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Pire que le coup d’Etat permanent, la campagne électorale permanente ? Emmanuel Macron, le président cynique
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Elections municipales

Emmanuel Macron a présenté ses engagements après les propositions de la Convention citoyenne sur le climat. Ces décisions et cette allocution du chef de l'Etat interviennent alors que La République en marche a connu un échec lors des élections municipales.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico.fr : Hier, Emmanuel Macron a détaillé certains engagements faisant suite aux propositions des membres de la Convention Citoyenne sur le Climat, au moment même où le parti présidentiel subissait un puissant revers dans plusieurs grandes villes aux élections municipales face à EELV. Ces annonces sont-elles un nouveau coup de communication politique de la part du président ?

Virginie Martin : Il est en effet incroyable, que des élections aussi capitales que les élections municipales soient copieusement ignorées par le président de la République. Ce, d’autant plus au regard de la défaite absolue de LREM et bien sûr au regard aussi des questions civiques qui se posent compte tenu de l’abstention qui n’a pas grand chose à voir avec la peur du Covid. 

Le président ne semble avoir qu’une volonté : celle de ne pas nommer ces municipales, de les enjamber, de les nier. Ne pas nommer, permet bien sûr, pour ne pas donner plus de poids à ces élections, de les réduire à la portion congrue dans l’agenda médiatique. 

Les médias ayant horreur du vide, Emmanuel Macron s’empresse dès ce lundi matin de venir parler aux « 150 » de la Convention citoyenne : les élections municipales n’auront quasiment pas existé, et l’hyper président se remet au milieu du jeu et du spectacle. Il prend la parole longuement et tourne les projecteurs vers lui. 

Ce président sans aucun ancrage électoral local nie de ce fait la force des maires et des territoires. Ce président dont l’hubris est sans limite s’auto-convoque en ce lundi matin pour jouer une pièce dont il a bien sûr le rôle principal. Il ne cède par un bout d’espace médiatique aux maires fraîchement élus. Il reprend la main. 

Frédéric Mas : Je crois que le président Macron cherche un peu à sauver les apparences, c’est-à-dire à sauver sa communication centrée sur l’écologie, tout en préparant les prochaines échéances électorales. D’un côté, le parti présidentiel a fait campagne et beaucoup communiqué sur la nécessité de répondre à l’urgence climatique et écologique, de l’autre, les électeurs ont préféré voter pour les écolos d’origine plutôt que sa version light proposée par LREM.

Les médias ont relayé le coup de pouce au Plan Vélo d’Elisabeth Borne, considéré comme prioritaire parmi les filières à subventionner alors que nous nous apprêtons à subir l’une des pires récessions de notre histoire. Quelques semaines plus tard, c’est cette fameuse « Convention citoyenne pour le Climat » qui fait parler d’elle par la radicalité -ou la naïveté, c’est selon- de ses propositions et sature l’espace médiatique.

N’oublions pas que cette semaine intervenait aussi la fermeture du second réacteur de Fessenheim, fermeture initiée par Ségolène Royal puis confirmée par Emmanuelle Wargon après un temps de réflexion du président de la République.

Macron cochait toutes les cases de l’écologiquement correct, et Yannick Jadot n’est pas totalement infondé à voir dans ces démonstrations pesantes et souvent absurdes un certain « opportunisme écologique » visant à s’approprier l’électorat des centres-villes paniqué par la propagande écolocitoyenne.

Emmanuel Macron n’a en effet pas intérêt à s’aliéner totalement cet électorat urbain sensible aux valeurs ‘postmatérialistes’ de l’écologie s’il veut compter sur lui pour les prochaines élections. Dans l’offre politique de LREM, l’écologie tient une place essentielle pour teinter son centrisme autoritaire de progressisme, et se positionner de fait contre les « conservatismes » ou les « populismes », c’est-à-dire les formations politiques de droite et les extrêmes qui font tant peur aux classes protégées des Métropoles. Le progressisme macronien est un progressisme Canada Dry, c’est-à-dire classiquement social-démocrate avec des extraits de féminisme avec M Schiappa, d’écologisme avec E Borne, et même d’anticapitalisme avec Bruno Le Maire.

Emmanuel Macron est en quelque sorte toujours en campagne et tente en permanence de vendre sa politique et de se vendre en s’adaptant aux différents publics qu’il cherche à séduire. Seulement jongler de plan com en plan com peut se révéler politiquement contre-productif, au-delà de la vacuité de l’exercice. Ici, à force de légitimer le discours écolo le plus radical, le parti présidentiel a tout simplement redonné un second souffle à EELV qui n’en demandait pas tant. Je rappelle que le parti était donné pour mort après l’élection de François Hollande et la digestion de sa direction par le Parti socialiste. L’exécutif a fait sa campagne sans s’en rendre compte.

Quel impact ces nombreuses victoires des écologistes peuvent-elle avoir sur la politique nationale ? Sommes-nous face à une guerre idéologique d'une nouvelle forme ?

Virginie Martin : Ces victoires vertes incitent le président à aller directement siphonner les organisations écologistes en venant piquer dans le champ lexical de l’environnement. 

Tactiquement, il est coutumier du fait : il est parvenu à la présidence, sans le processus démocratique des primaires et a commencé par vider le PS de ses atouts, de ses électeurs, de ses cadres…  une fois cela acquis, il s’est tourné vers la droite et a siphonné LR. 

Il est temps maintenant d’aller faire de même avec les écologistes afin qu’ils ne deviennent pas trop puissants. 

Nier les municipales et synthétiser les propositions de la Convention citoyenne aujourd’hui est une opération de communication cynique mais magistrale. 

Nous ne sommes pas pour autant, dans un changement de logiciel au niveau national : Emmanuel Macron a dit et répété ce lundi que si « l’écologie devait être au cœur du système productif », il était hors de question de remettre en question ce système productif. 

Le clivage entre l’écologie politique qui est systémique et la politique menée par Emmanuel Macron sera toujours là. 

L’écologie politique demande par exemple une réduction du temps de travail hebdomadaire de même qu’une taxation des dividendes des très grosses entreprises – pour être financée de façon sérieuse. 

Sur les dividendes, le président a dégainé ce qu’il a nommé « ses jokers ». On voit encore ici une façon de gouverner très verticale. Le président sort ses jokers quand bon lui semble. Pour le reste les questions restent ouvertes : comment ces mesures vont-elles être financées ? Que veut dire « produire pour servir un modèle humaniste » ? On ne sait pas vraiment. 

Frédéric Mas : Je pense que nous sommes face à une recomposition profonde du paysage politique, et que l’écologie, avec ses ambiguïtés et sa force d’attraction, est en train de prendre la place du marxisme, avec qui elle a un petit air de famille, au sein de la mythologie politique de la gauche.

Comme le marxisme, l’écologie se présente comme une idéologie « scientifique » ou fondée sur des faits scientifiques indiscutables, qui « dépasse les clivages et les partis », et ne souffre aucune réserve. Elle propose un horizon d’action révolutionnaire teinté de religiosité qui peut rendre une partie de ses défenseurs profondément intolérants et moralisateurs, et semble préparer des lendemains qui déchantent. La pénalisation de l’écocide par exemple ouvre des perspectives glaçantes. Réclamée à corps et à cris par certains, elle permettra de s’abattre autant sur les entreprises récalcitrantes à ses dogmes les plus obtus.

Comme le marxisme, ses défenseurs les plus acharnés proposent de dépasser la démocratie représentative et ses arguties sur les libertés fondamentales pour « sauver la planète » des mains du commun des mortels. Le stade terminal de l’écologie radicale, c’est donc un peu un remake de l’esprit léniniste d’avant-garde, mais avec la petite bourgeoisie des hypercentres dans le rôle des fonctionnaires de la révolution.

Comme le marxisme, l’écologie est une idéologie divisée en chapelles plus ou moins radicales, dont l’influence se fait sentir bien au-delà des frontières de la gauche de la gauche.

Seulement, le marxisme prétendait incarner et réaliser le Progrès sur terre. Au contraire, le fond du message écologiste aujourd’hui est profondément réactionnaire, c’est-à-dire sceptique vis-à-vis de la technique, des sciences, des OGM, de l’accumulation des techniques que l’Occident a à disposition pour améliorer la condition humaine. C’est le socialisme moins l’électricité. Ses accointances avec les mouvements indigénistes et communautaristes témoignent aussi de son hostilité mal dissimulée contre l’esprit des Lumières, que ses défenseurs tendent à réduire au triomphe du capitalisme libéral tant détesté.

L’écologie en prenant la place du marxisme dans le paysage politique peut à la fois exercer une forte source d’attraction et de légitimité pour toutes les autres formations « progressistes », et constituer une sorte de « Bloc anti-progrès » freinant des quatre fers devant les évolutions sociales et technologiques qui ne correspondent pas à son idéal pastoral et au cadre bureaucratique nécessaire à son instauration.

Peut-on croire en la pérennité des engagements écologiques d'Emmanuel Macron, ou le "en même temps" si cher au président français finira-t-il par tuer dans l'oeuf une nouvelle fois ses promesses de rupture ?

Virginie Martin : Le décalage entre les discours de ce président et la réalité sont tellement importants qu’on peut en effet penser que tout cela finira par être dilué dans un grand tout. 

Mais du point de vue de la communication l’opération fonctionne, peut fonctionner. C’est l’exemple du terme « écocide » qui est un terme venant directement de la gauche que, par exemple, Benoit Hamon utilise beaucoup. Le président le reprend à son compte et l’introduit dans son champ lexical. C’est un marqueur communicationnel fort, très fort. Mais personne ne sait s’il sera suivi d’un bouleversement idéologique, et compte tenu de ses paroles devant les 150, on peut déjà en douter.

Emmanuel Macron utilise en fait parfaitement la force des actes illocutoires : L’acte illocutoire c’est « quand dire c’est faire » ; pour exemple, « Sésame ouvre-toi », et la porte s’ouvre. Dans le cas de ce président-des-mots, l’acte illocutoire revient à prononcer une parole, puis, à laisser imaginer que ces mots seront suivis d’effets. La parole remplace l’acte, la parole devient l’acte supposé, la parole devient l’acte espéré.

C’est aussi car Emmanuel Macron joue beaucoup avec ces procédés que ses prises de parole ressemblent souvent à une sorte de discours de tous les possibles. En effet, ses discours ne sont rien d’autres que des miroirs dans lesquels chaque électeur peut imaginer ce qu’il a envie d’y voir. Quand on pense que son livre-programme se nomme « Révolution » ! Chacun y a vu la « Révolution » qu’il a eu envie d’y voir !

Emmanuel Macron ce sont beaucoup de mots creux, mais ces mots sont ceux de Machiavel. 

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