Macron / Merkel à Brégançon : un couple franco-allemand sans descendance ni volonté <!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel Emmanuel Macron couple franco-allemand Fort de Brégançon
Angela Merkel Emmanuel Macron couple franco-allemand Fort de Brégançon
©CHRISTOPHE SIMON / POOL / AFP

Non désir d’avenir

Angela Merkel était invitée pour la première fois au Fort de Brégançon, 35 ans après Helmut Kohl. Emmanuel Macron et la chancelière allemande ont participé à une conférence de presse ce jeudi. Ils ont abordé de nombreux sujets comme le plan de relance européen, la situation en Biélorussie, les tensions en Méditerranée avec la Turquie et la crise du Covid-19.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Angela Merkel (2005-2021) ou l’indifférence tranquille vis-à-vis de la France 

La très longue période à la Chancellerie d’Angela Merkel aura vu le long déclin du « couple franco-allemand ». Nicolas Sarkozy pratiquait une relation politique triangulaire avec Barack Obama, pour forcer Angela Merkel à réagir face à la crise financière; François Hollande fut un partenaire modèle uniquement parce qu’il se rangeait systématiquement aux décisions du gouvernement allemand. Quant à Emmanuel Macron, tout à son obsession de la « souveraineté européenne », il voudrait nous faire croire que c’est reparti comme lorsque Helmut Kohl rendait visite à Jacques Chirac à Brégançon, il y a trente cinq ans. Mais le couple franco-allemand est un vieux couple fatigué. L’un des deux partenaires semble encore un peu épris mais il a totalement oublié l’art de la séduction et le couple ne tient plus que par l’habitude. 

Rappelons-nous ce qui s’est passé depuis mai 2017. (1) A peine élu, Emmanuel Macron se rend à Berlin, où il est reçu fraîchement par la Chancelière. (2) Entre septembre 2017 et mars 2018, il ne se passe rien car la Chancelière doit se sortir d’une élection parlementaire laborieuse. (3) Après avoir attendu bien sagement que Madame Merkel puisse à nouveau gouverner, le président français se voit signifier en juin 2018, lors de la rencontre de Meseberg, en juin 2018, que l’Allemagne est prêt à soutenir un budget de la zone euro à 10% de ce qu’il souhaite. (4) Pour se sortir de la crise des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron doit lâcher 25 milliards d’euros, ce qui refait passer la France au-delà des 3% du pacte de stabilité monétaire. Les décideurs allemands, À commencer par Emmanuel Macron en privé, expliquent que décidément le jeune homme de l’Elysée est bien comme tous ses prédécesseurs, piètre gestionnaire. (5) Survient la crise du COVID 19, qui flanque par terre l’économie mondiale car la « gouvernance globale » conduit à amplifier les erreurs des gouvernements nationaux, par mimétisme ou par injonction bureaucratique. 

L’Allemagne a la politique étrangère de son commerce, rien de plus

L’Allemagne comprend alors que son intérêt est de contribuer à un plan de relance. A un moment où les marchés à l’exportation chinois et américain deviennent incertains, il s’agit de revigorer le marché européen qui s’est étiolé depuis dix ans. L’Allemagne met sur la table environ 70% de ses excédents commerciaux annuels. Mais il est frappant de voir que l’accord n’a pu se faire qua dans la mesure où la France a sacrifié ses intérêts (elle versera, au bout du compte 70 milliards de plus que ce qu’elle reçoit). Angela Merkel n’a pas fait un pas pour amener les « frugaux » à contribuer plus. Emmanuel Macron, tout à son idéalisme européen, est bien piètre négociateur. Et il n’a pas compris que ce moteur franco-allemand qu’il rêve de relancer ne fonctionnerait qu’à condition que la France agisse comme l’Allemagne, en mettant son budget d’aplomb (réduisez les dégâts causés par l’insécurité, le coût de l’immigration et la prolifération des postes et des commissions inutiles dans le fonctionnement de l’appareil d’Etat et vous aurez fait une grande partie du chemin), en plaçant ses ressortissants à Bruxelles et en sachant constituer des coalitions pour gagner des votes conformes à l’intérêt national. Tant que la France ne se fera pas respecter de l’Allemagne et tant qu’elle traitera comme de la « seconde division » les autres pays membres, elle a peu de chance d’impressionner Berlin et les autres capitales européennes. 

C’est pour cela que tout ce qu’on peut lire ces jours-ci sur la relance franco-allemande est peine perdue. Madame Merkel a besoin de finir sa période à la Chancellerie en étant chantée comme un grand chef de gouvernement. La rhétorique européenne qui, pendant longtemps, l’a peu intéressée, fait désormais partie de la panoplie. Mais hier on a, au fond, parlé du domaine où la France, quand elle est la France, diverge le plus de l’Allemagne. Nous n’avons pas d’autre raison d’être, dans le monde, qu’une politique étrangère généreuse, au service de la souveraineté et de la liberté. Une politique de défense des nations contre les empires, d’équilibre des puissances et de paix. C’est pour cela que la France intervient en Afrique, que, très maladroitement, le président français rêve d’aider les Libanais et qu’il a réagi avec fermeté face aux provocations d’Erdogan. Il place tout cela sous l’objectif d’une « souveraineté européenne ». Mais nous sommes les seuls à vouloir une « Europe puissance ». Quand Angela Merkel parle de souveraineté européenne, elle pense à une Europe où la France laisserait tranquille ses voisins avec ses rêves d’équilibre mondial. L’Allemagne a la politique étrangère de son commerce, rien de plus. 

Impasse franco-allemande

On n’est pas compris, aujourd’hui, dans des milieux dirigeants qui s’accrochent au mythe du « couple franco-allemand’ comme à une bouée dans une mer d’incertitudes. Mais le couple franco-allemand est un couple sans projets, sans descendance, sans ambition. La France ne gagnera rien à poursuivre dans cette voie, qui est devenue une impasse. Il faut n’avoir aucune expérience professionnelle franco-allemande pour s’imaginer comme Emmanuel Macron qu’il va être possible de réaliser ensemble beaucoup de grands projets. Les Allemands sont la société avec laquelle il est le plus difficile, pour un Français, de travailler, en Europe; les réussites sont rares. Il faut que la perception française du monde soit bien rétrécie pour continuer à trouver du charme aux pinailleries des discussions bilatérales. Il faut n’avoir aucune conscience des atouts que nous donne notre présence territoriale sur tous les océans du monde pour perdre une minute de plus avec la bureaucratie bruxelloise. 

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