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formation apprentissage jeunes marché du travail covid-19 coronavirus
formation apprentissage jeunes marché du travail covid-19 coronavirus
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Formation

Près de 150.000 jeunes sont à la recherche d'un contrat en alternance dans les entreprises et peinent à trouver des solutions en cette rentrée. Les ravages de l'impact économique de la crise du Covid-19 ont considérablement fragilisé les entreprises.

Jérôme de Rocquigny

Jérôme de Rocquigny

Jérôme de Rocquigny est vice-président en charge de l’emploi et de la formation professionnelle au sein d'une association patronale, le Cerf

Il travaille également avec des représentants des autorités chinoises pour des projets de formation professionnelle. 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico.fr : L'apprentissage est confronté à une situation de crise auprès des entreprises en cette rentrée sous le signe du coronavirus. Comment expliquer cette situation et comment inverser cette tendance, nuisible à l'économie française et enjeu majeur pour l'emploi et pour l'insertion des jeunes sur le marché du travail ?

Eric Verhaeghe : L'apprentissage est en crise chronique en France depuis très longtemps. C'est un mode de formation très volontiers assimilé à l'échec scolaire et aux métiers manuels. Je me souviens d'ailleurs qu'il y a quelques années, un responsable patronal avait produit un rapport sur l'apprentissage comme solution de secours pour les décrocheurs scolaires. Dès lors que les élites alimentent ce mythe selon lequel on devient apprenti faute d'être capable d'autre chose, on ne peut guère s'étonner que ce dispositif attire peu, structurellement. Il se trouve qu'en 2019, les entrées dans le dispositif ont battu un record historique, mais en trompe-l'oeil. Jamais l'alternance n'a formé aussi peu de jeunes de moins de 18 ans. L'essentiel de la progression de l'apprentissage est porté par les diplômes du supérieur. C'est particulièrement vrai dans l'informatique.où les formations par alternance sont la règle. Sans informatique, l'apprentissage serait en déclin. 

Le fait que 150.000 jeunes soient "en rade" s'inscrit donc dans une précarité historique générale. Il faudrait un peu plus de détails sur la ventilation statistique par formations pour comprendre ce qui se passe. Mais quand on pense aux cohortes d'apprentis dans la vente ou dans le secrétariat, on n'est intuitivement pas surpris par la panne générale du système cette année. Dès lors que l'apprentissage est, dans certaines filières, une sorte de voie de garage, ou de voiture-balais qui récupère les moins bons, souvent pour préparer à des diplômes de vendeurs en magasin ou d'assistante en entreprise, on comprend que ces populations soient les premières victimes du carnage social créé par le coronavirus.  

Jérôme de Rocquigny : Comme déjà souvent expliqué, le problème de l'alternance en France qui a  un très faible taux de contrats signés ( apprentissage et contrats de professionnalisations) par rapport à nos voisins européens n'est dû qu'aux règles de fonctionnement de l'alternance en France, les salaires conventionnels demandés par les partenaires sociaux sont beaucoup trop élevés, le coût d'un jeune en alternance en fonction de certains critères d'éligibilité peut monter jusqu'à deux milles euros par mois pour un jeune en pleine phase d'apprentissage, d'études et d'insertion professionnelle qui de surcroît sera en moyenne actif en entreprise pas plus de 60 %  de son temps, le reste du temps ils sont en CFA ou en OF, l'alternance est trop chère depuis l'ANI 2004. 

Comment la crise du coronavirus a-t-elle réduit, et dans quelles proportions, les opportunités sur le front de l'emploi et sur la question de l'apprentissage ? 

Eric Verhaeghe : D'une manière générale, les entreprises étant dans une grande incertitude sur la situation à très court terme, on comprend qu'elles post-posent leurs projets de recrutement pour au moins quelques semaines. Sur ce contexte morose, se greffe la question de la non-gestion de l'alternance en France. De nombreux alternants se préparent à des métiers sinistrés par la crise : assistants de gestion, vendeurs, serveurs... tous ces petits métiers qui sont les plus exposés aux difficultés actuelles. Le petit commerce a été secoué par une tornade. L'hôtellerie et la restauration sont dans la tourmente. Les entreprises sont majoritairement en phase de ralentissement d'activité. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que ces populations précaires soient les plus perturbées, chahutées par le désordre ambiant. 

Le problème ne me semble pas porter sur les premières semaines de la rentrée, qui peuvent être rattrapées une fois que la situation sera plus lisible. Le problème tient à la pérennité du sinistre que nous vivons. Beaucoup de formations en alternance sont dépendantes du tourisme de masse dans lequel la France s'est spécialisée. Les vendeurs des magasins sur les Champs-Elysées sont souvent des alternants. Les serveurs des restaurants touristiques aussi. Le carnage dans ce secteur a un impact immédiat sur la capacité des entreprises à recruter des alternants. 

Jérôme de Rocquigny : Le Covid en tant que tel n'a pas un réel  impact sur la situation économique et sur le marché de l'emploi. C'est l'incertitude des mesures gouvernementales et leur incapacité à fixer un cap réel et des objectifs concrets. Aujourd'hui tout est flou et tout est contredit sur des délais très courts,  un marché qui n'a pas de vision à court terme ne peut être dynamique et génère de l'immobilisme.

Alors que le gouvernement est mobilisé avec le plan de relance et l'avalanche de chiffres afin d'aider et de soutenir différents secteurs face à la crise, pourquoi l'apprentissage n'est pas un des objectifs prioritaires du gouvernement et ne prend pas plus de place dans les solutions face à la crise ? 

Eric Verhaeghe : Je nuancerais un peu votre avis, dans la mesure où le dispositif de l'alternance au sens large devrait être abondé de 3 milliards, bon an mal an, ce qui n'est pas rien. Mais il est vrai que l'effort pour les salariés en poste sera trois plus importants. Il ne faut cependant pas laisser s'installer l'idée que ce plan de relance ne s'intéresse pas aux apprentis, car ils ne sont pas si mal traités. Mais il est vrai, pour reprendre mes propos précédents, que l'apprentissage, dans l'esprit des élites, est une formation de seconde zone. Elle n'est pas dans "l'ordre des choses". On ne s'étonnera donc pas que l'apprentissage soit traité à part, et pour ainsi dire après les autres sujets scolaires ou sociaux. 

Sur ce point, je crois vraiment que, dans la réaction bourgeoise bo-bo que nous vivons, tout ce qui ressemble à un ascenseur social est discrètement méprisé par les pouvoirs publics. D'ailleurs, si je pousse le raisonnement en ce sens, je crois utile de préciser qu'un quart des sommes consacrées à l'alternance par le plan de relance serviront à équilibrer les comptes de France Compétences, un bidule créé sous Hollande et dirigé par l'ancien n°2 de FO, qui a "jacobinisé" la formation professionnelle sans aucune amélioration notable, mais avec des déficits nouveaux. Une fois de plus, l'argent des interventions sociales est donc susceptible de bénéficier à des bureaucrates qui vivent dans leur bulle réglementaire. Somme toute, les crédits qui iront réellement se limiteront à 2 milliards de prise en charge de leur salaire par l'Etat. Redisons-le, ce n'est pas rien. Mais c'est assez peu rapporté à l'intervention en faveur de "France compétences", qui vise juste à réparer des dégâts créés par la folie bureaucratique française.

Jérôme de Rocquigny :  Depuis 30 ans aucun gouvernement n'a eu le courage de s'attaquer au problèmes de fonds de l'emploi  de la formation et de l'insertion professionnelle en France tout simplement parce qu'ils ,n'ont jamais voulu réformer le paritarisme et l'organisation des partenaires sociaux !

Comment seulement 7 % des salariés et des dirigeants d'entreprise peuvent ils imposer les règles à tout le monde.

Celles-ci sont souvent aux profits de ces dites organisations plutôt qu'aux salariés, aux PTE et PME.  l'argent gaspillé pou ces organisations aux trains de vie indécent suffirait à financer un plan Marchal de l'emploi - de  la formation et de   l'insertion des jeunes. 

Mais comme tout le monde touche rien ne changera ! (cf rapport de la court des comptes et le rapport Anciaux à l'Assemblée nationale qui était bien étouffé). 

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