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La justice serait-elle plus efficace et plus équilibrée en acceptant de recruter des magistrats plus âgés ?
©KENZO TRIBOUILLARD / POOL / AFP

Justice et âge

Ce jeudi, le défenseur des droits a appelé à la suppression des limites d'âge pour accéder à la magistrature : une décision qui interroge quant à savoir ce que la justice gagnerait à avoir des magistrats plus expérimentés.

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est un professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel. Il est notamment professeur de droit à Paris-I, membre du Conseil de la magistrature et Président de l'Association française de droit constitutionnel. C'est un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Il est Vice président de l’Association internationale de droit constitutionnel. Son dernier ouvrage paru s'intitule "Justice et politique: la déchirure?"  Lextenso 2015.

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Atlantico.fr : Quels sont les profils-types dans la magistrature aujourd’hui ? Que gagnerait-on à recruter des magistrats plus âgés ?

Bertrand Mathieu : Les magistrats du siège et du parquet sont, pour l’essentiel, recrutés parmi ceux qui ont suivi les enseignements de l’École nationale de la magistrature. Pour le premier concours d’entrée à l’École, destiné aux étudiants titulaires au moins d’un master 1 (4 ans après le bac), la limite d’âge est de 31 ans, pour les fonctionnaires en poste depuis au moins 4 ans, un second concours est organisé pour lequel la limite d’âge est de 48 ans, un troisième concours est ouvert aux personnes ayant au moins 8 ans d’activité dans le secteur privé et âgés au plus de 40 ans. Un recrutement hors concours est organisé pour des personnes justifiant d’activités juridiques ou titulaires du doctorat en droit, la limite d’âge est alors de 40 ans. Il existe également des possibilités de détachement et d’intégration directe dans les plus hauts grades, notamment la Cour de cassation, par exemple pour les professeurs de droit et, sous certaines conditions, les avocats. Cette présentation simplifiée des modes d’accès aux fonctions peut donner l’impression d’une grande diversité. En réalité ce n’est pas le cas. En 2018, 70% des auditeurs de justice sont issus du premier concours, seuls 1, 71% sont issus du troisième concours. incidemment on relèvera que 87% des auditeurs sont des femmes. L’âge moyen de la promotion, tous concours confondus, est de 28 ans. 

Ainsi, si les magistrats ainsi formés sont de grande qualité intellectuelle, ils sont, pour la très grande majorité d’entre eux, recrutés très jeunes et le corps judiciaire est donc très homogène. 

L’argument de la discrimination liée à l’âge, retenu par le Défenseur des droits, ne me semble pas essentiel. On a aujourd’hui tendance à faire produire au principe de non-discrimination des effets que l’on peut juger excessifs. Le critère lié à l’âge existe dans bien des situations. En réalité le problème c’est le manque de diversité dans les profils des magistrats et notamment le caractère très limité de l’intégration de juristes expérimentés et, plus largement, de personnes ayant une plus grande expérience sociale.  

Selon quel modèle la magistrature française fonctionne-t-elle ? Quelles modifications méritent d'être faites dans la carrière de magistrat ?

L’un des problèmes qui se pose tient au fait que des magistrats frais émoulus de l’École,  très jeunes et peu expérimentés, bardés de certitudes et souvent formés dans un moule idéologique univoque, occupent des fonctions essentielles, notamment en matière pénale, juges d’instruction, ou substituts du procureur. S’agissant de la carrière des magistrats, elle se déroule selon un avancement qui mêle une évolution à l’ancienneté et au choix. Si le choix est contrôlé par le Conseil supérieur de la magistrature composé d’une majorité (une voix) de non-magistrats, ce qui est une véritable garantie, et si les chefs de cours de tribunaux et de parquet sont choisis après une audition, les propositions relèvent d’une procédure où les commissions d’avancement largement contrôlées par les syndicats jouent un rôle essentiel. C’est ainsi le risque d’une reproduction endogène qui se manifeste. 

Indépendamment de ces questions délicates, car elles touchent à la nécessaire indépendance des magistrats, il conviendrait de réfléchir à une inversion partielle de la pyramide des carrières. Ainsi les fonctions où magistrats sont appelés à décider seuls (juge d’instruction, substituts..) correspondent au bas de l’échelle, alors que des fonctions collégiales (par exemple assesseur dans une cour d’appel) sont occupées par des magistrats plus expérimentés. On pourrait imaginer qu’au contraire, les jeunes magistrats se forment au début de leur carrière dans des fonctions collégiales, avant de gravir ensuite les échelons qui leur permettraient d’occuper des fonctions plus solitaires. Il suffirait pour cela de modifier la hiérarchie des carrières. 

Plus généralement, la magistrature a-t-elle besoin d'une meilleure diversification des profils ? Comment la rendre possible ?

L’une des solutions serait, comme c’est le cas, notamment dans les pays anglo-saxons, d’ouvrir plus largement la carrière de magistrats à des juristes expérimentés, par exemple à des avocats qui ont fait leur preuve dans l’exercice de leurs fonctions et choisis parmi les meilleurs, voir à des universitaires reconnus ou même à des fonctionnaires de police ou de gendarmerie de haut niveau.

L’autre possibilité serait de faire en sorte, qu’au-delà des stages qu’ils effectuent au cours de leur scolarité, les magistrats puissent être détachés dans des fonctions administratives (diplomatie, corps préfectoral) ou des fonctions au sein d’autres ordres juridictionnels (juridictions administratives) ou être mis en disponibilité pour exercer des fonctions privées, par exemple dans un cabinet d’avocats. Ces possibilités existent, pour partie, mais elles ne sont pas généralisées, et surtout les fonctions exercées à l’extérieur du corps judiciaire ne sont pas valorisées dans le déroulement de la carrière. Les juridictions administratives, et notamment le Conseil d’Etat, bénéficient incontestablement d’une plus grande ouverture de leurs membres au monde extérieur. 

L’homogénéité du corps judiciaire est souvent défendue au nom de l’indépendance des magistrats. C’est en effet une exigence fondamentale et des garde fous, visant à éviter qu’une trop grande diversification des profils n’y porte atteinte, doivent être prévus. Mais un repli du monde judiciaire sur lui-même peut donner l’apparence de l’indépendance, il n’implique pas l’impartialité. Est-on sûr que l’exercice de fonctions diversifiées, en dehors du corps judiciaire pendant une certaine période ou l’intégration de juristes expérimentés en plus grand nombre rendraient le corps judiciaire dépendant du pouvoir politique ? Le corporatisme d’un corps trop homogène peut aussi être une menace pour les justiciables. 

En conclusion ce n’est pas le principe de non-discrimination qui me semble être essentiellement en cause, mais celui de la protection du droit des justifiables à être jugé dans les meilleures conditions possibles.  

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