Le cas Molotov : quand l’Etat français se mêle de constituer des champions nationaux c’est bien mais il a tendance aussi à étouffer les jeunes pousses <!-- --> | Atlantico.fr
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©DR / Molotov

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La régulation sans doute nécessaire de l’industrie audiovisuelle française a décidément du mal à abandonner ses vieilles habitudes qui consistent à préserver la toute-puissance de l’État, au détriment de la concurrence qui, y compris dans ce secteur, doit fonctionner au bénéfice du consommateur.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’autorité de la concurrence a récemment écarté le recours introduit par la plateforme numérique Molotov, à lencontre des protagonistes dune future plateforme concurrente – Salto – associant TF1 et M6, alliés au groupe audiovisuel public France Télévisions. Mais beaucoup d’analystes observent que la décision pose plus de questions qu’elle n’en résout. A tel point d’ailleurs que la très sérieuse et docte Revue Dalloz a publié un article[1] soulignant  toutes les interrogations suscitées par cette décision. Et même les effets pervers. 

Les faits sont têtus : décidés à contrer l’influence croissante de Netflix en France, les deux principaux groupes audiovisuels privés TF1 et M6 ont oublié leurs querelles concurrentielles historiques pour se rapprocher de France télévisions (groupe public) et constituer Salto. Décision logique. Mais, pendant que les discussions de rapprochement avaient lieu entre ces acteurs représentant 70 % de l’audience TV en France, les deux groupes privés décidaient de faire barrage à la reprise de leurs programmes par Molotov, plateforme numérique innovante où les chaînes sont disponibles en partie gratuitement et qui apparait comme un concurrent potentiel au projet Salto.

 Salto devait donc être à l’audiovisuel français la machine de guerre pour affronter l’impérialisme des plateformes américaines.

Du coup, beaucoup d’interrogations sur l’impact concurrentiel du projet « Salto » ont alors été soulevées par un tas d’acteurs du secteur.  Un attelage de groupes si puissants n’aurait-il pas été tenté d’abuser d’une position dominante pour torpiller un concurrent ? N’y a-t-il pas une alliance (voire même un risque d’entente) entre TF1 et M6 décidés à priver Molotov des programmes de toutes leurs chaînes (TF1, TM, TFX, LCI, M6, 6TER, W9…) ? Alors que Molotov a pour vocation de permettre la réception sur tous les supports numériques des principales chaînes TV, au bénéfice du consommateur.

Le projet Salto est intelligent: réhabiliter et renforcer la souveraineté économique et industrielle de la France face aux menaces que font peser les géants mondiaux sur des pans entiers de notre économie, sursaut salutaire qui doit être collectivement favorisé s’il s’agit de faire émerger un champion national.  Mais qui fait parfois courir le risque d’entraver le dynamisme, les performances, les talents et les ambitions légitimes d’acteurs qui n’auraient pas eu la chance d’être sélectionnés pour faire partie de l’attelage du « champion national », comme justement Molotov.

Toute la question est de savoir si la nécessité de constituer des groupes puissants sur le marché international passe forcément par le risque d’étouffer des initiatives existantes et prometteuses. L’expérience prouve que non. La SNCF est restée trop longtemps enfermée dans son monopole alors que la concurrence du rail européen l'oblige enfin à innover. Ce quon ne dit pas, cest que la SNCF embourbée dans les contraintes du service public est devenu un groupe concurrentiel à l’étranger : en Grande Bretagne, en Amérique du sud ou en Afrique.

Par ailleurs, aurait-on un secteur de la télécommunication mobile aussi dynamique que celui que lon a actuellement si on avait protégé le monopole de France-télécom ou même lancienne PTT? Non seulement, les opérateurs comme Bouygues télécom, SFR ou Free n'auraient jamais vu le jour, mais ce qu’on ne dit pas assez, cest quOrange ne serait jamais devenue le champion mondial quil est aujourdhui.

Pour qu’aucun couperet ne vienne interrompre la compétition entrepreneuriale avant même qu’elle n’ait été engagée, la protection de l’Autorité de la Concurrence demeure essentielle. Sa vigilance scrupuleuse est là pour veiller à ne pas sacrifier la libre concurrence sur le marché français, au prétexte qu’il y aurait des combats prioritaires à mener sur la scène internationale, et qu’on ne pourrait donc pas s’embarrasser de « petits acteurs », fussent-ils innovants.

Au contraire, le respect du droit de la concurrence - destiné à protéger les acteurs en devenir des tentations hégémoniques des acteurs installés - est plus que jamais nécessaire, ne serait-ce, d’ailleurs, que pour laisser au marché le soin de sélectionner le projet industriel le mieux apte à devenir le « champion national » dans la bataille économique internationale.

Dans l’affaire des plateformes et plus précisément dans le cas Molotov, l’Autorité de la concurrence a très surement  la possibilité de jouer pleinement son rôle. En effet, des remèdes ont été imposés par l’Autorité lors du rapprochement des groupes TF1, M6 et France Télévisions en contrepartie de l’autorisation qui leur a été donnée de s’unir pour donner naissance à Salto. Ces remèdes consistent à préserver la capacité pour les plateformes concurrentes de diffuser dans des conditions équitables les programmes de ces mêmes groupes. Et quand le marche fonctionne librement, il n’empêche pas l’émergence d’un champion national.


[1] « Molotov perd une bataille contre Salto mais reste en embuscade »  par Me Fayrouze Masmi-Dazi, Dalloz Actualités, 20 mai 2020 https://www.dalloz-actualite.fr/flash/molotov-perd-une-bataille-contre-salto-mais-reste-en-embuscade

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