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Des serres de légumes bio aspergées de pesticides : à qui profite le crime ?
©Tristan Arlaud

Agribashing

Des faits surprenants sont à rapporter depuis Le Puy Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône). 4 000 mètres carrés de serres de légumes bio y ont été vandalisés de manière surprenante, aspergés de pesticides. Ce crime d'un genre nouveau révèle-t-il une nouvelle forme d'agribashing ?

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Des faits surprenants sont à rapporter depuis Le Puy Sainte-Réparade, commune des Bouches-du-Rhône, située à une quinzaine de kilomètres au nord d'Aix-en-Provence. 4 000 mètres carrés de serres de légumes bio y ont été vandalisés de manière surprenante, aspergés de pesticides. Des produits sains, cultivés avec amour, dans le sens des évolutions sociétales actuelles, devenus impropres à la consommation, souillés, dangereux... Ce crime d'un genre nouveau révèle-t-il une nouvelle forme d'agribashing ? Quel esprit (in)humain peut-il trouver son compte dans de telles exactions, au point de risquer des poursuites au pénal ?

Les faits

La presse locale, en l'occurrence le quotidien La Provence, rapporte les faits : des individus se sont introduits dans la ferme des Jardins de paradis, située à Le Puy Sainte-Réparade. Ils ont cisaillé les serres et ont aspergé, à l'intérieur, tomates, poivrons, aubergines ou courgettes. Alors qu'ils étaient cultivés en bio, qu'une association avait été créée avec des consommateurs pour les faire participer aux cultures, et que l'ensemble profitait de la proximité d'une grande ville, Aix-en-Provence, pour contenter le besoin croissant en légumes frais et bio ressenti par les citadins.

Tristan Arlaud, l'exploitant, n'a pas vu immédiatement que ses légumes étaient ainsi aspergés, il a tenté de les sauver après les lacérations des serres. Mal lui en a pris, l'exposition prolongée à une très forte dose de pesticides lui a valu de tomber malade. Le certificat médical qu'il présente évoque "une incapacité de travail au sens pénal de 8 jours". Il y a donc les pertes financières matérielles plus récoltes en cours, la perte vis-à-vis des clients, plus l'incapacité de travail du maraicher... Cela fait beaucoup pour une ferme bio !

Pour l'heure, l'enquête est en cours. On ne peut donc se livrer qu'au jeu des hypothèses.

Hypothèse 1, un agribashing étendu au bio

A-t-on affaire à un acte d'agribashing ? Dans ce cas, ce serait une grande première, car visant une exploitation bio ! Cela signifierait que plus aucune ferme n'est à l'abri de tels actes inconsidérés et gratuits, quels que soient le mode d'exploitation, les cultures, les éventuelles "nuisances" supportées par les voisins... Cela semble invraisemblable. Eddy Fougier, plume de WikiAgri et spécialiste patenté de l'agribashing, explique ainsi volontiers que les passages à l'acte de l'agribashing sont liés à des sentiments de peur pour soi compte-tenu de l'agriculture développée : c'est donc avant tout une agriculture apparentée (à tort ou à raison) au productivisme qui est visée, ou celle qui consomme des pesticides... Or, en l'occurrence, on est exactement à l'inverse : c'est l'auteur de l'acte qui utilise les pesticides.

Si cette hypothèse devait néanmoins être retenue, il faudrait dès lors définir de nouveaux contours à l'agribashing, élargis, et considérer un "agribiobashing" pour le moins inédit...

Hypothèse 2, un acte commis par des "concurrents" en conventionnel

Ce serait un comble, aux heures difficiles que nous vivons dans notre agriculture, qu'on en arrive à des exactions pareilles entre agriculteurs. Pourtant, cette hypothèse "tient la route". Dans un contexte compliqué, où dégager de la marge devient quasi illusoire si l'on n'a pas trouvé le bon concept par rapport aux évolutions sociétales, ceux qui ont engagé de lourds investissements, au point de ne pouvoir changer, dans leur exploitation en conventionnel sont presque enfermés dans une spirale de production qui ne répond plus à la demande, par ailleurs grandissante envers le bio. Car, parallèlement, le concept de la ferme des Jardins de paradis constitue une réussite indéniable. Une jalousie peut naitre, croitre et devenir malsaine au fur et à mesure que la situation empire pour l'endetté.

Si cette piste devait se vérifier, cela signifierait que (certains de) nos agriculteurs sont tellement au bord du gouffre qu'ils sont devenus prêts à commettre les actes les plus insensés pour tenter de rétablir la situation. Ce n'est rassurant ni pour eux, ni pour leurs entourages, ni pour personne.

Hypothèse 3, l'acte malveillant gratuit de n'importe qui pour n'importe quoi

On ne peut évidemment exclure "l'oeuvre" d'un détraqué quelconque, qui aurait trouvé "amusant" de mettre des pesticides sur des cultures bio. Alors que la personne en question n'aurait qu'un lien éloigné avec le maraichage, pourquoi pas un ancien salarié agricole. Là, on serait dans le cadre d'un "acte n'importe quoi", qui aurait pu aussi bien ne jamais exister, ou viser quelqu'un d'autre, bio ou non, et même agriculteur ou non.

Ce pourrait être une personne du voisinage ayant une rancoeur, ou même de passage sans aucun lien avec quoi que ce soit de local. Cela reste peu probable tout de même...

Comment s'en remettre ?

Les victimes, le couple Arlaud, a mis une cagnotte en ligne sur Miimosa. Pour tenter de trouver des fonds pour se reconstruire, remettre debout les serres, nettoyer toutes les traces de pesticides...

J'ai eu Tristan Arlaud au téléphone, il précise "avoir toujours des craintes pour [sa] santé, ressentir toujours une forte gêne liée à l'exposition aux pesticides". Les deux autres volets sont économiques et moraux. L'économique peut redémarrer en vertu de l'engouement populaire et solidaire pour la ferme bio. Le moral ne remontera vraiment que lorsque l'enquête aura permis d'élucider l'affaire.

Que révèle ce fait divers ?

Au chapitre des exactions commises contre des agriculteurs, celle-ci est d'un genre nouveau : on s'en prend directement à l'outil de production pour détruire sa source de valeur ajoutée. Qui plus est, le bio allant dans le sens des attentes sociétales, on va carrément à l'encontre de celles-ci. A moins d'un hasard très peu probable (l'abruti de passage), il semble clair que c'est le modèle qui est visé. Non seulement c'est aller à contre-courant de notre époque, mais en plus la méthode choisie, pénalement répréhensible (et heureusement), sort totalement de la moindre volonté de débat, et même de vie en société.

C'est particulièrement alarmant.

Evidemment inacceptable.

Mais au-delà cette affaire doit être examinée de près, car cet acte est le signe révélateur d'une cassure profonde. D'un refus catégorique. Si l'hypothèse 2 devait être retenue, nous serions dans le cas où celui qui parvient à s'adapter serait la victime de celui qui n'y arrive pas. Deux échecs pour notre agriculture. Qu'il faudrait analyser d'urgence !

Article publié initialement sur le site Wikiagri

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