Ben Laden. Pour al-Baghdadi, il faut doter le djihad d’une structure de type étatique établie sur un territoire donné, le Levant, entre Irak et Syrie. À ses débuts, Daech veut se distinguer d’Al-Qaida comme un proto-État bien distinct d’un réseau clandestin.

Mais, en 2015, cette doctrine initiale est transformée : Daech entend défier l’Occident sur ses terres et concurrencer Al-Qaida sur la scène médiatique et politique internationale. Elle reprend la ligne du djihadiste Abou Moussab Al-Souri qui, dès 2005, appelait à commettre des attaques en Europe (et non contre les États-Unis) par l’intermédiaire de recrues issues des minorités musulmanes afin de susciter une guerre civile à l’intérieur des sociétés européennes. En 2015, Daech cible le « ventre mou » de l’Occident, l’Europe. Et tout particulièrement Paris, capitale européenne considérée comme menant une « croisade » contre l’islam en dépit de son caractère laïc. Pour Daech, l’inflexion tactique est notable : les partisans de la territorialisation du califat commencent à céder la place aux partisans de l’action internationale, loin du Levant. 

La fin de l’année 2015 marque en somme un apogée dans l’accumulation des peurs, nationales, régionales et mondiales.

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Extrait du livre de Cyrille Bret, "Dix attentats qui ont changé le monde - Comprendre le terrorisme au XXIe siècle", publié aux éditions Armand Colin.

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