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Manoeuvres anti-Trump : un léger parfum d’Obamagate se répand outre-Atlantique
©FRED DUFOUR / AFP

Stratégie face au Covid-19

Donald Trump et son prédécesseur, Barack Obama, ont eu des échanges acrimonieux par médias interposés. Barack Obama a qualifié la gestion de l’épidémie par l’administration Trump de "désastre chaotique absolu". Donald Trump a riposté en évoquant un complot visant à saper sa présidence, auquel Obama aurait participé.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Bonne gestion mais image confuse du bilan de Donald Trump dans la lutte contre le COVID 19

Avant même que les différents Etats de l'Union soient sortis du déconfinement,, la vie politique américaine vient de sortir de sa torpeur. Jusque-là les esprits étaient essentiellement occupés par le COVID 19. Avec un paradoxe: les Etats-Unis sont officiellement (tant que l'on ne connaîtra pas la véritable mortalité en Chine) le pays qui affiche le plus grand nombre de victimes au monde (80682 morts au 11 mai 2020) mais le nombre de morts pour 100 000 habitants (24,66) est inférieur à celui de bien des pays européens (76, 23 en Belgique; 57,24 en Espagne; 48,34 au Royaume-Uni; 39,77 en France; 31,97 en Suède; 31, 77 aux Pays-Bas; 21,66 en Suisse). En fait, la situation américaine est confuse, du fait du fédéralisme; tous les gouverneurs n'ont pas appliqué la même politique de confinement ni ne s'apprêtent à pratiquer un seul mode de déconfinement. Il ne fait aucun doute que, sous l'impulsion de Donald Trump, l'Etat fédéral a été efficace pour se porter au secours des régions les plus touchées, comme la Californie ou New York. Toujours grâce à Trump, le pays s'est mis à tester massivement. Cependant le tableau d'ensemble reste peu clair du fait des précautions que le président doit prendre vis-à-vis de l'individualisme américain. Et puis il y a une politisation à outrance du dossier: se préoccupant peu du nombre de morts supplémentaires que cela allait causer, la plupart des gouverneurs démocrates ont freiné sinon bloqué la diffusion du "traitement Raoult" (hydroxychloroquine + azithromycine) dans leurs Etats. Et le parti démocrate, aidé par les médias mainstream, ne cesse de marteler que la gestion de la lutte contre la pandémie par Donald Trump est une catastrophe. 

Obama rompt une règle non écrite de la vie politique américaine: un ancien président ne critique pas son successeur

C'est là qu'entre en scène Barack Obama. Le 8 mai dernier, l'ancien président a eu un échange par visioconférence avec 3000 membres de l'Obama Alumni Association, une association qui regroupe d'anciens membres des équipes du prédécesseur de Donald Trump. Evidemment, les propos tenus par l'ancien président ont immédiatement fuité. En particulier parce qu'il y avait qualifié la gestion de son successeur de chaotique. Il faut s'arrêter deux minutes sur le caractère inhabituel du comportement de Barack Obama. A ma connaissance jamais un ancien président américain ne s'est comporté de cette manière, critiquant son successeur. Les anciens présidents américains ont pour habitude de rester à distance; occasionnellement, ils répondent à une invitation du président en place pour marquer l'unité nationale et la continuité républicaine. Or, depuis le début du mandat de Donald Trump, Barack Obama n'a cessé de lancer des piques contre son successeur. Vendredi 8 mai 2020, il vient de franchir un cap: ses propos sur la crise du COVID 19 ont été tenus en même temps qu'il appelait ses anciens collaborateurs à soutenir à fond Joe Biden, son ancien vice-président, resté seul en lice dans la course à la Maison Blanche en vue de l'élection du 3 novembre prochain. 

Là aussi, situation inhabituelle: habituellement, à cette période, en année d'élection présidentielle, il y a encore plusieurs prétendants en compétition dans le parti qui défie le président se présentant pour sa réélection. Or le Parti Démocrate a tellement de mal à se relever de sa défaite de 2016 qu'il n'y a eu aucun renouvellement de candidat. Une fois la candidature Bloomberg affaiblie, Bernie Sanders restait seul en course face à Joe Biden. Le parti a manoeuvré pour que Bernie Sanders retire sa candidature: aussi populaire soit-il, le candidat gauchiste est sûr de faire perdre le parti en novembre. Tous se sont rangés derrière la bannière de Biden. Mais celui-ci apparaît lui-même comme un candidat affaibli: les propos hésitants qu'il a tenus à de nombreux reprises ont fait poser la question de troubles de mémoires chez cet homme qui entrerait à la Maison Blanche en ayant soufflé ses 78 bougies. Donald Trump apparaît en bien meilleure forme à 74 ans. Surtout, Joe Biden est empêtré dans une affaire de harcèlement sexuel présumé. Bien entendu, avec leur "deux poids, deux mesures" habituel, les médias mainstream font tout pour étouffer les accusations portées par une femme de 56 ans, Tara Reade, ancienne collaboratrice de Biden. Il est probable malgré tout que le candidat va traîner le soupçon comme un boulet tout au long de la campagne. D'une manière générale, les propos de Barack Obama, expliquant que son ancien vice-président était un  "ami proche", qui incarnait "honnêteté, humilité, empathie, élégance" font sourire quand on sait d'une part comme les relations entre les deux hommes étaient médiocres à la fin du deuxième mandat d'Obama et quand on songe comme Biden incarne toute l'arrogance et l'absence d'enracinement dans les classes populaires du parti démocrate américain qui n'a su tirer aucune leçon de la défaite d'Hillary Clinton. 

Barack Obama est tellement sorti du rôle d'un ancien président américain qu'il a commis, le 8 mai dernier, un faux pas qui pourrait être fatal à son parti. Il a profité de son échange avec ses anciens collaborateurs et du fait que les propos qu'il tenait seraient rendus publics, pour critiquer le fait que le Ministère de la Justice ait abandonné les poursuites contre Michael Flynn, éphémère conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Rappelons rapidement les faits: peu après l'installation de Donald Trump à la Maison Blanche, il était apparu que, durant la période de transition (on appelle ainsi le délai sépare l'élection de l'installation d'un président), celui qui avait été désigné par Donald Trump pour prendre la tête du Conseil de la Sécurité Nationale avait eu, sans en référer au vice-président ni au président récemment élus, un entretien avec l'ambassadeur de Russie à Washington. Prenant ses fonctions et soumis d'emblée à une attaque permanente des Démocrates à propos de prétendues collusions de sa campagne avec la Russie, Donald Trump avait limogé, à peine nommé, le Général Flynn. Or le 7 mai dernier, ce dernier a été complètement blanchi des accusations portées contre lui. Le Ministère de la Justice argue du fait que l'enquête lancée contre Michael Flynn n'avait pas de "base légitime". En particulier, un certain nombre de notes internes au FBI font penser qu'une véritable opération de déstabilisation de Flynn a été lancée, reposant sur des indices très fragiles; et, surtout, qu'au sein du FBI plusieurs voix avaient averti sur le fait qu'une telle opération de déstabilisation politique avait peu de chance d'aboutir. 

Obamagate? 

Mais il y a plus grave pour Barack Obama et Joe Biden. Le jour de l'acquittement de Flynn, la Commission du Congrès en charge du renseignement (House Intelligence Committee) a rendu publics les compte-rendus de plusieurs auditions menées entre 2017 et 2019 dans le cadre des accusations de collusion avec le gouvernement russe portées contre Donald Trump. On se rappelle que ce dernier a été blanchi des accusations de collusion en mars 2019 suite au travail de cette même commission. Or deux points sont ressortis, qui confirment ce qui était connu des observateurs de la politique américaine mais qui n'avait jamais été rendus publics de cette manière. D'une part, l'enquête sur une éventuelle ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle américaine, lancée par le FBI sur ordre du Ministère de la Justice à l'été 2016, n'était officiellement connue que du Parti Démocrate. Le parti de Donald Trump a d'autant moins été informé que l'enquête, à charge, partait de l'idée que c'était le candidat républicain qui était le plus manipulable. D'autre part, et c'est là le fait nouveau, Barack Obama aurait demandé, lors d'une réunion à laquelle assistait Joe Biden, deux semaines avant la passation de pouvoir à Donald Trump, que le Ministère de la Justice garde l'enquête secrète et la mène à l'insu du nouveau président et de son gouvernement. 

Si ces révélations sont définitivement confirmées, il s'agit de faits très graves. Barack Obama aurait, par esprit partisan, pratiqué une rétention d'informations et cherché à entraver le cours d'une enquête du FBI ou, plutôt de l'orienter contre son successeur. Il est à ce moment-là très mal placé pour expliquer, comme il l'a fait le 8 mai, que l'acquittement du Général Flynn met en danger l'état de droit aux Etats-Unis. Avec son instinct politique habituel, Donald Trump a saisi l'occasion du faux pas de son prédécesseur et commencé à marteler sur Twitter que ce scandale politique était le plus grave de l'histoire des Etats-Unis, plus grave que le Watergate. Depuis samedi 9 mai, les réseaux sociaux font le travail que se refusent à faire les médias mainstream: on échange avec fièvre et passion arguments et contre-arguments sur l'Obamagate. Twitter, pour ne pas perdre les mauvaises habitudes des grands réseaux sociaux américains, a bien essayé de faire redescendre, par algorithme, le hashtag #Obamagate mais on est ce jour à 4 millions de messages ! La campagne présidentielle américaine est définitivement lancée ! Donald Trump a parfaitement compris qu'il aurait du mal à imposer la vérité sur le COVID 19 - le fait qu'il gère bien la lutte contre la pandémie en grand manager qu'il est; les esprits sont trop habités par la peur pour l'écouter dans la sérénité. Pour ne pas laisser passer l'occasion de changer de sujet qui s'offrait à lui, il a donc porté au paroxysme, selon son habitude, les accusations contre Obama, relevant le gant jeté par l'ancien président. 

La lutte qui s'engage est une guerre à mort entre les deux hommes. Barack Obama a pour lui l'intelligentsia, le monde du show-biz, les entreprises qui portent les réseaux sociaux, sa réputation usurpée de modéré. (Faut-il rappeler qu'il est un disciple du gauchiste Saul Alinsky, mort en 1972, l'homme de la lutte des "communautés", auteur des "Règles pour les extrémistes"?). Donald Trump a pour lui son absence totale de frein dans la guerre des mots, son instinct politique redoutable, la détestation de Barack Obama qui est le meilleur ciment du parti républicain. Et, surtout, l'enquête à venir, dont Obama ne sortira pas grandi (au mieux) et au terme de laquelle il pourrait être totalement déconsidéré, si le contexte et le contenus de la réunion tenue à la Maison Blanche quelques jours avant la fin de sa présidence sont confirmés. Joe Biden sera, dans tous les cas, la victime collatérale de la lutte, inédite, qui s'engage entre le 44è et le 45è président des Etats-Unis.        

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