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Viry-Châtillon : un drame qui a durablement marqué les forces de l’ordre et à l’origine du mouvement de colère des policiers
©Thomas SAMSON / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Louis Arajol publie "Police en péril" (Cherche Midi). Manque de moyens, politique du chiffre, échec des politiques publiques mais aussi intensification des violences au sein de notre société... : les causes du malaise sont multiples. Extrait 2/2.

Jean-Louis  Arajol

Jean-Louis Arajol

Jean-Louis Arajol est major de police à la retraite. Aujourd’hui consultant, il a exercé dix ans à la préfecture de Police avant de devenir secrétaire général du Syndicat général de la police et de la Fédération autonome des syndicats de police. Il est l’auteur de Mais que fait la police ? et Police, une affaire d’État.

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8 octobre 2016, quartier de la Grande-Borne, Viry-Châtillon : quatre policiers ont pour mission de surveiller une caméra de surveillance installée au carrefour dit du Fournil, nom de la boulangerie voisine, pour surveiller les trafics de stupéfiants récurrents dans cette fameuse cité de la Grande-Borne, sur la commune de Viry-Châtillon. 

15 heures, une dizaine d’individus cagoulés lancent des cocktails Molotov en direction de leur véhicule. Plusieurs cocktails atterrissent à l’intérieur du véhicule, embrasant les fonctionnaires. Les agresseurs vont jusqu’à bloquer les portières du véhicule afin d’empêcher nos collègues de s’extirper. Très rapidement et vu l’ampleur dramatique des faits, un équipage arrive en renfort. Il est également pris pour cible par des engins incendiaires. Les collègues finissent par sortir des véhicules, se roulent par terre afin de ne pas brûler vivants. Plutôt que de recevoir de l’aide, ils essuient à nouveau une pluie de projectiles divers et variés. À terre, alors qu’ils sont en feu, des jeunes leur assènent des coups de pied. Les policiers sont d’urgence transportés dans les hôpitaux parisiens. Parmi eux, l’un est brûlé à plus de 30 %. 

Une sécurisation sans précédente du secteur est mise en place. Aucune interpellation n’est opérée. Les policiers sur place s’accordent pour dire qu’ils n’ont jamais connu une telle barbarie. 

Ces violences sont survenues dans la cité de la Grande-Borne, à un feu rouge qui a été longtemps été le théâtre de vols à la portière avec violence. Depuis plus d’un an, la mairie tente de reprendre le territoire aux agresseurs. Elle a dans ce but installé une caméra de vidéosurveillance, que les policiers attaqués étaient chargés de surveiller. S’ils doivent désormais faire des gardes statiques devant les caméras pour les protéger, il va falloir en recruter, des effectifs ! 

Le traumatisme est si important dans la tête de tous les policiers, et pour ceux de l’Essonne en particulier, qu’éclate alors une colère, une révolte sans précédent dans le corps des policiers de terrain. De cette colère historique naît le Mouvement des policiers en colère (MPC), devenu ensuite une association. 

Pendant plusieurs semaines, des fonctionnaires de police manifestent leur mécontentement, défiant même l’administration qui n’autorise pas ces rassemblements. Rassemblements effectués, parfois, en tenue civile, dans des véhicules de fonction et cortèges allant jusqu’à défiler sur les Champs-Élysées. 

Ce mouvement très médiatisé échappe totalement aux partenaires sociaux et prend rapidement de l’ampleur ; des dizaines puis des centaines de policiers rejoignent ces rassemblements. Une nuit, Jean-Marc Falcone, alors DGPN (Directeur général de la Police nationale), vient à l’hôtel de police d’Évry rencontrer M. Mazoyer, DDSP (Directeur départemental de la sécurité publique). Après six heures passées en réunion à Évry, lorsque le DGPN repart, une centaine de collègues l’attendent à la sortie du commissariat. Alors qu’il est copieusement sifflé, les policiers présents tentent de coller des affichettes et des slogans sur sa voiture. Ils l’invitent à démissionner. Un collègue se couche même devant sa voiture, l’empêchant ainsi d’avancer. C’est le DTSP qui viendra finalement extraire le fonctionnaire pour qu’il puisse repartir. Bon nombre de journalistes présents au moment des faits prennent de nombreuses photos, dont un cliché montrant M. Falcone apeuré à l’arrière de son véhicule. La situation est très tendue. 

Guillaume, major, fait partie du mouvement : « On est sur un département sensible et l’association s’est créée en réaction avec le ras-le-bol que l’on ressent. Beaucoup d’entre nous sont syndiqués et moi, perso, je ne critique pas les syndicats. Les jeunes sont un peu plus réfractaires. Ils ne sont syndiqués que pour leur avancement ou leur mutation. Mais bon, faut bien reconnaître que si tu n’es pas syndiqué dans la boîte… Cependant, les syndicats semblent ne servir qu’à ça aujourd’hui. Ou alors ils se battent, mais qu’est-ce qu’ils obtiennent de concret par rapport à ce que l’on subit tous les jours ? Depuis la manif place Vendôme sous les fenêtres de Taubira, qu’est ce qui a changé ? Non seulement nos conditions de travail se dégradent de plus en plus, mais on n’est pas respectés. S’il y a un dérapage, on déguste. Et si on ne fait pas le boulot parce qu’on est en incapacité de le faire, on déguste aussi. OK, on sait que, lorsqu’on fait ce job, on prend des risques. Mais ce serait bien qu’on puisse faire notre vrai boulot, que la justice suive, et que l’on se sente vraiment soutenus. C’est loin d’être le cas. Les flics municipaux ont plus de moyens que nous et lorsqu’ils interviennent et que ça se gâte, qui est-ce qu’on appelle ? Faut comprendre que l’on est toujours sous pression avec leur p… de politique du chiffre. On est à cran. Faut croire que c’est voulu pour qu’on pète les plombs. Nous les anciens, on a la pratique, l’expérience, mais on a la trouille. T’imagines un jeune qui débarque ? Pas loin de la Grande-Borne, il y a “Flic City”, sur Viry-Châtillon. Il y a, je crois, 520 familles de flics là-bas. Tu crois qu’ils sont tranquilles lorsqu’ils rentrent chez eux ? Lorsqu’ils bossent, ils ont peur pour leur famille. Et puis, franchement, c’est notre boulot de surveiller les caméras ? » 

Le drame de Viry-Châtillon est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. 

Moi-même, je suis en Afrique au moment des faits. Lorsque je regarde les infos, je ne vois presque plus que des leaders associatifs s’exprimer sur les chaînes d’information continue. Au fond de moi, je suis furieux. Je m’interroge. Que font les syndicats ? Je prends contact avec quelques amis journalistes spécialisés. Leur analyse est simple, cruelle pour le syndicaliste que je suis encore. Par les réseaux sociaux, je suis en contact avec un militant syndical de terrain qui s’est également engagé au sein du mouvement associatif. La double appartenance : un choix désormais courant. Ce militant, Raynald, renforce par ses propos ce que disent les journalistes : « Le syndicalisme n’est plus ce qu’il était, les délégués de brigade ou de service qui partagent le quotidien des collègues, il n’y en a presque plus. Il n’y a que des permanents. Les mecs s’engagent au syndicat uniquement pour les mutations ou les avancements. Et s’ils n’ont pas satisfaction, ils changent de crèmerie. » 

Toujours est-il que le mouvement social, nécessaire contre-pouvoir, se morcelle, s’affaiblit. 

Un permanent syndical me livre : « Une ou deux associations font de l’anti-syndicalisme primaire. Je connais certains de leurs dirigeants qui en veulent aux syndicats parce qu’ils n’ont pas eu de poste de permanent chez nous. Et puis, qui finance ? Qui est derrière tout ça ? Lorsqu’on les voit s’afficher avec certains politiques, ça craint quand même… On a l’impression qu’ils se vendraient pour des pourboires. Et qu’ont-ils obtenu ? En fait, s’ils étaient à la tête de syndicats, ces syndicalistes éconduits feraient sans doute pire. Ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres. »

A lire aussi : Les forces de l’ordre à l’épreuve du mouvement des Gilets jaunes : les racines du malaise policier sous la présidence d’Emmanuel Macron

Jean-Louis Arajol a publié "Police en péril, la grande maison brûle", aux éditions du Cherche Midi. 

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