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Annonces de Jean Castex sur la sécurité : beaucoup de communication, peu de mesures nouvelles
©Yann COATSALIOU / AFP

Peut mieux faire

Accompagné de Gérald Darmanin et d’Eric Dupond-Moretti, le Premier ministre Jean Castex s'est rendu ce samedi à Nice, où il a affiché annoncé des mesures de "proximité" pour "faire cesser les violences du quotidien".

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Le Premier ministre Jean Castex a annoncé ce samedi à Nice des mesures visant à renforcer de l’action de "proximité" des forces de l'ordre, et notamment la création de 10.000 postes de police en cinq ans à l'échelon national. "Les ministres vont redéployer des moyens sur le terrain pour la justice de proximité et la police du quotidien", a-t-il dit, estimant que "la sécurité, c’est aussi et d’abord la proximité". Jean Castex a aussi évoqué la prochaine expérimentation, à Nice, de l’extension des compétences de la police municipale. Cette philosophie de la proximité est-elle à même de répondre à la flambée de violences que connaît la France depuis plusieurs mois ? Assiste-t-on a un retour de la doctrine de la "police de proximité", abandonnée progressivement après l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur en 2003 ?

Guillaume Jeanson : Ces annonces ressemblent davantage à un point de communication d’étape qu’à des nouveautés fracassantes. Elles ne constituent pas en tout cas un virage important que prendrait le gouvernement en réaction à l’explosion des violences inquiétantes que vous mentionnez.

Prenons par exemple l’annonce de la création de 10.000 postes de police sur le quinquennat. Le candidat Emmanuel Macron en formait déjà la promesse au chapitre 13 « protéger les français » de son livre « Révolution » paru en 2016. Dans ce même livre, il indiquait d’ailleurs regretter également la suppression de la police de proximité qui selon lui « ne tenait ni de l’utopie laxiste, ni du gadget de communication ». Il poursuivait « quel que soit le nom qu’on lui donnera, il faudra absolument remettre à l’ordre du jour une organisation policière au plus proche de nos concitoyens ». Le nom qu’on lui a trouvé est depuis la « police de sécurité du quotidien » et si l’on s’aventure sur le site du ministère de l’intérieur, on trouve, dès le 10 février 2018, un article intitulé « pourquoi créer la police de sécurité du quotidien » auquel est annexée une synthèse des mesures envisagées qui comprend un premier point consacré à « des forces plus nombreuses ». On peut alors y lire : « 10.000 postes créées sur le quinquennat (2000 en 2018, 2500 en 2019, 2500 en 2020, 1500 en 2021, 1500 en 2022) ». En clair, rien de bien nouveau sur ce point.

A l’évidence, si la notion de proximité ne se suffit pas à elle-même - tous les maillons de la chaîne pénale (et y compris les plus lointains tels que l’exécution des peines) sont en effet importants pour infléchir l’évolution de la criminalité-, elle n’en demeure pas moins une composante importante. Importante pour offrir la possibilité aux autorités d’agir le plus en amont possible. Ce qui est indéniablement nécessaire. Car plus on traite la criminalité à la racine, plus l’on renforce ses chances d’en venir à bout. La fameuse théorie de la vitre brisée part justement de la lutte contre les incivilités (j’entends ici les vraies incivilités ou les petites infractions et non les crimes maladroitement « euphémisés ») pour faire reculer l’ensemble de la criminalité. La police de proximité (et aujourd’hui la police de sécurité du quotidien) poursuit des objectifs louables tels que le renforcement des contacts avec la population. Il existe bien sûr des différences entre les deux mais je crois que pour avancer efficacement, il faut s’en remettre sur ce sujet à la criminologie et non à la rhétorique politicienne prompte à défaire ou critiquer sans les nuances nécessaires tout ce qui émane des autres partis politiques.

Sans prétendre à l’exhaustivité, je dirais donc qu’à ce stade et sans plus de détails, la seule réelle nouveauté qui apparaît dans ces annonces est l’extension des compétences de la police municipale. (Je laisse évidemment de côté les « primes de fidélité » qui raviront certes les policiers bénéficiaires, mais qui pourront tout aussi bien être interprétées par certains esprits mal intentionnés comme une tentative un peu facile de s’acheter leurs faveurs devant la maigreur des autres mesures annoncées.) Pour revenir à cette réelle nouveauté, cette extension annoncée des compétences de la police municipale, on aimerait surtout en savoir un peu plus. Jean Castex se cantonne en effet à annoncer le lancement d’une expérimentation à Nice et renvoie pour les détails à un cadre qui sera fixé par les ministres de l’Intérieur et de la Justice. Difficile alors de se forger une opinion précise au-delà des quelques observations suivantes : L’extension des pouvoirs de la police municipale est un sujet sensible. Le Sénat s’y est déjà opposé en 2016 au sujet des transports et l’Association des Maires de France s’y est quant à elle opposée, le 4 mars dernier, dans un autre cadre : celui du projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. L’une des craintes récurrentes est notamment de voir l’Etat se décharger sur les collectivités territoriales d’une partie de ses attributions sans réelles contreparties. On pourrait également poser la question de la compétence des agents (qui évidemment n’est pas la même entre ceux de la police nationale et ceux de la police municipale). Ce qui revient, en miroir, à s’interroger encore sur les dispositifs concrets qui seront envisagés pour y pallier. Autant de zones d’ombres que l’expérimentation niçoise devrait contribuer à éclaircir prochainement.

L'une des annonces les plus fortes concerne la forfaitisation des délits de stupéfiants, qui doit permettre aux forces de l'ordre de "verbaliser de la manière la plus simple l'auteur d'un délit". Le Premier ministre a assuré que cette mesure sera notamment "efficace dans la lutte contre les points de revente des produits stupéfiants qui gangrènent les quartiers". Y croyez-vous ? Appliquée déjà dans certaines villes, comme Reims ou Rennes, cette mesure est-elle efficace ?

Là non plus, aucune nouveauté fracassante. Cette annonce mériterait seulement d’être perçue également comme un simple point de communication d’étape. Reprenons-en la genèse. Emmanuel Macron consacrait sur ce point aussi, des développements dans son livre Révolution. Il y défendait en effet l’idée suivant laquelle « il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis, alors qu’une contravention lourde et payable immédiatement serait beaucoup plus économe en temps pour la police et la justice, et bien plus dissuasive qu’une hypothétique peine de prison dont tout le monde sait qu’elle ne sera finalement jamais exécutée. » Une mission parlementaire et une loi plus tard, la voie technique finalement retenue pour mettre en œuvre concrètement cette ambition a été, non pas la dépénalisation, non pas la contraventionnalisation, mais l’amende forfaitaire délictuelle.

Cette mesure a été votée par la loi du 23 mars 2019. Bien que son décret d’application ait été publié le 24 mai 2019, ce dispositif tardait li est vrai à être opérationnel. Pour autant, le retard pris ne semblait être -à en croire la communication du Gouvernement lui-même- que de quelques mois. Une réponse à une question au gouvernement posée par Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe et publiée le 14 mai 2019 révélait en effet : « Une expérimentation va être lancée dans les mois à venir sur le ressort de certains tribunaux de grande instance et un déploiement national de cette mesure est envisagé pour le début de l'année 2020. Au plan opérationnel, le ministère de l'intérieur en coordination avec l'agence nationale de traitement automatisé des infractions développe les outils nécessaires (procès-verbal électronique « PVe ») pour permettre aux forces de l'ordre de relever cette infraction d'usage de stupéfiants conformément à la procédure de l'amende forfaitaire. »

Hormis le fait que le déploiement national que le Premier Ministre nous annonce pour la rentrée a donc pris un semestre de retard par rapport à ce qui était initialement prévu, il n’y a donc ici non plus aucune nouveauté dans cette annonce.

Que penser pour autant de cette mesure ? Là aussi, -comme j’ai déjà eu le loisir de l’évoquer alors que j’étais interrogé sur ce sujet par la mission d’information de l’Assemblée Nationale il y a deux ans- il convient d’être nuancé. Bien que l’usage illicite de produits stupéfiants soit passible d’une peine d’emprisonnement, cette nouvelle amende forfaitaire délictuelle conduirait en pratique à accroître la sévérité de la réponse pénale. Prenons quelques chiffres pour illustrer cette analyse : En 2016, les parquets ont traité plus de 122 600 procédures d'usage de stupéfiants. La réponse pénale s’est traduite par 54,3% d'alternatives aux poursuites, « parmi lesquelles sont privilégiés le rappel à la loi mais également l'orientation vers une structure sanitaire ou sociale ». Précisons que cette année-là, cette dernière mesure n’a concerné qu’environ 10 000 auteurs. Précisons encore que « les décisions de poursuites sont quant à elles principalement réservées aux usages de stupéfiants commis en état de récidive légale ou connexes à d'autres infractions ». Comme première réponse à l’usage de drogue, l’amende forfaitaire de 200 euros apparaît donc plus rapide (sauf voie de recours) et plus sévère que le circuit actuel qui ne donne lieu le plus souvent qu’à un simple rappel à la loi. Si elle est correctement utilisée, cette amende devrait donc se révéler plus dissuasive. C’est d’ailleurs ce qui a conduit certains organismes, comme la commission nationale consultative des droits de l’homme à « s’opposer catégoriquement » à ce dispositif dans un avis en date du 25 novembre 2018 par lequel était déploré « le caractère automatique et déshumanisé de la répression envisagée ».

Il reste néanmoins une double problématique. Celle, d’une part, de l’absence de progressivité des réponses pénales successives. Et celle, d’autre part, de l’exclusion des mineurs de son périmètre. L’absence de progressivité tient d’abord au fait qu’il sera possible de distribuer en récidive ces amendes forfaitaires délictuelles. Elle pourrait en outre donner lieu à de sérieuses incohérences. Rien n’interdit par exemple qu’un récidiviste déjà condamné une ou plusieurs fois à des amendes de 200 euros, fasse ensuite l’objet -au terme d’un circuit classique cette fois- d’un simple rappel à la loi. Il existe enfin un risque prévisible d’inégalité. Comment éviter en effet qu’à certains endroits, l’amende soit fortement usitée, alors qu’à d’autres, on lui préfère le circuit classique, avec les différences de peines que l’on sait ? L’exclusion des mineurs du dispositif de l’amende forfaitaire délictuelle pose également question. Les mineurs sont pourtant les premiers concernés par cet enjeu majeur de santé publique. D'après l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le cerveau de l'adolescent, encore en phase de maturation, est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l'adulte. Or, selon l'enquête réalisée en 2014 sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la défense (ESCAPAD), en France 47,8 % des jeunes âgés de 17 ans ont déjà expérimenté le cannabis. A cette interrogation reprise par le député LFI Ugo Bernalicis, le gouvernement a livré une réponse en date du 19 juin 2018 qui peine à convaincre : l’accent est mis uniquement sur la prévention et la prise en charge. Concrètement, le gouvernement table donc seulement sur le développement des partenariats et des « consultations jeunes consommateurs (CJC) », un dispositif qui compterait actuellement 540 points d'accueil et de consultation, répartis sur près de 420 communes et qui permet de recevoir trente mille jeunes en consultation chaque année dont 80% viennent consulter au sujet du cannabis. Aussi bonnes que puissent être ces initiatives, est-il vraiment raisonnable, à l’heure où les jeunes Français sont les premiers consommateurs au niveau européen, avec un niveau d'usage trois fois supérieur à la moyenne européenne, de prétendre s’appuyer uniquement sur la prévention pour écarter du fléau de la drogue les adultes de demain ?

"La justice a trop longtemps été délaissée", a aussi déclaré le Premier ministre. "L’important dans une peine, ce n’est pas sa sévérité, mais sa certitude", or "l’Etat, faute de moyens suffisants, a laissé s’installer l’incertitude". Ces moyens vous semblent-ils être mis sur la table aujourd'hui ?  

Entre 2007 et 2019, le budget de la justice est passé de 6 à 9 milliards d’euros. Peut-on estimer pour autant que la situation s’est améliorée ? Il reste certes encore des efforts budgétaires à consentir mais ne faudrait-il pas également amorcer une réflexion sérieuse quant à la manière la plus utile de dépenser tout cet argent ? Il faut aussi essayer de se montrer pragmatique et apprendre à faire mieux avec les moyens disponibles.

Vous évoquez la certitude de la peine. Je partage cette conception qui est directement héritée de Beccaria qui écrivait en 1764 dans son fameux traité des délits et des peines que « la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si à cette crainte se mêle l’espoir de l’impunité. » La rapidité de la peine est également importante en ce qu’elle influe sur la certitude de la peine. Il faut reconnaître à Emmanuel Macron d’avoir eu le courage de réformer le droit de la peine sur un point important. Là où les condamnations à de la prison ferme jusqu’à deux ans sans mandat de dépôt conduisait à voir un juge d’application des peines chargé de commuer cette peine de prison en une autre peine, ce seuil a été ramené cette année à un an seulement. Les conséquences de cette réforme au regard des préceptes de Beccaria devraient être importantes si elles n’étaient pas hélas contrecarrées dans le même temps par un grave reniement du même Emmanuel Macron : celui de construire 15.000 nouvelles places de prison sur le quinquennat. Car le manque de place disponible conduit à mettre à exécution extrêmement tardivement de très nombreuses peines de prison. Les libérations massives du Covid ne changent hélas rien à ce problème qui tient essentiellement à des questions de flux importants.

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