Crise financière en vue ? La Chine se rapproche de son moment Lehman<!-- --> | Atlantico.fr
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©Anthony WALLACE / AFP

Impact du Coronavirus

Face à l'impact économique et financier du Covid-19, la Chine pourrait-elle connaître une situation similaire à celle de la crise de Lehman Brothers, survenue en 2008 ? Comment la Chine peut-elle sauver son économie ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Face à la crise du Covid-19, la Chine est-elle en train de s’approcher de son « moment Lehman » ?

Michel Ruimy : L’endettement est le fondement du développement économique chinois. Il est devenu aujourd’hui excessif. Depuis 1978, les réformes, les politiques d’ouverture, de relance économiques… entamées par Deng Xiaoping, ont conduit à une forte croissance du crédit bancaire. Cette dynamique d’endettement s’est accéléré après la crise financière de 2008. 

Or, les banques ont été fragilisées par ces différentes initiatives. Depuis septembre 2008, le bilan des banques chinoises a gonflé de 15 000 milliards de dollars pour atteindre 24 000 milliards de dollars ! Près de 2 fois le Produit intérieur brut (PIB) du pays… Les chiffres sont à l’image de la taille de l’économie, gigantesques. Les bons indicateurs de santé d’un système bancaire faiblement concentré masquent une situation hétérogène entre institutions. Les 5 principales banques commerciales (40% des actifs du secteur), à capitaux publics et contrôlées par le ministère des Finances, sont fortement capitalisées et financent principalement les entreprises publiques tandis que les plus petites banques, aux ressources de financement limitées, sont davantage tournées vers le secteur privé et ne sont pas autorisées à opérer en dehors de leur province d’origine. Cela les a rendues tributaires du système bancaire non réglementé (shadow banking).

Régulièrement, le système financier de la Chine inquiète du fait de la survenance de défauts de paiement. La mise en résolution de la Baoshang Bank (mai 2019) a été l’évènement déclencheur d’une nouvelle crainte. En n’apportant sa garantie que sur une partie des emprunts de cette banque en difficulté, la banque centrale a mis fin au principe de garantie implicite sur les prêts interbancaires, ce qui a renforcé les inquiétudes sur la liquidité du marché interbancaire. Les grandes banques sont désormais plus frileuses à prêter aux petites banques. Plus récemment, vendredi dernier (17 juillet), les régulateurs ont pris le contrôle de 9 entreprises en difficulté, liées au groupe Tomorrow, dont les actifs totaux s’élèvent à plus de 171,5 milliards de dollars ! Tout ceci a ravivé les doutes sur la santé du secteur.

Le pays essaie pourtant de maîtriser la bulle de l’endettement. Mais il est placé devant un dilemme : soit laisser le marché digérer les échecs soit, maintenir une production « stable » de formes de crédit toujours plus risquées. Mais, il ne peut pas avoir les deux. En d’autres termes, il n’y a que deux issues possibles : soit un moment de type Lehman, avec un choc initial tel que l’effondrement d’une banque, suivi d’une crise économique soit, une longue période de croissance plus faible et, à terme, plus saine… à condition que la bulle n’explose pas en vol…

Quel sera l'impact de la transformation brutale de l’économie chinoise au niveau national ? International ? 

Durant les deux dernières décennies, la Chine a connu d’importantes transformations économiques. L’émergence de la Chine, devenue l’un des piliers de l’économie mondiale, s’est appuyée sur un modèle de croissance fondé sur l’investissement et l’intégration dans les chaînes de valeurs mondiales. Après avoir connu une croissance réelle très dynamique entre 1980 et 2010 (+10% par an, en moyenne), l’activité économique chinoise est entrée dans une phase de ralentissement, tombant à 6% en 2019, son plus bas niveau depuis 1990, principalement sous l’effet d'une baisse de la contribution de l’investissement à la croissance, témoignant de l’essoufflement de ce modèle.

Or, ce modèle de croissance, largement financé par l’endettement des entreprises et des collectivités locales, a entraîné de forts déséquilibres internes : un endettement devenu excessif de l’ensemble de ses agents économiques, un secteur immobilier instable qui génère des bulles à répétition et un système bancaire fragile. À cela s’ajoutent des surcapacités industrielles qui pèsent aujourd’hui sur la croissance.

Depuis 2016, les autorités chinoises ont lancé une série de réformes pour réduire les risques de correction brutale des déséquilibres et réorienter le modèle de croissance vers la consommation finale intérieure et le secteur des services. Ce rééquilibrage, qui peine à se matérialiser, se traduit pour le moment par un ralentissement progressif de la croissance. 

Si un « moment Lehman » survient, la Chine, assise sur des trillions de dollars de réserve, a, a priori, les moyens d’absorber le choc. Mais, malgré les moyens financiers mis en place, le risque d’une explosion « façon » crise des subprimes » effraye toujours les investisseurs car le problème ne sera pas résolu sur le fond (croissance alimentée par le crédit). Déjà, en janvier 2014, dans l’indifférence générale, les autorités ont refusé de laisser un fonds d’investissement faire faillite. C’était peut-être le « Bear Stearns moment » (référence au sauvetage in extremis de cette banque d’investissement en 2007, qui n’a pas empêché la chute de Lehman Brothers en septembre 2008) … jusqu’à quand ?

Au plan international, compte tenu du poids de la Chine dans le Produit intérieur brut mondial (13% en 2018), dans la demande globale (11% en 2018), notamment de matières premières (21% en 2017), et de son intégration dans les chaînes de valeur internationales, un ralentissement de son activité aurait un impact direct sur l’économie mondiale via le canal commercial et la baisse du prix des matières premières. Toutefois, l’exposition de l’économie mondiale à la Chine pourrait évoluer à la mesure des transformations de l’économie chinoise vers une moindre intégration dans le commerce mondial et une augmentation de son intégration financière.

Comment la Chine peut-elle sauver son économie ?

La Chine est victime de l’« effet miroir » de la crise des subprimes aux États-Unis c’est-à-dire des excès de l’économie d’endettement. Après la crise de 2008, qui a fait chuter le commerce mondial, principale source de croissance de la Chine, les autorités ont laissé s'ouvrir toutes les « vannes » du crédit, dans tous les secteurs et dans toutes les provinces, jusqu’à la démesure. Résultat, les risques de faillites en chaîne se sont multipliés. Restés, plus ou moins, dans l'ombre jusqu’ici, ils commencent à apparaître en pleine lumière. 

Face à cette situation, il conviendrait que le pays renforce le système de régulations et relève les niveaux de capitaux bancaires pour créer un tampon en cas de perturbations.

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