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Coronavirus : l’hypothèse de l’un des principaux dissidents chinois sur le plan machiavélique de Pekin pour contaminer l’Occident est-elle crédible ?
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Origines du virus

Dans un entretien à Paris Match, Liao Yiwu, exilé en Allemagne, s'interroge sur la raison pour laquelle la Chine a confiné des dizaines de villes et interdit les voyages intérieurs tout en laissant des dizaines de milliers de Chinois partir à l’étranger alors que l’épidémie faisait déjà des ravages.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Dans un entretien qu'il a accordé à Paris Match ce mercredi, Liao Yiwu, célèbre dissident chinois, rappelle que tandis que les voyages intérieurs à la Chine ont été arrêtés dès le 26 janvier, les vols extérieurs étaient autorisés. « Des dizaines de milliers de Chinois et d’étrangers ont alors quitté le pays pour se rendre en Italie, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, dans une absence générale de prise de conscience. (…) Je pense que le gouvernement chinois avait une arrière-pensée. Permettre à tant de voyageurs de se rendre en Occident n’était pas un hasard… »

L’hypothèse formulée à mots couverts par Liao Yiwu quant à un possible complot de la part de Pékin pour contaminer l’Occident est-elle crédible ?

Emmanuel Lincot : On peut avoir de la rancoeur vis à vis du Parti-Etat chinois et toutes sortes d'hypothèses peuvent être en effet formulées. Pourquoi a-t-on menti sur le nombre réel des victimes en Chine, pourquoi Pékin a-t-il fait pression sur l'OMS et l'OACI ? Quelle est la part de responsabilité du laboratoire P 4 et / ou du marché animalier dans cette crise ? Comme je l'ai dit à plusieurs reprises dans des entretiens précédents, ces dysfonctionnements sont inhérents à la culture du régime politique chinois. On dissimule, on instrumentalise et on réécrit l'histoire à l'aune de considérations purement idéologiques. Que Xi Jinping ait réagi si tardivement pose question. Que les autorités françaises aient réagi aussi tardivement pose également question. Un article du Canard Enchaîné publié il y a plusieurs semaines mentionnait le fait que l'Elysée était parfaitement informé de la gravité de cette pandémie depuis Wuhan -  là même où se trouve un consulat français -  et ce, dès le début du mois de décembre. Pourquoi avoir attendu des semaines durant avant de tirer la sonnette d'alarme ? De là à dire comme le fait Liao Yiwu que cette pandémie est une arme bactériologique qui aurait été volontairement préparée par le régime chinois contre l'Occident ne repose - pour le moment - sur aucun fait tangible. Vu que les premiers séquençages du virus ont été manifestement détruits et que l'on ne retrouve pas le patient zéro, tout cela ne peut qu'alimenter les soupçons. Le fait également qu'aucune équipe scientifique française n'ait pu avoir accès au P 4, alors que le protocole de cette coopération franco-chinoise dans un domaine si sensible le prévoyait, ajoute à ces soupçons d'autres formes de suspicions: le virus a-t-il été fabriqué dans ce laboratoire ? Et si oui, à quelles fins ? A la suite d'une mauvaise manipulation aurait-il échappé à ses auteurs ? La meilleure façon de dissiper ces doutes serait de permettre à une équipe internationale d'enquêter librement à Wuhan même. Sous la pression de la communauté internationale, Pékin se dit prêt à le faire mais pourquoi la Chine met-elle tant de temps à autoriser d'une manière effective cette enquête sur son territoire ? Une chose est certaine: Xi Jinping aura tiré profit de cette crise pour renforcer son autorité en purgeant le Politburo et en menaçant sa périphérie (Inde, Taïwan...) comme l'Occident qui sort aujourd'hui fragilisé de cette épreuve.

L'écrivain-dissident chinois fait aussi remarquer que la falsification des chiffres officiels est traditionnelle en Chine (pendant la grande famine, de 1958 à 1961, 30 et 40 millions de personnes sont décédées, contre les plusieurs centaines de milliers de morts annoncés dans les documents officiels) et que la répression a augmenté avec la crise. Quelle attitude adopter face à une telle mise à mal des vertus politiques (vérité, honnêteté etc.) par le gouvernement chinois ?

Liao Yiwu a raison sur ces différents points. Ils sont corroborés par les travaux de l'historien Yang Jisheng - lequel a publié "Stèles" sur la famine et ses millions de morts, consécutive au Grand Bond en Avant (1958) - ou par les films du documentariste Wang Bing. L'usage systématique de l'Intelligence Artificielle durant la crise de la Covid-19 a permis également aux autorités, comme le rapporte le site dissident "Bitter winter" d'accélérer la répression à l'encontre des communautés religieuses notamment. La Chine communiste bafoue systématiquement les droits de l'homme avec une radicalité encore plus forte aujourd'hui au point d'y voir une forme d'"iranisation" - si je peux m'exprimer ainsi - de ses pratiques par la prise d'otage de ressortissants étrangers par exemple comme monnaie d'échange dans le conflit qui oppose les Etats-Unis à la Chine dans le dossier Huawei et celui de la 5 G. Notre attitude vis à vis de la Chine doit être pragmatique et sans illusion.  Nos hommes d'affaires, nos dirigeants ont été et sont complices des exactions commises par la Chine et tout d'abord vis à vis de ses propres ressortissants. L'Europe a enfin désigné la Chine comme un "rival systémique" et refusé de lui attribuer le statut d'économie de marché. Ceci est un pas allant dans le bon sens. Mais il y a un travail de mémoire  et d'éducation considérable à mener en France même contre tous ceux - conservateurs, giscardiens, néo-gaullistes ou gauchistes - qui n'ont jamais cessé de cautionner ce régime, ses crimes contre l'humanité. Soyons logiques: nous condamnons à juste titre toute forme d'apologie raciste et nazie. En revanche, nombre d'universitaires, d'experts obscurs en ministère et d'intellectuels qui ont pignon sur rue continuent d'encenser Mao Zedong, ses successeurs et le modèle chinois. Il y a là une incohérence dommageable à notre démocratie. 

En plus d'apparaître comme un complot, aux yeux de Liao Yiwu, ce virus est une punition du ciel : « Ce monde est un monde sans foi. Sa seule morale, c’est le commerce et l’économie. C’est pour cela que nous avons été punis », affirme-t-il. Que révèle cette autre hypothèse émise par le dissident chinois ? Sa volonté de trouver un responsable à la crise ne décrédibilise-t-elle pas l'hypothèse du complot ?

Là où je comprends Liao Yiwu c'est non pas dans son interprétation quasi-biblique de cette crise (et en cela, je serais beaucoup plus Chinois que lui en rappelant ce que dit Confucius: "Le Ciel ne parle pas"...) mais bien en rappelant que le capitalisme mondial (donc occidental et chinois) ont été complices de cette collusion entre un gigantesque pouvoir économique qui a été conféré au Parti-Etat communiste chinois permettant  - après les répressions de Tiananmen (1989) puis l'adhésion de la Chine au sein de l'OMC (2001) - une bien  plus grande exploitation des ouvriers chinois et ce, aux dépens de leurs contemporains occidentaux. La crise de la Covid-19 met rétrospectivement le doigt sur un fait sociologique constant: le grand capital n'est ni souverainiste ni patriote. Non seulement, nous payons cet extraordinaire gâchis de compétences et de vies que représentent les transferts de technologie de l'Occident vers la Chine mais la croissance frénétique de cet Etat-continent depuis ces quarante dernières années est à l'origine de bien des catastrophes que nous connaissons, qu'elles soient écologiques ou sanitaires. Alors oui, nous payons et nous allons payer d'autant plus longtemps que nos dirigeants actuels n'ont, d'une manière générale, aucune connaissance historique leur permettant de réagir d'une manière appropriée aux enjeux auxquels ils se trouvent confrontés. On a beaucoup reproché aux médecins d'avoir occulté les politiques durant la pandémie au sein de notre propre société. Je pense pour ma part que les institutions dirigeantes devraient davantage écouter également les historiens, les philosophes et les sociologues pour décider d'une manière raisonnée ce qu'il conviendrait de faire, comment nous devrions agir. C'est ce que nous pouvons attendre d'un véritable renouvellement de notre contrat démocratique afin d'établir une véritable réflexion stratégique à la fois sur les sujets de société mais aussi dans la définition de nos choix en matière de politique étrangère. Mais pour se faire, le politique doit davantage faire confiance à la société civile et être en mesure de prendre de la hauteur pour se projeter bien au-delà des échéances électorales, et sur la longue durée.

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