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35h, 20 ans plus tard : petit bilan contrariant pour Lionel Jospin
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Inventaire

A l'occasion de la sortie de son livre, "Un temps troublé", Lionel Jospin était l'invité de France Inter ce jeudi 3 septembre. Il a notamment été interrogé sur les 35 heures. Une erreur ? "En aucune façon", selon lui. Il a été interrogé sur une éventuelle remise en cause du temps de travail hebdomadaire. "Accroître le temps de travail serait une absurdité", a-t-il répondu.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Quelles ont été les répercussions de la loi Aubry sur la semaine de 35 heures sur l'économie, jusqu'à aujourd'hui ?

Philippe Crevel : Les 35 heures ont changé la trajectoire de l’économie française en accentuant son déclin. Si avant 2003, la France dégageait un excédent commercial, ce ne fut plus jamais le cas depuis. Après un petit bond de productivité lié à la rationalisation imposée par la réduction du temps de travail, les gains se sont étiolés tout comme la croissance potentielle. Les 35 heures ont contribué également à la dégradation des comptes publics, masquée un temps par le retour de la croissance.

La rupture est également nette vis-à-vis de l’Allemagne. A compter de 2003, sous l’impulsion de Gerhard Schröder, notre partenaire opte pour une politique de réduction des prélèvements sur le travail, sur une plus grande flexibilité de l’emploi et sur un retour à l’équilibre des comptes publics. L’Allemagne qui avait été en pointe dans les années 80 pour la réduction du temps de travail fait machine arrière. La France, comme en 1981, est alors à contre-temps.

Sur le plan de l’emploi, les études sont disparates, Est-ce que les 35 heures ont créé 200 000 ou 300 000 emplois ? Nul ne peut l’affirmer. En outre, c’est la croissance mondiale qui a permis la décrue du chômage et non les 35 heures. Ce qui est certain c’est que le taux d’emploi est inférieur de celui de l’Allemagne et de la moyenne de la zone euro. Ce qui est également certain, c’est que le taux de chômage est resté plus important en France que dans la majorité des autres pays européens. Ramener l’économie a un gâteau à partager a été une erreur économique majeure qui n’a pas pu être corrigée depuis.

Les 35 heures ont également modifié le rapport des Français au travail. La gestion des RTT est devenue un sport tout comme celle de réaliser des réunions. Les Français sont de plus en plus nombreux à penser que le travail n’est pas un facteur de réalisation individuelle et collective. Le travail est devenu secondaire d’autant plus qu’il est mal rémunéré. Les 35 heures ont eu, en effet, comme conséquence, la stagnation voire la régression des salaires en prenant en compte l’inflation. Elles ont profité plus aux cadres qu’aux ouvriers et aux employés. Le monde du travail s’est segmenté sous l’effet des 35 heures. Des salariés refusent de prendre des responsabilités par crainte de peur leurs RTT. Les indépendants, les professions libérales, les cadres supérieurs ont été les perdants de cette opération en supportant bien souvent un surcroit de travail en raison de la moindre disponibilité de leurs équipes. Dans les PME et les TPE, la gestion des 35 heures a été et reste complexe.

Les 35 heures ont accéléré les délocalisations. La désindustrialisation a été moins forte chez nos partenaires qu’en France. Elles ont aussi condit à l’essor des petits boulots sous forme de travail indépendant. Certes, ce type d’emplois existe à l’étranger mais leur essor a été plus rapide en France après l’adoption des lois Aubry.

Comment le gouvernement Jospin a-t-il utilisé les marges de manœuvre financières que lui offrait le rebond de la croissance de la fin des années 90 ?

Philippe Crevel : Lionel Jospin a utilisé une grande partie des fruits de la croissance pour financer les 35 heures qui coûte une trentaine de milliards d’euros aux finances publiques. Des allègements de charges sociales sur les bas salaires ont été ainsi institués pour alléger leur surcoût. Le Premier Ministre décida aussi d’accroître les prestations sociales et d’abaisser l’impôt sur le revenu.

En ne profitant pas du bon contexte de l'époque pour procéder à des réformes structurelles, quelle responsabilité le gouvernement Jospin porte-t-il au regard de la situation économique du pays ?

Philippe Crevel : Les années 1997/2002 sont des années perdues. Elles ont d’ailleurs abouti à déconsidérer la cohabitation amenant à l’adoption du quinquennat. Durant cinq ans, Lionel Jospin et Jacques Chirac ont joué au chat et à la souris dans l’optique de l’élection présidentielle de 2002. Lionel Jospin a certes réussi le passage à l’euro préparé néanmoins en amont par les gouvernements précédents. Il a fait les 35 heures de manière autoritaire contrairement aux engagements pris.

Lionel Jospin n’a pas préparé le pays au XXIe siècle. L’investissement, la formation ont été négligés. A coups de rapports de commande, le Premier Ministre a répété à l’encens que le système de retraite n’avait pas besoin d’être réformé malgré l’évidence du vieillissement de la population. Avec Lionel Jospin, le pays a manqué le coche des réformes. Ce cycle du statu quo lui a survécu. Jacques Chirac, après sa divine réélection et la réforme de retraite de 2003 s’est convaincu que pour vivre heureux il fallait pas faire de vagues.

Quelle sont les autres réalisations du gouvernement Jospin sur cette période qui ont encore un impact notable sur la France de 2020 ? Entre le positif et le négatif, lequel l'emporte ?

Philippe Crevel : Au début de la législature Jospin, il y a la dream team, la majorité plurielle composée de socialistes, de communistes et de verts. La dream team s’effondrera avec le départ de Dominique Strauss Kahn en raison de l’affaire MNEF et la valse des ministres de l’Economie. La majorité plurielle explosa en vol avec le départ de Chevènement, sa candidature à la présidence de la République et avec celle de Taubira. Le Premier ministre dut ainsi faire face au premier tour à la concurrence de deux de ses anciens ministres, l’empêchant de se qualifier au second. Sur un point de vue politique, c’est un fiasco qui demeure historique.

Sur le plan économique, l’affaire de la cagnotte fiscale est à elle-même révélatrice du bilan Jospin. La croissance supérieure aux prévisions permet de dégager des plus-values fiscales qui ont été pointé du doigt par le Président de la république. Face à la polémique qui en suivit, ces plus-values transformées en cagnotte par les médias malgré l’existence d’un déficit budgétaire conséquent pollua la campagne de Lionel Jospin.

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