Afghanistan : Daech à l’offensive<!-- --> | Atlantico.fr
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etat islamique daech afghanistan
etat islamique daech afghanistan
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Nouvelle attaque

Au moins 20 personnes, dont des civils et des prisonniers, ont péri cette semaine dans l’attaque d'une prison de l’est de l’Afghanistan par des combattants du groupe Etat islamique, selon les autorités locales. Cet assaut d’envergure contre une prison de Jalalabad est intervenu après une trêve respectée de trois jours entre talibans et forces afghanes.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alors que les talibans sont en pleines tractations discrètes avec Washington et Kaboul via le Qatar pour tenter de parvenir à un accord, un premier ayant été signé avec les Américains en février mais ses termes n’ont pas été respectés de part et d’autre, Daech en profite pour repasser à l’action en voulant se positionner en tant qu'acteur incontournable. Le 2 août, sa "wilayat Khorasan" ("province" qui couvre l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, les Maldives et le Sri Lanka (1) ) a conduit une attaque très sophistiquée de la prison de Jalalabad, capitale de la province de Nangarhar située dans l’est du pays où Daech serait encore très présent malgré de récentes opérations de nettoyage lancées par les forces gouvernementales. Selon les autorités, de 1.500 à 2.000 prisonniers, majoritairement des jihadistes, y seraient régulièrement détenus.

L’assaut a débuté vers 18 H 00 peu avant la fin de l’Aïd al-Adha (la fête du sacrifice) alors que les taliban avaient de leur côté décrété une trêve de trois jours se terminant à minuit afin de préserver les civils. Après qu’un kamikaze ait lancé son véhicule contre l’entrée de la prison, des inghimasis (2) ont créé deux brèches dans le mur d’enceinte permettant à quelques centaines de détenus de s’enfuir (400 auraient été repris le lendemain mais ces chiffres sont sujets à caution). Les forces de sécurité qui arrivaient sur les lieux en renfort ont été attaquées à l’IED (des mines artisanales très meurtrières) et par des tirs de mortiers mis en œuvre par deux combattants qui ont peut-être réussi à s’exfiltrer (c/f photo). La présence de ces armes et étonnante pour ce type d'opération hit & run mais démontre un savoir-faire certain chez ces servants. Ils ne devaient pas être seuls car un servant de mortier de voit pas la cible. Il est guidé par un observateur qui a la cible en visuel.

Il a fallu 18 heures aux forces de l’ordre pour reprendre la situation en main. Le chef d’état-major des armées afghanes, le général Yasin Zia, s’est déplacé en personne pour diriger les dernières phases des combats. Il y aurait eu une trentaine de tués sans compter dix assaillants identifiés très "internationalistes" car on compte trois Afghans, trois Indiens, trois Tadjiks et un Pakistanais. Les autres morts étaient des membres des forces de sécurité, des civils et au moins deux prisonniers taliban qui auraient été exécutés par des membres de Daech. Il faut se rappeler qu'une haine profonde existe entre ces deux mouvements qui, pourtant, partagent la même idéologie, le salafisme-jihadisme. Globalement, les activistes de Daech sont persuadés d'être les seuls à être de "vrais musulmans", les autres étant au mieux des "égarés", au pire, des "apostats" (traîtres à la religion).

Cette opération a été revendiquée dès le lendemain par la Daech. Elle entrait dans le cadre de la stratégie d’Abou Bakr al-Baghdadi (reprise en 2019 par son successeur, Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi) appelée "détruisons les murs". À savoir que Daech promet à ses militants arrêtés de tout faire pour les libérer ce qui est très populaire parmi les activistes qui savent que, même si cela prend du temps, ils pourront éventuellement être secourus. Leurs familles sont aussi aidées financièrement.

Les taliban ont de leur côté affirmé ne rien avoir à faire avec cette action ce qui semble logique car, pour l'instant, ils prônent la tenue des négociations qui, de toutes façons, finiront par leur être favorables (2.000 prisonniers taléban auraient déjà été légalement libérés depuis mars donc point besoin d'attaquer les prisons...).

À noter aussi qu’au moins un des membres du commando - un Indien de religion musulmane - aurait déjà participé à l’attaque contre la communauté indienne de Kaboul en mars qui a fait 27 victimes parmi les commerçants. Il faut se souvenir que de nombreux Indiens vivent dans l’Est de Afghanistan et que l’ambassade indienne à Kaboul avait été l’objet d’un attentat meurtrier en 2008. Comme tous les conflits par procuration, celui d'Afghanistan n'échappe pas à la règle. Il oppose dans ce pays les USA, l'Iran, le Pakistan, l'Inde. Tous ces pays souhaitent avoir l'influence maximum sur le pouvoir en place à Kaboul.

Parallèlement à cette action, un attentat à la voiture piégée a eu lieu dans la province du Logar faisant une quinzaine de victimes. Les autorités estiment qu’un chef local des taliban serait derrière cette action terroriste. Il est vrai que certains chefs taliban hostiles aux négociations se cachent parfois derrière la bannière de Daech pour mener des opérations offensives (38 depuis février). Les autorités de Kaboul font remarquer que le nouvel émir de la wilayat Khorasan, Hahab Almahajir, est lui-même un ancien responsable du réseau Haqqani allié des taliban…

Selon les renseignements américains, Daech aurait en Afghanistan 3.000 combattants surtout basés dans le Nord et l'Ouest du pays (dont la province de Nangarhar). Les taliban et leurs alliés du réseau Haqqani plus Al-Qaida "canal historique" aligneraient 60.000 activistes. La lutte est féroce entre ces deux mouvances mais Daech n'est pas encore parvenu à déboucher en dehors de ses attaques qui sont restées relativement limitées. Les taliban, eux, ont gagné et tenu des provinces durant une certaine période.

1. Des rumeurs ont couru sur la partition de cette immense "province" pour des problèmes d'ego de chefs locaux (ce qui explique la désignation du nouvel émir). Au moins au niveau des activistes, ce ne semble pas être le cas - voir la variété des nationalités -. De plus, il y a eu des actions terroristes dans tous les pays cités.

2. Des activistes islamiques qui partent aux combats sans espoir de retour ; ils préfèrent faire sauter la ceinture d’explosifs dont ils sont équipés que de se rendre; cela n'est religieusement pas considéré comme un "péché", l'Islam interdisant le suicide mais comme une manière héroïque d'atteindre le stade envié de "martyr".

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