Les mini-réacteurs nucléaires, piste prometteuse pour verdir notre production d’énergie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©LUDOVIC MARIN / AFP

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De nouveaux réacteurs nucléaires, beaucoup plus petits que les précédentes générations, sont développés en Chine, en Russie ou aux Etats-Unis. Ces réacteurs représentent-ils une solution intéressante pour participer à la croissance verte ?

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico.fr : Une nouvelle génération de réacteurs nucléaires 90 % plus petits que ceux qui ont dominé l’industrie pendant des décennies sont développés par des entreprises américaines, chinoises et russes. Quels sont ces avantages par rapport aux réacteurs déjà existants ?

Philippe Charlez : Les réacteurs classiques équipant la plupart des centrales nucléaires françaises sont de très grosses unités de puissance de l’ordre de 1GW (1000 MW) l’équivalent de 500 éoliennes de 2MW. Les réacteurs de nouvelle génération, les fameux EPR, atteignent même 1,6 GW. Mais, comme leurs ainés, ils fonctionnent suivant une technologie mature appelée « eau pressurisée ». Ces gros réacteurs sont parfaitement adaptés pour produire de façon centralisée de grandes quantités d’électricité. Toutefois compte tenu de leur complexité et des risques associés, leur construction est longue et coûteuse à cause notamment du durcissement des règles de sécurité après les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Aussi ne peuvent-ils être gérés que par des opérateurs historiques comme EDF.

Pourtant depuis des dizaines d’années, la même technologie est aussi utilisée sur des porte-avions ou des sous-marins mais avec des unités beaucoup plus réduites de l’ordre de quelques dizaines de MW. Le combustible nucléaire fournit en effet à ces bateaux de l’énergie durant de très longues périodes sans devoir se ravitailler un point essentiel pour  la stratégie militaire.

La technologie SMR (Small Modular Reactor) est identique à celle des réacteurs existants sur ces géants des mers. La miniaturisation dans le civil ne pose donc aucun problème technologique et on ne peut pas proprement parler d’une nouvelle génération de réacteurs. L’avantage par rapport aux grosses unités  est de permettre une production locale d’électricité pour des populations limitées et éloignées. Les Russes ont ainsi imaginé de poser ces microréacteurs nucléaires sur des bateaux qui, suivant les besoins saisonniers, pourraient se déplacer d’un point à l’autre du pays.

Par rapport aux réacteurs existant, la micro-génération nucléaire permet donc de décentraliser la production d’électricité. Par ailleurs, compte tenu de leur taille réduite, la construction est beaucoup plus rapide. Enfin, le faible contenu en combustible nucléaire permet d’alléger les règles de sécurité et donc d’en réduire le coût. Ainsi, aux Etats-Unis, la société NuScale travaille sur un réacteur de 60 MW qui pourrait alimenter une ville de l’ordre de 50 000 habitants. Son coût est estimé à 250 Millions de dollars. A puissance équivalente, l’éolien (de l’ordre de 1,5 M$/MW) est en apparence beaucoup moins cher. Mais, quand on sait que le facteur de charge (pourcentage annuel de fonctionnement pleine puissance) de l’éolien n’est que de 20% (comparé à 90% dans le cas du nucléaire), à production d’électricité identique, ce dernier revient finalement nettement plus cher que le micro-nucléaire contrairement à la nouvelle EPR comme celle de Flamanville dont le coût reste lui prohibitif.

Ce coût doit toutefois être affiné notamment par rapport aux équipes de maintenance et de production dont les compétences sont sans comparaison avec celles requises dans des centrales à gaz.

Loïk Le Floch-Prigent : La question des petits réacteurs nucléaires ou SMR a toujours été sur la table de la politique nucléaire mondiale, les petits réacteurs sont utilisés dans les sous -marins nucléaires et les porte-avions, ils ont été développés par les militaires, en France comme ailleurs. Le nucléaire civil a considéré depuis des décades que ces réacteurs fournissaient une énergie trop chère et qu’il fallait viser les 900 MW au minimum pour obtenir des prix raisonnables de l’électricité comparés aux alternatives des fossiles, essentiellement le gaz. Traditionnellement les SMR étaient donc développés par les armées qui voulaient des performances sans trop regarder les coûts, et la France, avec l’EPR a plutôt cherché à augmenter la puissance pour atteindre les 1500 MW. Les « civils » ont donc été dissuadés de s’intéresser aux « petits » réacteurs qui avaient, en plus, le désavantage de les rendre accessibles à beaucoup de pays non nucléaires et donc d’augmenter les risques de mauvais usage et de maintenance douteuse.

Tous les pays nucléaires, USA, Chine et Russie sont en train de réviser leurs positions, aux USA avec des réacteurs allant de 60 MW à 345 MW, en Chine avec un réacteur de 125 MW, en Russie avec en 2020 l’installation d’une barge en Sibérie pour alimenter une région isolée. Le sujet continue à être tabou en France, mais parce que nous avons le nucléaire « honteux », ce n’est plus le cas ailleurs .Le consensus climatique international c’est que pour limiter les émissions de gaz à effet de serre le monde devra passer par des investissements nucléaires, on peut voir que la fermeture de Fessenheim présentée en France comme une victoire des défenseurs du climat va tout à fait en sens inverse. Pour les « verts français » le pire c’est le nucléaire, pour les autres verts internationaux, la limitation des énergies fossiles passera par le nucléaire, c’est la position dans notre pays de Jean-Marc Jancovici par exemple qui en ce sens est un « vert international ».

L’idée de petits réacteurs c’est d’être plus modulaires, de satisfaire des besoins plus locaux, de travailler en circuits courts, et de représenter moins de dangers que les « gros » réacteurs. Sur ce dernier point les avis sont partagés, bien sur, le nucléaire étant toujours l’objet de précautions quelquefois contradictoires. Les couts du MWH sont annoncés aujourd’hui par les promoteurs comme attractifs, autour de 50 dollars par MWH, et les réacteurs sont  pilotables, et donc plus intéressants que les énergies intermittentes solaires ou éoliennes ou complémentaires.

Comment la technologie nucléaire est-elle miniaturisée ? 

Loïk Le Floch-Prigent : La technologie nucléaire a toujours été miniaturisée, c’est comme cela qu’elle a émergé, et pour les utilisations civiles on a essayé de limiter les coûts d’exploitation en augmentant les dimensions, ce qui a, d’ailleurs, parfaitement réussi. Pendant des années, tandis que nos voisins avaient une énergie électrique chère, nos installations nucléaires nous ont donné une compétitivité incontestable ainsi que des rentrées d’argent confortables. Les anti-nucléaires ont brisé notre élan et ruiné une part de notre économie, mais le nucléaire reste une énergie sur laquelle le monde va s’appuyer.  Nous avons, comme les autres nations nucléaires , la technologie « miniature », mais visiblement la volonté politique est absente pour la développer. Bill Gates, dont nos dirigeants célèbrent souvent la clairvoyance, investit dans « Terrapower » depuis 2006, des réacteurs proposés à 345 MW avec des couts d’électricité à 50 dollars le MWH, il s’est associé avec les Japonais d’Hitachi, mais notre industrie française était sans doute meilleure si elle avait été disponible. Nous savons faire et nous sommes bridés par une idéologie anti-nucléaire.

Ces réacteurs représentent-ils une solution intéressante pour participer à la croissance verte ? Y-a-t-il un frein à leur développement ?

Philippe Charlez : Sauf à accepter de fréquents blackouts électriques comme celui survenu récemment en Californie, la croissance verte ne peut reposer sur les seules énergies renouvelables intermittentes. Par ailleurs, le modèle centralisé consistant à « électrifier Lille avec le soleil de Marseille ou le vent de Bordeaux » ne peut être viable : le grand intérêt des ENR est de consommer localement l’électricité là où elle est produite;. Mais même dans le cas d’une production locale, les ENR auront besoin d’être supportées par un ami compensant les intermittences.

On considère aujourd’hui le gaz comme l’ami le plus fiable des ENR : centrales de quelques dizaines de MW au coût d’installation relativement faible, possibilité d’utiliser des cycles combinés doublant le rendement. Mais le gaz a aussi ses inconvénients. D’une part son prix qui représente une part significative du coût du MWh est très fluctuant.  D’autre part, même s’il émet deux fois mois de CO2 que le charbon, il reste une source d’énergie carbonée. Et c’est ici que le micro-nucléaire prends toute sa valeur : de petites unités locales de quelques dizaines de MW pour supporter les intermittences des ENR mais produisant une électricité totalement décarbonnée. EDF l’a bien compris : l’opérateur français a signé en 2019 une JV avec le CEA, et Westinghouse Electric Company en vue de développer de petits réacteurs modulaires. 

Pourtant, si en Russie en Chine et aux US, le µnucléaire est aujourd’hui considéré comme une alternative d’avenir à la micro-génération gazière pour pallier aux intermittences des ENR, en Europe l’opposition sociétale reste forte. Elle représente même à moyen terme le principal frein au développement de cette technologie. Un village gaulois est-il prêt à vivre avec une µcentrale nucléaire installée dans sa périphérie?

En tergiversant, l’Europe risque une fois de plus de rater un train qui démarre !

Loïk Le Floch-Prigent : La notion de « verdeur » est essentiellement liée à une politique de communication. Ni l’énergie solaire, ni l’énergie éolienne ne sont sans conséquence sur la biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est certain c’est que, si l’on prend uniquement le critère « gaz à effets de serre » c’est le nucléaire qui est le plus « vert ». Cela conduirait à privilégier partout dans le monde les SMR, mais la réalité de notre monde est différente. Selon les latitudes, les climats, les écosystèmes naturels ou humains, il y a un optimum de mix énergétique, incluant les fossiles, les énergies renouvelables dont l’hydraulique, le nucléaire, et cet optimum peut varier dans le temps. Lorsque l’on a atteint, comme en France actuellement, des émissions parmi les plus faibles du globe on s’en satisfait et on essaie de ne pas détériorer cette position. La politique engagée, anti-nucléaire, par le PPE , va à l’inverse, nous allons renchérir le prix de notre électricité domestique en augmentant les émissions globales de gaz à effet de serre. Il y a des pays où la solution SMR ira dans le bon sens, il faudra être prêts à leur fournir le matériel nécessaire, pour l’instant ce sont les Russes, les Chinois et les Américains qui peuvent leur faire des propositions, mais nous pourrions aussi en faire… si nous le voulions !

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