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La grande résignation : ces verrous idéologiques qui empêchent les élites de se saisir des problèmes (gérables) du pays
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Blocages idéologiques et politiques

De nombreux blocages politiques et idéologiques persistent en France sur différents domaines comme la gestion des flux migratoires, la protection des emplois, le fait de faire payer des impôts à des multinationales etc. Commet expliquer cette situation ? D'où viennent ces blocages ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Atlantico.fr : Quels blocages idéologiques et politiques empêchent notre nation de gérer les problèmes endémiques de violence et d'insécurité ?

Bertrand Cavallier : Un quartier de Dijon a été livré pendant quelques jours à l’affrontement entre des bandes armées d’origine maghrébine et tchétchène. Cette actualité nous ramène à la triste réalité de notre pays après une manipulation de l’opinion publique sur fond d’affaire Traore qui a égaré nombre de consciences de tout niveau.

Posons les vrais mots s’agissant de la situation de la France.

De nombreuses zones, en expansion constante, sont désormais sous le joug d’une dissidence criminelle liée à des flux extérieurs qui prend en otage les populations lesquelles majoritairement veulent vivre en paix.

Un ordre criminel se substitue à l’ordre républicain. Fournissant argent et subsides, financés par une économie souterraine structurée par des trafics illégaux, il offre un nouvel écosystème, un autre cadre politique et culturel relevant de cinétiques ethniques et confessionnelles. Ce nouvel ordre conforte sa légitimité en pesant sur des élus locaux qui se compromettent parfois pour des raisons électoralistes, et sur les associations. Nombre de délinquants fondent d’ailleurs leurs propres associations afin de peser sur les municipalités dont certains représentants tombent par démission dans le jeu du communautarisme où le poids des islamistes radicaux est un fait.

Certes, ce phénomène gagne toute l’Europe, y compris les pays nordiques qui se sont longtemps prévalus - non sans condescendance vis-à-vis des pays du Sud - d’un modèle permettant de le prévenir. Concentrons-nous cependant sur la France qui en la matière est certainement, avec le Royaume-Uni, le pays le plus affecté.

La France est donc à la croisée des chemins. Résultant de plusieurs décennies de légèreté de l’être, d’inversion, de lâcheté collective résultant de l’addition des lâchetés individuelles…la France comme jamais depuis le 16ème siècle est confrontée au risque de partition évoqué par François Hollande. Des transferts de population s’opèrent depuis des années, qui fuient ces zones hostiles. En dépit des cérémonies cultivant le devoir de mémoire, cette mémoire est souillée par notre passivité devant le départ massif de populations de confession israélite de certains territoires. Face à cela, le plus grand danger est la résignation collective qui, ainsi que le disait Manuel Valls, accepte un développement séparé, plus communément appelé apartheid et ce au détriment de la majorité des populations vivant dans ces zones et de l’indivisibilité nationale inscrite dans notre Constitution – qui fonde l’égalité des individus.

Qui peut aujourd’hui encore le nier ?

Comment donc échapper à ce chaos ? Comment refonder un avenir commun conforme à l’esprit de la France si bien exprimé par Marc Bloch ( L’étrange défaite ) ?  Sachant que l’illusion n’est plus de mise, l’action, selon la célèbre formule de Clemenceau (  « Il faut agir. L’action est le principe, l’action est le moyen, l’action est le but. L’action obstinée de tout homme au profit de tous, l’action désintéressée, supérieure aux puériles glorioles, aux rémunérations des rêves d’éternité comme aux désespérances des batailles perdues ou de l’inéluctable mort, l’action en évolution d’idéal, unique force et totale vertu ») doit primer.

Des préalables s’imposent.

Tout d’abord une volonté ferme, du courage, une énergie dans la capacité à imposer le modèle républicain dont les grands principes ne sont pas négociables. La République doit être dominante. Elle doit s’imposer en tout lieu et en tout temps. Elle doit dissoudre tous les communautarismes et s’opposer en cela au modèle américain. Le concept sacré français de la citoyenneté qui transcende les origines est un formidable atout pour relever ce défi.

Ensuite, la France doit enfin recouvrer la maîtrise des flux migratoires qui depuis des années, stimulés par des réglementations obsolètes, des moyens de contrôles sous-calibrés et un laxisme tous azimuts ont submergé les capacités raisonnables d’assimilation.

Enfin, toute la fonction publique doit se repenser et se régénérer. Se réinventer. Prioritairement celle en charge de la production sociale de sécurité, c’est-à-dire les forces de sécurité. Le temps n’est plus à la surenchère corporatiste portant sur l’augmentation continue des moyens et l’accroissement des effectifs. La France dispose de l’un des ratios les plus élevés de gendarme/policier par habitant. La Cour des comptes a été très claire dans ses nombreux rapports rendus depuis des années. Si le problème n’est donc pas dans leur nombre, il réside dans leur disponibilité. Celle-ci est en chute libre. “Combien d’agents de sécurité au quotidien“ s’interrogeait Alain Bauer dans le Figaro (  Police : de moins en moins d'agents sur la voie publique  Par Marc Jean Leclerc  Le Figaro 18/04/2010 ) en 2010. La gendarmerie de par son statut militaire conserve une disponibilité appréciable, comme l’a démontré son engagement au cours de la crise des gilets jaunes. Mais elle connaît toutefois une érosion constante, notamment du fait de la directive européenne sur le temps de travail qui lui a été malencontreusement appliquée malgré les souhaits du Président de la République.

L’outil de la sécurité intérieure, articulé autour de ses deux composantes majeures  - gendarmerie/police - doit être redynamisé et réorganisé. Loin des aventures stériles que j’avais dénoncées dans Libération ( Pourquoi vouloir faire disparaître la gendarmerie Libération 25/02/2020 ), il doit faire l’objet de réformes radicales : remise à plat des temps de travail, interdiction de l’exercice d’une autre profession, contraction des effectifs de la haute hiérarchie - et par là même de la bureaucratie - pour, sous plafond budgétaire, augmenter les effectifs de terrain, remettre en cause les filières d’accès direct à des postes de haute responsabilité, réactiver une vraie sécurité de proximité, restaurer les pleines capacités d’intervention en situation de crise de la gendarmerie (notamment le parc blindé…), augmenter le temps de travail, sanctuariser les créneaux de formation individuelle et collective…

Le président de la République a, avec justesse, redit que «  sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité ni liberté ». La gendarmerie nationale se mobilise déjà de façon exemplaire. Elle montre chaque jour, 24 heures sur 24, son engagement, sa passion d’être au service de tous nos concitoyens. Et cela dans le cadre de la loi fixée par les élus de la Nation. Elle doit être soutenue dans cette voie, visant une plus grande efficacité. Le temps n’est plus à des polémiques incertaines, mais à des actes forts et clairs.

Ces trois préalables posés, venons-en aux zones de non-droit. À “ces territoires perdus de la République ( Les Territoires perdus de la République - antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire est un ouvrage collectif paru en 2002 aux Éditions Mille et une nuits. Sous la direction de Georges Bensoussan ), titre d’un ouvrage paru en 2002. La République doit relever le défi de la reconquête sécuritaire, sociale, éducative et culturelle. Mais comment procéder alors que plus de 150 quartiers, parfois des arrondissements, sont peu ou prou déjà perdus? Il faut donc privilégier une manœuvre intégrée relevant des principes politiques de la contre-insurrection fondée sur la concentration des efforts et la mise en place d’une réserve stratégique. Se concentrer donc sur 10 quartiers tout en disposant des moyens de montée en puissance. L’échec ne sera pas envisageable, tant la réussite dans ces quartiers aura une force symbolique et pédagogique cruciale pour le processus de normalisation générale.

Dans ces 10 quartiers, la République doit démontrer toute sa puissance en promouvant une démarche globale.

Chaque quartier doit être placé sous la responsabilité d’un commissaire de la République disposant de pouvoirs exécutifs transverses, soit une autorité interservices, à vocation interministérielle. Il sera assisté d’un magistrat et d’une équipe pluridisciplinaire. Ces femmes et ces hommes devront réunir de fortes convictions, une grande robustesse et une expérience avérée du terrain.

La méthode doit donc être globale. Elle doit permettre d’agir de front dans quatre domaines majeurs et interagissants.

Un volet politique. Il faut redonner la parole aux habitants vivant dans ces quartiers, les libérer des tutelles des pseudo relais d’opinion autoproclamés imbriqués dans la criminalité et/ou le communautarisme. Ce terrorisme du quotidien que font peser aujourd’hui les tenants du racialisme et de l’indigénisme par l’importation de schémas totalement étrangers à la France doit être banni. Les consultations locales doivent être organisées pour faire émerger chez les habitants de ces quartiers, sans considération pour le droit de vote, les véritables aspirations et ainsi dépasser les hold-up des minorités agissantes. Il y a des risques certes, mais la vérité doit émerger comme un diagnostic qui permettra de construire les atouts et les valeurs de la République. Les femmes, les mères de famille - souvent les derniers piliers - doivent y trouver une part importante. Dans ces quartiers, elles sont celles qui donnent l’avenir.

Un  volet sécuritaire, soit “rétablir l’ordre républicain “ selon les termes de Malek Boutih ( Rapport Borloo “ une erreur de diagnostic“ L’Express  26/04/2018 ). En la matière, il y a lieu de mettre en place une logique de tolérance zéro, articulée autour de différentes mesures indispensables:

  • contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force la plus adaptée (atouts de proximité, capacités de montée en puissance…);
  • systématiser, à l’occasion de toute condamnation à une peine d’emprisonnement, l’interdiction de paraître dans le quartier a minima durant six mois, ainsi que l’interdiction du territoire français à tout individu étranger avec mesure effective d’expulsion ;
  • cibler les trafics illégaux, en priorité de stupéfiants en privilégiant la saisie visible par la population avoisinante des avoirs criminels. Il s’agira également de flécher la redistribution de ces biens mal acquis au profit des quartiers où ils ont été saisis pour que la richesse négative devienne positive pour toute la collectivité éprouvée par ces trafics ;
  • faire de la non-justification de ressources une infraction à part entière, en inversant la charge de la preuve;
  • s’agissant des rodéos, outre la poursuite pénale des auteurs, procéder à la saisie et à la destruction immédiate des véhicules sur simple constatation de l’infraction;

Le rôle des bailleurs sociaux également doit être central avec la protection accrue des gardiens d’immeubles et de leur capacité juridique via une assermentation à dresser des procès-verbaux en matière d’incivilité et à faire de toute agression à leur encontre un fait aggravant.

Sur le plan économique, il s’agit de briser l’assignation à résidence et le cercle pernicieux de l’exclusion selon des mesures très concrètes:

  • En lien avec les bailleurs sociaux repenser le parcours à l’accession à la propriété avec des prêts aménagés conduisant la population à se saisir de son environnement afin de le préserver et non plus à compter sur le tonneau des danaïdes de l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine);
  • Développer, sur le modèle du service militaire adapté (SMA), en lien avec le SNU (Service National Universel) et la garde nationale, des centres de formation professionnelle en lien avec les artisans et les PME pour créer des apprentissages adaptés moyennant des exonérations de cotisation sociale sous réserve de CDI à l’issue du parcours;
  • Développer le service civique qui constitue un apport complémentaire de revenus pour les jeunes en les orientant vers des secteurs apprenant et un parcours vers l’emploi ;
  • Créer des zones franches - non pas dans les quartiers - mais dans des zones proches desservies par les transports afin de permettre la mixité sociale au sein des entreprises ;
  • Donner des priorités à l’emploi public (État ou collectivité) à celles et ceux qui ont servi la France notamment au sein des forces armées afin de prouver que la Patrie est reconnaissante envers tous ses enfants.

Sur le plan éducatif, la mère des batailles, il s’agira de :

  • Redonner du sens à l’enseignement des matières fondamentales que sont le français, les mathématiques et l’histoire-géographie;
  • Revitaliser la formation civique articulée autour des valeurs de laïcité, d’égalité et de fraternité;
  • Cultiver l’amour du pays sans occulter la réalité de l’histoire de façon à permettre  à chacun de s’inscrire dans le récit national;
  • Ritualiser le respect au drapeau national et le devoir de mémoire des sacrifices de nos aînés;
  • Mettre en œuvre la participation à des travaux d’intérêt général (embellissement…) et à des actions sociales (visites de personnes âgées…);
  • Extraire les jeunes en difficulté par la mise en place - en dehors des quartiers - de systèmes d’internat et d’écoles d’excellence de la République afin de réamorcer l’ascenseur social et la méritocratie républicaine;
  • Favoriser la créativité et l’effort par des fondations thématiques (sport, culture, nouvelles technologies) qui offrent des parcours professionnalisants solides.

S’inscrivant dans une tendance lourde, les faits récents résonnent comme un ultimatum et nous obligent – individuellement et collectivement - à l’action.

Yves Michaud : Je donnerais la première place aux blocages politiques. A partir du moment où depuis 2002, on articule l'élection principale, celle du Président de la République ,sur la peur de la menace frontiste, peu de positions modérées et nuancées sont possibles sur la violence, l'insécurité, l'immigration mais aussi sur beaucoup d'autres sujets: l’illettrisme, le décrochage scolaire, la sélection, les programmes éducatifs, l'identité nationale, les drogues, le maintien de l'ordre, la prison, la place de la religion,etc. Il est intéressant de constater que l'irruption des questions indigènes-raciales-ethniques bouscule en ce moment cette polarisation. Macron a essayé de les ignorer, comme il a essayé d'ignorer la question religieuse, et l'essentiel du clivage simpliste demeure. Il compte sur lui pour sa réélection.

Quant à la droite, elle est depuis longtemps complètement tétanisé par ce clivage et condamnée donc à s'émietter en tendances sans pouvoir adopter des positions claires, ou alors des équilibres improbables à la Sarkozy : d'un côté le Karcher, de l'autre l'ouverture à la société dite civile (qui n'existe pas).

Ensuite, évidemment, il y a les blocages idéologiques. Je ne suis pas certain qu'ils soient uniquement français, même si nous y mettons une touche bien de chez nous. Il y a une bien-pensance moralisatrice culpabilisée (et très hypocrite) mondiale qui veut que « tout le monde y soit beau, tout le monde y soit gentil ». J'ai publié, il y a déjà quatre ans, en 2016, Contre la bienveillance qui annonce la couleur et est plus que jamais d'actualité. Cette maladie moralisatrice entraîne des comportements d'aveuglement et d'euphémisation. On ne veut pas savoir et on ne veut pas nommer les choses par leur nom. Les gens veulent bien dénoncer la violence mais y comprendre quelque chose en voyant ses aspects très divers, ça jamais !

Je vois deux causes à cette maladie: la culpabilité de gens riches et heureux qui se croient seuls au monde – par rapport au tiers ou quart monde – et, plus gravement, le délitement des engagements républicains : on ne veut surtout plus avoir affaire à des citoyens mais à des catégories de gens qui souffrent, sont victimes et émettent des plaintes. Il n'y a plus de République mais un guichet pour assistés. 

D'où viennent ces blocages ? Quels risques présentent-ils pour notre démocratie ?

Yves Michaud : Notre classe politique, qui est en fait une oligarchie politico-administrative, une power elite au sens de C. Wright Mills, est très ignorante en raison de sa formation généraliste et rhétorique en préparation à l'Ena (à l'Ena, pendant la scolarité, on n'apprend de toute façon rien, on se fait du réseau) et parce qu'elle n'a pas le temps de lire ni de réfléchir. Elle cumule les mandats, passe son temps à parler dans les médias et se repose sur des « conseillers » qui ne savent rien de plus qu'elle et lui communiquent des « notes » ineptes. Il est significatif que deux de nos prétendus « meilleurs esprits politiques », Juppé à droite et Fabius à gauche, aient adopté sur la question syrienne la même position idiote anti-Assad et pro-printemps arabes en démontrant ainsi leur parfaite ignorance de ce qui faisait autrefois le cœur des concours de recrutement du Quai d'Orsay : la Question d'Orient, qui se pose au moins depuis la guerre russo-turque de 1768-1774...

Alors ces gens se renseignent dans les dîners en ville, reçoivent des visiteurs du soir et... n'en savent pas plus. J'ai été sidéré, en tant que concepteur de l'Université de tous les savoirs, du choix par Macron et ses conseillers des membres de leur prétendu « Conseil Scientifique » qui sont de modestes scientifique bureaucrates ou des personnes du passé. C'est qu'il n'y a parmi nos politiques et leurs conseillers personne qui connaisse bien le milieu scientifique actuel.

Quant aux risques pour notre démocratie, ils sont déjà là : c'est non pas la fracture sociale mais les fractures sociales – une société qui se fissure de tous les côtés. Heureusement quand arrivent des drames comme celui du Covid, ça resserre un peu les rangs mais à quel prix et pour combien de temps ?

Quels blocages idéologiques et économiques empêchent notre nation de gérer les problèmes endémiques de violence et d’insécurité ?

Michel Ruimy : L’actuelle situation de la France est, pour le moins, inquiétante, car elle doit faire face, non pas à quelques problèmes, mais à une pluralité de crises : insécurité physique et matérielle (depuis les incivilités jusqu’à la plus violente des criminalités), insécurité économique et sociale (chômage de masse, retraites incertaines…), insécurité culturelle (multiculturalisme dû à une immigration non assimilée, déracinement en raison de la mondialisation…). L’aggravation possible de chacune de ces crises est naturellement anxiogène. 

Par ailleurs, le débat sur l’insécurité est toujours porté par des acteurs politiques qui pensent y trouver un intérêt électoral, sur le plan national ou local. Ce sont d’abord des partis politiques, mais parfois aussi des groupes de pression qui peuvent chercher à dramatiser les problèmes pour promouvoir leur « cause ». Ainsi, le Rassemblement National a publié son « livre blanc », dédié à la lutte contre l’insécurité, qui est un élément phare de son programme pour 2022 et qui s’inscrit, sans surprise, dans sa rhétorique politique, partagée également avec la Droite depuis les années 1970. De même, de nombreux candidats aux élections municipales agitent la menace d’une insécurité grandissante pour mieux se poser en remparts, à coups d’augmentations des effectifs, de l’armement des polices municipales et des caméras de vidéosurveillance.

Or, ces discours fonctionnent, en partie, grâce à l’ignorance de la réalité des phénomènes de délinquance et de leurs évolutions. La vie quotidienne est, en réalité, faite d’agressivité verbale, de petits harcèlements, de petites dégradations, de petits vols et non de meurtres, de viols ou de vols avec violence. Face à ces infractions du quotidien, souvent répétitives, de nombreux citoyens demeurent mécontents car ils ne trouvent généralement pas ou peu de réponse de la part des services publics de sécurité et de justice. De fait, le surarmement technique et juridique auquel procèdent les élus nationaux et locaux apparaît décalé par rapport à ce quotidien. En d’autres termes, ceci revient un peu à vouloir « écraser une mouche avec un marteau-pilon ». 

L’incapacité des politiques à appréhender la réalité de l’interaction des crises procède essentiellement de leur idéologie matérialiste : ils réduisent les dysfonctionnements de la société à un trouble dans le domaine de l’avoir. Ils ne parviennent pas à identifier la nature profonde des enjeux, à déterminer le dénominateur commun de toutes les frictions. Ils ne saisissent pas qu’il y a, à leur racine, une crise de l’être : le corps social français vit une étape périlleuse et décisive dans son existence.

D’où viennent ces blocages ? Des solutions de déblocage existent-elles ?

Michel Ruimy : Le débat sur l’insécurité n’est pas une spécificité de notre époque. Depuis le début du XXème siècle, trois périodes ont vu ce thème dominer le débat public, avec, à chaque fois, des figures de dangerosité associées. Durant les années 1905-1910, la figure des « apaches » a cristallisé les peurs et a incarné cette dangerosité supposée. Au tournant des années 1950-1960, ce fut celle des « blousons noirs ». Et, depuis le début des années 1990, c’est celle des « jeunes des cités ».  

Aujourd’hui, deux facteurs peuvent expliquer la force inhabituelle de l’exaspération. Tout d’abord, la paupérisation économique, le déclassement social… de catégories socioprofessionnelles jusqu’ici distinctes (ouvriers, agriculteurs, employés et artisans) rendent celles-ci solidaires. Ensuite, l’affaiblissement des partis politiques et des groupes d’influence (Églises, syndicats) : la contestation qui gronde n’est pas canalisée, comme jadis, par des corps intermédiaires susceptibles de la brider par stratégie ou par idéologie. Aussi, la « docilité politique » de la population s’efface-t-elle progressivement devant la conviction que sa situation et surtout celle de ses enfants ne peuvent qu’empirer. Ceux qui perdent l’espoir d’une ascension sociale sont naturellement plus enclins que les autres à basculer dans la radicalisation politique.

Il est vain de chercher une solution unique, une panacée : il faut ralentir ces processus de retour à des situations régressives et inhumaines en réduisant les inégalités sociales et économiques qui favorisent les peurs, en luttant lutter contre le racisme et les discriminations, en développant les structures locales de régulation collective… Pour atteindre ces objectifs, nous devons apprendre à vivre ensemble, à réunir et réconcilier ceux qui ne se rencontrent plus. Or, aujourd’hui, apprendre à vivre ensemble signifie apprendre à coopérer dans le conflit car celui-ci est devenu inévitable dans nos sociétés : proximité de personnes dont les normes sont différentes, remise en cause nécessaire de l’autorité sous sa forme traditionnelle, peu adaptée au traitement de la complexité, surabondance des informations et des propagandes… Une nouvelle forme d’éducation civique doit nous permettre de répondre aux défis d’un monde menacé par toutes les sortes de totalitarismes.

Une meilleure situation économique et sécuritaire sont les deux choses que la population demande aujourd’hui à un président de la République. Quand l’économie se porte bien et que la sécurité est assurée, tout va pour le mieux. Or, la situation d'Emmanuel Macron vis à vis de cette dernière n’est pas au beau fixe. Il n’a personne autour de lui qui incarne l’autorité au moment où les Français veulent de l’ordre. L’autorité de l’État a été fragilisée ces derniers mois et les événements ont laissé s’installer l’idée qu’on pouvait obtenir des choses par la violence. 

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