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Ces pièges surprises dans lesquels pourrait tomber l’Élysée en cas de dissolution de l’Assemblée nationale
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Article 12 de la Constitution

La dissolution de l'Assemblée nationale serait l'un des scénario fantasmés par l’entourage du président de la République pour essayer de le relancer pour l'élection présidentielle de 2022. Quels sont les effets recherchés par cette éventuelle dissolution ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico.fr : Quels sont les effets que recherche Emmanuel Macron dans le cadre de cette éventuelle dissolution ? 

Jean Petaux : Le recours à l’article 12 de la Constitution, celui qui concerne la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, n’a eu lieu que cinq fois en 62 ans de Cinquième République. Les effets attendus ou recherchés par une dissolution sont directement liés aux circonstances qui ont généré la dissolution.

En octobre 1962 c’était la réponse immédiate et foudroyante à la seule motion de censure jamais adoptée par l’Assemblée, là encore jusqu’à aujourd’hui, et qui a eu pour conséquence de renverser le premier gouvernement Pompidou. Cause de la crise : l’élection au suffrage universel du président de la République inacceptable pour la quasi-totalité des partis politiques alors, à l’exception d’un seul, l’UDR, le parti gouvernemental.

Deuxième dissolution : celle du 31 mai 1968, provoquée par les fameux « Evénements de Mai » et destinée à renverser complètement le rapport de force politique. Le recours alors à l’article 12 est typiquement dans l’orthodoxie de l’usage gaullien de la Constitution. Le pouvoir est contesté, bousculé, presque sur le point d’être renversé. Le président de la République élu au suffrage universel deux ans et demi plus tôt est constamment conspué. La dissolution de l’Assemblée nationale est une des deux manières de relégitimer l’exécutif, l’autre étant la voie du référendum avec menace de démission si le « non » l’emporte (peu importe la question).  Scénario qui va se dérouler en mars 1969.

Les deux dissolutions de l’Assemblée provoquées par François Mitterrand n’auraient plus l’occasion de l’être de nos jours puisqu’elles recherchaient une adéquation entre le Président élu (ou réélu) en mai et l’Assemblée nationale. Le quinquennat d’une part, « calant » l’élection présidentielle sur la même durée qu’une législature et les législatives étant organisées après la présidentielle, aussi en juin 1981 qu’en juin 1988, les effets recherchés ont été atteints. Ce qui est intéressant d’ailleurs c’est que dans les deux cas, cinq années plus tard, en 1986 et 1993, la France a connu une cohabitation. Il n’était pas envisageable en effet de dissoudre une assemblée dont la majorité était très récente, donc avec une légitimité plus « neuve » que celle du Président.

La cinquième dissolution est la plus surréaliste et la plus politiquement étonnante. Elle se produit en avril 1997 et elle ne recherche qu’un effet : « virer » les députés balladuriens qui ne cessent d’harceler le premier ministre Alain Juppé et lui mènent une vie de chien à l’Assemblée alors qu’ils se disent appartenir à la majorité présidentielle et parlementaire. Là où il aurait fallu dissoudre (sans risque) en juin 1995, en s’y prenant 22 mois plus tard, Jacques Chirac s’y prend 22 mois trop tard. Au printemps 1997, il n’y a aucune crise sociale ou politique ouverte, pas, évidemment, de renversement du gouvernement par une motion de censure, pas de nécessité de se relégitimer et surtout aucune situation avérée de cohabitation potentielle. Donc rien ne justifie politiquement ce recours à l’article 12 qui n’est pas un mécanisme constitutionnel comme un autre. Les Français ne s’y trompent pas. Ils n’apprécient pas du tout cette « dissolution pour convenance personnelle » et sanctionnent durement la majorité gouvernementale sortante, la renvoyant pour cinq ans dans les rangs de l’opposition. Sans doute cette situation politique aberrante a-t-elle permis d’assurer la réélection de Jacques Chirac face à Lionel Jospin. Reste que ce sont plus les erreurs tactiques à répétition du candidat PS, premier ministre sortant, qui ont fait qu’il a été devancé dans les urnes au premier tour par le leader l’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen. Mais cela personne, ni à droite ni à gauche, n’est à même de le dire en juin 1997 !

Avant de jouer avec les allumettes de la dissolution, Emmanuel Macron devra bien méditer sur la pratique et l’usage de Jacques Chirac au printemps 1997. Si Emmanuel Macron veut dissoudre l’Assemblée il le fera forcément dans la position qui était celle de son prédécesseur à l’Elysée entre 1995 et 2007. Ce sera une dissolution qui apparaitra très largement pour convenance personnelle elle aussi. Elle se traduira sans doute par une forte majorité parlementaire hostile à LREM et à l’exécutif mais, situation nouvelle par rapport à 1986, 1993 et 1997, potentiellement hostile à toute forme de cohabitation. Pour une raison simple : cette « majorité parlementaire » sera éclatée, disparate, coalisée (ou pas) et donc très difficile à « négocier ». Ses composantes seront donc fortement tentées par la surenchère pour exister les unes par rapport aux autres. Au final c’est l’opposition à la cohabitation, la position la plus radicale donc, qui pourra prendre le dessus sur les autres options. Il n’est pas certain alors que le chef de l’Etat « tienne le choc » et ne soit pas obligé de remettre son mandat en jeu pour régler la crise de légitimité qui s’ensuivrait automatiquement. Là où, éventuellement, Emmanuel Macron aurait voulu rejouer le coup de 1986 et 1993 avec une « cohabitation » lui permettant de redorer son blason en deux ans, entre 2020 et 2022 , il ne risquera de récolter que tempêtes et tourments….

Emmanuel Macron dispose d'une large majorité absolue relativement disciplinée : comment justifier publiquement cette démarche ? Est-il d'ailleurs si sûr ce coup politique ?

Jean Petaux : La majorité absolue LREM à l’Assemblée n’existe plus et l’exécutif est désormais sous la menace d’une défiance du MODEM ou d’AGIR. Cette menace est toute théorique et relative bien sûr car on sait que parmi les « dissidents » de LREM à l’Assemblée, ou au sein du MODEM et d’AGIR, nombreux sont ceux qui ne sont pas disposés à se faire « hara-kiri » sur l’autel du « jusqu’au boutisme » et qui ne voteront jamais la censure du gouvernement Philippe. Il est classique dans toute vie parlementaire qu’une majorité large et opulente soit turbulente et aime bien les « chikayas » en son sein. Comme si la loi du nombre générait mécaniquement une série de dissonances et de prises de position peu « orthodoxes » par rapport à la ligne définie par l’état-major du parti gouvernemental. Les Britanniques, dont le système électoral pour la désignation aux Communes (par arrondissement, uninominal, majoritaire à un seul tour) favorise les grosses majorités, sont coutumiers ainsi des luttes intestines. On se souvient comment Maggie Thatcher, pourtant « Dame de Fer », a ainsi été « liquidée » par son propre parti et dégagée du 10 Downing Steet, dans la plus pure tradition des révolutions de palais au Kremlin, à la grande époque du PCUS.

Emmanuel Macron pourrait justifier son recours à l’article 12 par la perte de sa majorité absolue à l’Assemblée. Mais cette argumentation ne convaincra que les convaincus ou ceux qui ne souhaiteront que l’être. Pour les autres, la très grande majorité des Français, la manœuvre sera jugée grossière et le retour de bâton électoral ne manquera pas d’être cinglant.  Clairement : ce « coup politique » a un tel « coût d’entrée » exorbitant que la probabilité est grande que Macron puisse s’y « casser le cou… », tout simplement.

Au regard de la carte électorale française, quelles résultats peut-on anticiper suite à une dissolution éventuelle de l'Assemblée Nationale par Emmanuel Macron cet automne ?

Xavier Dupuy : La première question que l’on doit se poser afin de mesurer l’impact possible de cette dissolution sur le paysage politique français est celle du contexte dans lequel il la fera. Est-ce que les Français vont comprendre le sens de cette dissolution ? Si le sens n’est pas compris, il perdra à coup sûr sa majorité. C’est le scénario le plus probable étant donné que le président dispose d’une large majorité à l’AN.

 S’il est compris, il y aura plusieurs autres paramètres à analyser: combien des députés sortants se représenteront ?  Combien de candidats issus des territoires locaux, notamment des maires,  seront tenté de se présenter dans l’opposition. 

Dernier élément à analyser : au regard l'impopularité du pouvoir, n'allons nous pas assister à un réflexe inverse des électeurs par rapport à juin 2017, c’est-à-dire à une coalition d’électeurs qui voudront s’opposer à LREM ?

Le fait que nous ne maîtrisons pas ces différents paramètres rend très difficile de dire aujourd'hui si une dissolution seraient automatiquement ratée ou réussie. 

Le seul paramètre qui existe à l’heure actuelle, mais dont nous ne pourrons mesurer l'impact que le moment venu, c’est cette possibilité de mélange des voix des électeurs de droite et de gauche pour battre la majorité présidentielle.

Un autre scénario à ne pas exclure au regard du climat politique actuel, est celui d’une Assemblée nationale sans majorité. Devant l’effondrement de LREM et des poussées communes de la droite et de la gauche ( écologiste, LFI, PS ) c’est une conclusion plus que probable à une dissolution cet automne. Cela deviendrait alors très compliqué pour Emmanuel Macron. Ce scenario l’affaiblirait profondément et il serait dans l’impossibilité de se refaire une virginité politique comme avait pu le faire François Mitterand de 1986 à 1988.

À mes yeux, cette dissolution ne peut-être qu'une bérézina pour la République en Marche.

Dans le contexte d'une assemblée fragmentée et une opposition peu crédible : y a-t-'il un risque réel de voir s'imposer un candidat populiste ?

Jean Petaux : La France n’est pas l’Italie. Le mode d’élection à la députation peut favoriser une majorité large et quasi-hégémonique, c’est même pour cela qu’il a été conçu par le constituant en 1958 afin de sortir de l’instabilité parlementaire chronique de la Quatrième république. Mais cette majorité n’est pas si facile que cela à obtenir : en 1958 cela n’a pas fonctionné ainsi pour les Gaullistes qui ont dû s’appuyer, entre autres, sur les « Indépendants » lançant à cette occasion la carrière de Valéry Giscard d’Estaing ; en 1967, bis repetita, dans des conditions bien plus tendues d’ailleurs puisque la majorité parlementaire alors ne tenait qu’à sept petites voix face à la FGDS et au PCF. On pourrait multiplier les exemples : en 1988, le gouvernement de Michel Rocard, même avec ses « alliés » traditionnels tels que le MRG et quelques « ministres d’ouverture », n’a pas de majorité à l’Assemblée. Sans le doigté, l’intelligence et le sens politique de son conseiller politique et parlementaire, le constitutionnaliste Guy Carcassonne, décédé tragiquement il y a juste dix ans, Rocard  n’aurait jamais pu faire passer ses projets de loi. A la grande joie du président Mitterrand d’ailleurs qui y trouvait là un plaisir quasi-sadique, aussi jouissif sans doute que le déchiquetage au canif d’un seigneur vaincu dans la Chine impériale. Nous avons évoqué plus haut la situation politique compliquée que vivait au jour le jour Alain Juppé au Parlement entre 1995 et 1997, on pourrait citer aussi, parce que bien plus récente, la séquence des « Frondeurs » au sein du groupe parlementaire socialiste, qui a eu pour effet de paralyser l’action de François Hollande en allant même jusqu’à menacer de déposer une motion de censure contre le gouvernement Valls.

Il n’est donc aucunement acquis qu’un parti politique d’opposition qui deviendrait majoritaire, seul ou en coalition, puisse positionner son chef comme le potentiel premier ministre qui entrerait en cohabitation avec le président Macron. D’une part, vous avez raison de le rappeler, l’opposition parlementaire actuelle est totalement fragmentée et éclatée ; d’autre part aucune figure n’émerge en tant que telle. Seule Marine Le Pen aurait le profil de l’emploi, mais le « plafond de verre » auquel elle et son parti se heurtent encore aujourd’hui, n’est pas près d’être brisé. Pour Les Républicains, groupe d’opposition le plus important actuellement à l’Assemblée, la situation n’est pas du tout décantée entre les clans et les ambitions présidentielles pour 2022. Les Municipales ne s’annoncent pas comme désastreuses pour LR, en revanche la multiplication des coalitions locales LR / LREM (dont on ne connaît pas encore le sort électoral) rend difficile le maintien du statut de LR comme parti le plus opposé à la politique présidentielle.  Quant aux formations de gauche, on voit mal comment elles pourraient s’entendre avec une France Insoumise elle-même parcourue de tensions lourdes entre le « patron » Jean-Luc Mélenchon et le « bouffon » (pour autant fin tacticien et redoutable bretteur) François Ruffin, pour ne citer que ces deux-là. Le risque de voir s’imposer un « candidat populiste » dans une configuration électorale qui serait donc encore une fois purement législative et qui procède donc non pas d’une élection « individuelle » mais de 577 « petites présidentielles » est donc très réduit pour le Président. Reste que ce n’est pas un argument pour tenter la manœuvre de la dissolution où tout est à perdre et bien peu à gagner.

Xavier Dupuy : J’ai quelques hésitations sur ce point. Dans le cas d’une dissolution, nous serions dans le cadre d’un scrutin majoritaire à deux tours pour recomposer l’Assemblée Nationale. Lorsque nous regardons les résultats des extrêmes, et notamment ceux du RN lors des législatives, ils sont toujours largement en-deçà des scores qu’ils peuvent atteindre lors de présidentielles. Les élections « d’arrondissement » sont nettement moins favorable aux populistes comme aux extrêmes. Un affrontement au second tour face à un candidat LR ou PS les désavantagera inévitablement.

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