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Bataille de France : l’étrange commémoration
©Francois Mori / POOL / AFP

17 mai 1940

Le président de la République commémore, ce dimanche, la bataille de Montcornet lors la Seconde Guerre mondiale où Charles de Gaulle s’est illustré en tentant une contre-attaque contre l’armée allemande, le 17 mai 1940. Le "en même temps" a encore frappé ! Emmanuel Macron voudrait transformer le gaullisme en vichysme.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le « en même temps ».  a encore frappé ! Emmanuel Macron voudrait transformer le gaullisme en vichysme. 

La mise en scène présidentielle de soi, c’est la seule politique d’Emmanuel Macron

Certains s’étonnaient ces derniers jours que le Président de la République ait tendance à multiplier les apparitions médiatiques et les mises en scène de soi au fur et à mesure que son bilan de la lutte contre le COVID 19 apparaît pour ce qu’il est, désastreux. 

Il y a d’abord une composante de plus en plus évidente. Pour Emmanuel Macron, la vie politique n’est pas seulement à mettre en scène, comme l’avaient pensé ses prédécesseurs. Non la mise en scène, c’est la politique. Il n’y a plus de politique, il n’y a que du théâtre. Un personnage de Pirandello en politique. 

Le président avait annoncé, en arrivant à l’Elysée, que sa parole serait rare. Il voulait rendre de la « verticalité » à la fonction présidentielle. Et certains s’étonnent qu’il n’ait pas tenu plus que quelques semaines, son verbe ayant rapidement coulé à flot. On ne résout la contradiction qu’en voyant que la première annonce était une pose théâtrale. Elle n’avait pas de substance, pas plus que les mise en scène ultérieures. Dès le début, nous avons affaire à une mise en scène: le président sortant de la nuit pour venir saluer, avec la pyramide du Louvre en décor, ses partisans massés devant l’arc de triomphe du Carrousel. D’emblée, le président élu signifiait qu’il n’y aurait que du décor. Ses trois prédécesseurs s’étaient longuement fait filmer traversant Paris en voiture immédiatement après le résultat; ils s’étaient rendus soit dans un QG de campagne soit dans un carrefour de la circulation automobile (La Concorde pour Sarkozy, la Bastille pour Hollande); Macron, lui, préférait un endroit isolé, un décor sans vie. D’emblée il signifiait que le réel n’avait aucune importance, sauf quand il était révolu et pouvait être manipulé. Regardez comme cet homme aime à se faire filmer seul et à distance. 

C’est à se demander si Emmanuel Macron au fond, n’a pas trouvé dans le confinement la réalisation de son rêve en termes de communication. Le pays est à l’arrêt. Et plus le confinement et la crise qui en découlent durent, plus il trouve d’occasion de se mettre en scène. Quand de simples citoyens viennent interrompre la mise en scène, il n’aime pas cela - voir ses réactions  face au personnel de La Pitié-Salpêtrière lors de ses deux visites à quelques semaines d’intervalle.    Le Président veut être seul, comme le 8 mai 2020, lors de la célébration. Il n’avait pas à serrer les mains. Il gratifiait des figurants - mais ils auraient pu être des personnage de cire ou des statues de pierre - de quelques paroles. D’ailleurs, le monologue qu’il a préféré ce jour-là, c’est celui qu’il a mené avec la statue du Général de Gaulle, auquel il a donné rendez-vous à Moncornet. 

Se rendre à Moncornet pourrait être l’occasion de s’interroger sur l’incapacité française, en 1940 comme en 2020 - toutes proportions gardées - à organiser la bataille, à mobiliser la société, à protéger ceux qui se battent. En 2020 comme en 2040, les hommes de troupes (aujourd’hui ce sont les médecins et les infirmiers) ont été privés des moyens de se battre vraiment. Pour un ou deux succès tactiques on a eu une défaite stratégique. Evidemment, cela voudrait dire qu’Emmanuel Macron se demande comment il a été le Paul Reynaud de cette nouvelle bataille de France, entrevoyant des décisions à prendre (annuler les élections municipales, soutenir Didier Raoult) mais se révélant finalement profondément velléitaire. Mais ne croyez pas que le chef des opérations en 2020 soit traversé du moindre doute ! Non, il se rend à Montcornet car il pense y avoir identifié une séquence qui ressemble à la sienne. Regardez, même de Gaulle, il y a eu un moment où il était impuissant. Car, on est bien d’accord, Montcornet ce n’est pas une victoire? Le site de l’Elysée le dit d’ailleurs pour expliquer aux français ce qu’est Moncornet : « Les Français font face à des difficultés techniques et à l’absence de moyens de communication. La 4è division cuirassée  (commandée par de Gaulle) n’a pas d’autre choix: elle doit se replier face à l’ennemi ». Et la morale de cette histoire: « Si la France ne sortira pas (sic !) victorieuse de cette bataille, le moral des troupes en ressortira meilleur ! ». 

Même de Gaulle fut impuissant. Alors pourquoi ne serais-je pas un nouveau de Gaulle ? 

On ne s’appesantira pas sur l’énorme faute de français du communiqué (le futur après si). Il y a bien plus grave encore que des fautes de grammaire, qui peuvent être pardonnées à Sibeth Ndiaye et toute une génération sacrifiées par la méthode globale d’apprentissage de la lecture et le renoncement à l’enseignement de l’analyse grammaticale et logique dans l’école de la République. Il y a la distorsion de la réalité. Le comportement du président a été en effet profondément défaitiste tout au long de la crise du COVID 19 (absence de commande de masques et de tests, confinement total, capitulation devant les chantages politiques, technocratiques et médiatiques de tous ceux qui ont empêché la méthode Raoult (tests massifs, traitement de la maladie en amont par une combinaison d’un vieux médicament de lutte contre le paludisme et d’un antibiotique) d’être adoptée à l’échelle du territoire). Qu’à cela ne tienne, cet homme pour qui la France n’est qu’une scène et qui se rêve une audience européenne ou mondiale permanente, fait l’amalgame entre le monde d’aujourd’hui et la France de l’époque. La bataille de Montcornet devient la France d’aujourd’hui luttant mais dépassée dans une bataille qui submerge la planète. 

C’est ainsi qu’on écrit, non pas l’histoire de France mais la mise en scène permanente d’Emmanuel Macron par lui-même. « De Gaulle lui-même s’est trouvé impuissant devant des forces qui le dépassaient, quelles que fussent sa lucidité et son talent militaire. Il en va de même pour moi Emmanuel Macron. Ou pour Didier Raoult, que j’ai d’ailleurs soutenu ».  Au bout du compte, une fois compris le mécanisme de la mise en scène théâtrale permanente de soi, qui se développe au mépris de la mission que le président s’est pourtant engagée à remplir, on débouche sur cette absurdité: pour ne pas avoir à sortir de scène trop vite, sous les huées, il faut continuer à noyer les uns et les autres sous un déversement de mots et d’images de soi. Car au fond, c’est bien cela le « en même temps », mettre en regard les choses les plus absurdes pourvu que cela permette de continuer à tenir la scène. Aujourd’hui nous voilà devant une manifestation particulièrement perverse du comportement fondamental d’Emmanuel Macron: il va proclamer qu’au fond on peut être en même temps vichyste et gaulliste. Cela s’appelle le péché contre l’Esprit. Celui qui n’est pas pardonné.  

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