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Covid-19 : quelle facture psychologique pour l’été de tous les malaises ?
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Rapports sociaux

Même si un sentiment de libération s’est répandu avec la fin du confinement, le retour probable de l’épidémie rend le nombre de décisions personnelles compliquées à prendre. Cela génère parfois un véritable inconfort dans les interactions sociales tant les attitudes face au virus sont différentes.

Jean-Yves Rotgé

Jean-Yves Rotgé

Jean-Yves Rotgé est Psychiatre - Hôpitaux Universitaires Pitié Salpêtrière - Charles Foix et spécialisé en neuroscience.

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Suzanne Parizot

Suzanne Parizot

Suzanne Parizot est psychiatre. 

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Atlantico.fr : La situation sanitaire actuelle a considérablement changé nos façons d'être. Nous appréhendons nos interactions, nos relations sociales, et prendre des décisions est devenu encore plus complexe, comme le choix des vacances par exemple. Pensez-vous que le coronavirus a créé de vraies fractures psychologiques chez les Français ? 

Jean-Yves Rotgé : Le coronavirus a fortement sollicité nos capacités d’adaptation en bousculant notre quotidien par le risque, parfois mortel, qu’il représente mais aussi par toutes les mesures de prévention, comme les gestes barrières ou la période de confinement. Beaucoup d’entre nous ont pu s’adapter au mieux et accepter malgré tout ces mesures, mais pour un grand nombre d’entre nous aussi les capacités d’adaptation ont été mises à plus rude épreuve. Il y a plusieurs exemples d’événements stressants qui ont pu avoir lieu durant cette période particulière, la perte d’un proche, la perte de son emploi, une perte de revenu, un confinement avec un contexte conjugal difficile, voire violent, l’association télétravail-école à la maison, etc. La « période coronavirus » est un concentré d’événements de vie stressants qui a pu faciliter des difficultés psychologiques chez un grand nombre d’entre nous.

Suzanne Parizot : Ces événements sont révélateurs des personnalités, grossissant, exagérant, caricaturant des attitudes de chacun devant la vie.
Nous sommes dans une "crise" sanitaire, économique et sociale... donc bien sur il y a une situation de changement, de "fracture" des habitudes, des certitudes, des relations... Cet état de changement venu de l'extérieur atteint chacun de l'intérieur. On peut observer en effet, une augmentation générale des tensions psychologiques, du stress. Je crois que celui-ci a été provoquépar deux sentiments, le premier (en général initial dans le temps d'ailleurs) a été la peur de la mort, de la maladie, ramenant chacun à cette angoisse fondamentale et ensuite à ses défenses devant celle-ci... la niant, la minimisant, ou en étant accablé, tentant d'échapper par divers moyens... L'autre facteur de stress (qui est toujours actuellement présent) serait  dû à l'impossible prévision... du risque, de l'évolution... donc la difficulté à se sentir maître de la situation, de son destin de ses propres prévisions de travail, de vacances, de voyages.... finalement de sa vie.

Devant cette impossible maîtrise, il est très intéressant pour les observateurs ayant une culture "psy", de voir comment chacun se défend, tente d'apprivoiser, d'intégrer cette anxiété diffuse, ce sentiment de danger de l'obligation de changements, d'improvisations. On voit que les plus "forts chefs" en situation de maitrise des autres sont parfois les plus atteints...  et sont acculés à se défendre. Devant ce flou, cette incertitude  la société médiatique a offert une défense collective avec une barrière "d'experts" dont on a pu mesurer à la fois l'impact (savoir et connaissance sont toujours plus utiles que l'ignorance) et la fragilité, voire le ridicule quand à partir de postures de maîtres tout puissants on a vu les positions et les avis totalement contradictoires....

Dans les défenses collectives, on repère d'abord ceux qui sont dans le déni, ils ont affirmé que le virus était celui d'une "grippette", que l'épidémie était une infox... Devant l'accumulation des informations, ils deviennent souvent agressifs, cherchant des "coupables" de manière irrationnelle, non seulement le gouvernement ne fait pas ce qu'il faut mais plus encore, il aurait provoqué cette crise et le confinement n'est pas, pour eux, en lien avec un choix de protection contre le virus, mais carrément déclenché pour aggraver la situation économique et masquer les mauvais choix politiques...

Il y a ensuite ceux qui sont dans le désarroi, voire le désespoir, qui, après avoir relu toute la littérature sur la peste, prédisent la catastrophe en s'informant trop ( d'abord les décès en série puis "la seconde vague"). Ceux là sont encore plus en difficulté pour s'organiser dans un après crise... et beaucoup se plaignent d'une sorte d'anesthésie, d'asthénie les rendant peu aptes à reprendre une complète maîtrise de leur situation.

L'été et les vacances sont propices au relâchement et à la décontraction. Pensez-vous que des individus, pourtant habituellement peu anxieux, ont pu développer des troubles d'anxiété cette année en raison des conditions si particulières ? 

Jean-Yves Rotgé : Oui, sans aucun doute pour certains d’entre nous. L’anxiété est initialement adaptée au contexte. C’est normal d’avoir peur d’un virus mal connu et responsable de plusieurs milliers de morts. Mais lorsque se surajoutent une anxiété dans plusieurs domaines de la vie : professionnel (difficultés économiques, pertes d’emploi, télé-travail, etc), familial (gardes d’enfants, difficultés conjugales, etc), social (perte des contacts avec nos proches, nos amis, inquiétude sur leur état de santé, etc), nos  capacités d’adaptation peuvent être dépassées et faire place à une anxiété qui devient envahissante et qu’on n’arrive plus à contrôler.

Certains voient le port du masque comme une vraie barrière sociale, d'autres comme une simple protection. Pensez-vous que le masque a un vrai rôle dans nos interactions et qu'il peut-être aussi source d'angoisse pour certains ? 

Jean-Yves Rotgé : Le visage est surement le plus important outil social, c’est principalement avec lui qu’on communique nos pensées et nos émotions. Le port du masque va réduire le niveau d’informations dans nos interactions sociales et dont la qualité va se faire ressentir. Ce sont des mimiques, des sourires, etc qui nous échappent. Cela peut affecter notre sentiment d’appartenir à un groupe, de participer à une vie sociale ; c’est d’autant plus vrai qu’au masque s’ajoute la nécessité d’une distanciation physique avec des interactions sociales moins fréquentes et de moindre qualité. Cette perte de qualité des interactions sociales, voire dans certaines situations le sentiment d’être exclu, peut bien évidemment faciliter l’expression de symptômes anxieux ou dépressifs.

Suzanne Parizot : Le masque, si je peux me permettre cette pirouette, me semble plus révélateur encore des traits de personnalité des arrangements plus ou moins pathologiques avec la réalité, tels que nous les avons tous (je ne m'exclue absolument pas). Mais certains sont carrément étiquetables au niveau psychiatrique : les traits hystériques de ceux qui ne "supportent" pas le masque, étouffent... puis construisent un petit délire sur l'auto-intoxication au CO2, les traits psychopathiques de ceux qui ne veulent pas "obéir"... Et là aussi la tentative (idiote et ratée) de maitriser le problème en donnant des avis définitifs sur le bien fondé du masque...

À la fatigue, se sont ajoutées cette année de nombreuses craintes (économiques, sociales, et sanitaires). Pensez-vous que l'année 2020 est une année psychologiquement compliquée pour les Français ? 

Jean-Yves Rotgé : Oui, je crois que 2020 sera une année beaucoup plus compliquée que d’autres pour beaucoup d’entre nous, aussi parce que 2020 sera une année marquée par de réelles et importantes difficultés sanitaires et économiques et sociales. L’amélioration de la situation sanitaire et de la situation économique et sociale facilitera nos capacités de résilience.

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