Télétravail : quels pièges éviter pour échapper aux effets d’aubaine ou aux effets secondaires toxiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©LOIC VENANCE / AFP

Négociations

Les syndicats de salariés et le patronat se réunissent une nouvelle fois ce vendredi pour tenter de trouver un accord sur des règles et des droits pour les salariés en télétravail. Depuis fin juillet, un salarié sur dix travaille à distance. Comment les entreprises doivent-elles encadrer cette pratique qui s'est accélérée à l'occasion du confinement ?

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico.fr : Ce vendredi, les syndicats et le patronat se réunissent pour négocier un accord national sur le télétravail. Une nécessité étant donné que le dernier accord national interprofessionnel date de 2005 à une époque où le télétravail était encore au stade expérimental alors que depuis fin juillet un salarié sur dix est aujourd’hui à distance, selon le ministère du Travail. Y’a-t-il des effets secondaires de la pratique sur lesquels cet accord doit se pencher tout particulièrement ? 

Gilles Saint-Paul : Encadrer l’organisation du travail dans les entreprises privées par des accords collectifs est une pratique bien française. En réalité il serait préférable de laisser les entreprises s’organiser comme elles l’entendent, celles-ci étant mieux placées que les partenaires sociaux pour savoir comment gérer leur activité. La plupart des pays n’ont d’ailleurs pas d’accords nationaux interprofessionnels sur de telles questions et ne s’en portent pas plus mal.

De plus, en 2020 il est archaïque et stupide que bien des salariés du tertiaire doivent endurer de longs et pénibles trajets pour se rendre à leur travail alors que celui-ci consiste avant tout à échanger de l’information par voie électronique.

Ceci étant posé, la transition vers le télétravail nécessitera des ajustements. Les salariés devront supporter certains coûts, en termes d’électricité, de chauffage, de fournitures ou locatifs, coûts qui étaient auparavant pris en charge par leur employeur. A terme, cependant, l’évolution vers le télétravail devrait être « win-win ». Les économies réalisées par les entreprises en immobilier commercial, maintenance, entretien, sécurité, transport et énergie devraient être supérieures aux coûts supplémentaires supportés par les salariés. En bonne logique, le nouvel équilibre sur le marché du travail devrait être caractérisé par une hausse du salaire net pour les employés et en même temps par une baisse du coût unitaire de production pour les entreprises. C’est d’ailleurs généralement le cas lorsque le progrès technique permet d’améliorer l’efficacité de la production.

Cependant, dans les circonstances actuelles, les entreprises sont particulièrement grevées par la chute de l’activité que les gouvernements ont déclenchée avec leurs mesures arbitraires censées luttées contre la pandémie. Et la position de négociation des syndicats n’est pas bonne, à cause des centaines de milliers de chômeurs produits par ces mesures. On peut donc s’attendre à ce que les représentants du patronat fassent le maximum pour ne pas prendre en charge les coûts supplémentaires supportés par les salariés. En principe, cependant, si l’activité repart, les profits du télétravail devraient être en partie transférés aux salariés parce que le rebond des embauches créera une pression à la hausse sur les salaires.

Des catégories de salariés sont-elles favorisées par la mise en place du télétravail ? 

A terme, tout le monde devrait en profiter. Même une entreprise ne recourant pas du tout au télétravail bénéficiera de la baisse des loyers commerciaux. Même un travailleur continuant à travailler en présentiel profitera de la hausse générale des salaires ainsi que de la congestion plus faible dans les transports. Les restrictions Covid frappent les salariés de façon très inégale. Un enseignant, par exemple, est bien plus touché qu’un notaire ; un cuisinier qu’un employé à la saisie de données. Mais, si ces restrictions sont un jour levées, je ne pense pas que le télétravail en soi produise de disparités importantes. Les ressources libérées par les secteurs qui ne les utilisent plus seront plus abondantes pour ceux qui en ont besoin ; le restaurant, par exemple, profite indirectement du télétravail : baisse des loyers, plus de temps libre pour la clientèle potentielle, démarche administratives simplifiées, possibilité d’outsourcer certaines fonction (comptabilité, secrétariat), etc.

N’y a-t-il pas un risque que les employés perdent leur attachement à l’entreprise à distance ? 

D’abord, il faudrait s’assurer qu’un tel attachement est bien réel et non pas un mythe du management à l’américaine. Une entreprise est une organisation, pas une personne ; il n’est pas particulièrement recommandé de s’y attacher outre mesure et je ne suis pas sûr que les travailleurs soient dupes des activités motivationnelles qu’on leur propose. Plutôt que de faire du saut à l’élastique avec leurs collègues, ils préfèreraient passer ce temps en famille.  Ensuite, bien des études semblent montrer que le télétravail satisfait aux aspirations des salariés et augmente leur loyauté envers l’entreprise. Ainsi, une étude américaine suggère que 68 % des « millenials » considèrent la possibilité de travailler à distance comme susceptible d’accroître considérablement leur intérêt pour un employeur. Une autre étude de la Harvard Business School sur les employés du bureau américain des brevets autorisés à travailler à distance de n’importe quel endroit montre que ces derniers étaient 5% plus productifs que ceux qui continuaient à travailler au bureau ; pour l’entreprise, in fine, ce qui compte c’est la productivité et non pas un concept flou d’attachement. Enfin, le télétravail permet aux employés malades de continuer à travailler, si leur état le permet, sans infecter leurs collègues. Cela est favorable à la productivité et contribue à améliorer la qualité de la culture d’entreprise…

Comment les entreprises doivent-elles encadrer la pratique pour échapper aux effets toxiques de part et d’autre ? 

Il n’y a pas de raison d’encadrer la pratique ni de penser aux effets toxiques qui sont a priori inexistants, ou du moins pas supérieurs aux effets toxiques du fait de travailler au bureau. D’ailleurs le mot toxique est particulièrement mal choisi, puisque des dizaines de milliers de personnes ont contracté le coronavirus du fait de l’obligation de travailler en présentiel et de se rendre à leur travail en empruntant des transports publics surpeuplés. Ces contaminations ne se seraient simplement pas produites si le télétravail avait été plus répandu. Plutôt que d’encadrer, il faut simplement laisser les salariés choisir leur lieu de travail. Ceux pour qui il est difficile de travailler depuis leur domicile peuvent très bien le faire de leur bureau. Si j’étais chef d’entreprise, j’inciterais au télétravail en offrant une prime aux salariés, dès lors que ce choix de leur part réduit mes coûts. Et je réduirais la taille de mes locaux en fonction de la proportion de salariés qui auront fait ce choix.

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