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Cinq séquelles de long terme que le Coronavirus laissera sur notre monde
©STR / AFP

Stigmates

Une nouvelle étude annonce que la crise sanitaire et la récession économique suite au Covid-19 pourraient faire basculer 500 millions de personnes supplémentaires (8% de la population mondiale) dans la pauvreté. Quels sont les dommages sanitaires, économique et géopolitiques collatéraux liés à l’épidémie du Covid-19 ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Emmanuel Jessua

Emmanuel Jessua

Emmanuel Jessua est économiste, directeur des études de Rexecode.

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Atlantico.fr :Une nouvelle analyse réalisée par des chercheurs du King's College de Londres et de l'Austra­lian National University avertit que les décès dus à des impacts secondaires - pauvreté, faim, maladies et violence exacerbées par l’épidémie de Covid-19 - peuvent éclipser le nombre de ceux qui meurent du nouveau coronavirus lui-même (240 000 personnes dans le monde à ce jour).

Quels sont les dommages sanitaires collatéraux, directs et indirects, dus à l’épidémie du Covid-19 ?

Stéphane Gayet : En France, depuis lundi 9 mars environ, on ne parle plus que du coronavirus et surtout depuis mardi 17 mars, date du début du confinement obligatoire et généralisé sur tout le territoire français. Du mardi 17 mars au lundi 11 mai, pendant ces 55 jours de confinement, le coronavirus était devenu l'unique sujet de conversation. Il semble bien qu'il le reste cette semaine, et que probablement il le restera encore la semaine prochaine et… peut-être aussi les suivantes. Il est vrai que l'on parle beaucoup du masque ces derniers temps, mais cela reste le même sujet. En France et dans bien d'autres pays, la CoVid-19 est devenue la « maladie unique ». C'est comme si les personnes qui avaient une autre maladie n'étaient pas vraiment malades, comme si on n'avait pas le droit d'être malade en dehors de cette maladie. Cela peut faire penser aux pays totalitaires dans lesquels la politique se résume à un parti unique : on n'y a pas le droit de faire de la politique en dehors du « parti unique ». La santé semble devenue monolithique : les cancers, le diabète, l'hypertension artérielle, les troubles de la vue, les maladies de la peau, l'ulcère gastroduodénal, les maladies chronique de l'intestin, les rhumatismes chroniques, la dépression mentale… paraissent ne plus avoir d'importance, sauf s'ils sont en relation avec la CoVid-19.

Le milieu de la santé est nettement devenu dichotomique et tout particulièrement l'hôpital : il y a les consultations coronavirus et si nécessaire les autres, il y a les services coronavirus et puis il y a les autres.

Certes, ce confinement obligatoire et généralisé a profondément modifié l'activité de la France : cette activité a chuté de façon vertigineuse et particulièrement préoccupante. Mais le confinement et la chute libre de l'activité qu'il a induite n'ont pas rendu les Français résistants aux autres maladies que la CoVid-19. Ces autres maladies ont été négligées et les individus concernés ont eu une perte de chance et parfois une mise en danger.

Pour répondre à la question, on peut essayer de dessiner un aperçu des dommages sanitaires dus à l'épidémie de CoVid-19, en envisageant les dommages sanitaires directs et les dommages sanitaires indirects.

Les dommages sanitaires collatéraux directs liés à l'épidémie de CoVid-19

Stéphane Gayet : On parle surtout des morts par CoVid-19, parce qu'il s'agit d'un nombre factuel, indépendant de critères de définition et parce qu'il frappe l'esprit. Le nombre mondial de décès se rapproche à grands pas de 300 000, ce qui représente à peu près la population de la ville de Nantes. Mais le nombre exact de décès en Chine nous restera inconnu encore pour longtemps ; la Chine est devenue la grande muette et ceux qui osent parler ont beaucoup d'ennuis.

À côté de cette hécatombe, il y a toutes les personnes qui ont survécu à la maladie CoVid-19, mais qui n'ont pas pour autant recouvré une santé équivalente à leur état antérieur. On s'intéresse particulièrement depuis quelques semaines aux séquelles laissées par la maladie, séquelles auxquelles on ne pouvait pas s'intéresser plus tôt, faute de recul.

On constate que, chez les personnes ayant fait une forme très symptomatique de la maladie (mal de gorge, fièvre, mal de tête ou céphalée, toux sèche, asthénie ou fatigue, douleurs musculaires et articulaires, perte du goût et de l'odorat, gêne respiratoire, confusion mentale légère, amaigrissement…), la récupération est en fait très lente (au minimum quinze jours et souvent un mois, voire plus…) ; l'amaigrissement peut persister quelque temps, s'accompagnant d'une diminution de la force musculaire et des capacités physiques. Certains patients conservent une gêne respiratoire, d'autres des troubles digestifs, d'autres des difficultés de mémoire, d'autres un état dépressif, d'autres des anomalies cardiaques, etc. On sait à présent que la CoVid-19 est une maladie systémique qui peut toucher pratiquement tous les organes du corps.

Ces séquelles bien réelles, mais souvent transitoires, sont encore plus marquées chez les personnes ayant dû être hospitalisées en réanimation et qui ont été intubées pour une ventilation assistée par respirateur électrique. Les soins en réanimation permettent de sauver des vies humaines, mais ils sont invasifs et affaiblissent durablement le corps et l'esprit en raison de la mise en œuvre de toutes les techniques instrumentales et de toutes les thérapeutiques médicamenteuses.

Les dommages sanitaires collatéraux indirects liés à l'épidémie de CoVid-19

Stéphane Gayet : On commence à découvrir la réalité de ce phénomène, maintenant que l'activité économique reprend peu à peu et que les activités médicales retrouvent un régime un peu plus normal. La lutte contre la CoVid-19 n'est pas une guerre, mais notre pays a pu ressembler par certains côtés à un pays en guerre.

Du fait de la pénurie sanitaire provoquée par l'accaparement des services de santé et par le confinement, beaucoup de personnes ont accepté de vivre avec une maladie mal soignée ou non soignée, de laisser évoluer leur pathologie et, pire, certaines ont négligé des accidents de santé.

Il va donc falloir soigner au plus vite les personnes atteintes de diabète, d'hypertension, d'insuffisance cardiaque, de maladie chronique de l'intestin, de sclérose en plaque, de maladie de Parkinson, de dépression mentale, de maladie de Lyme chronique, de rhumatisme inflammatoire, de cancer, de glaucome, d'allergie, d'insuffisance rénale…

À côté de tous ces malades chroniques qui se sont presque inéluctablement aggravés, il y a les individus qui ont négligé un accident vasculaire cérébral assez discret, un infarctus du myocarde non diagnostiqué, une hypertension artérielle méconnue, des troubles du rythme cardiaque non explorés, une plaie traumatique qui s'est compliquée, une entorse, une infection urinaire… Les exemples sont nombreux. Non seulement tous ces cas constituent un retard en soins médicaux et paramédicaux à rattraper, mais les personnes concernées ont vu leur état s'aggraver de façon indue.

Un très grand nombre d'interventions chirurgicales, non urgentes mais néanmoins nécessaires, ont été reportées sine die. Ces interventions avaient pour but, soit de restaurer une fonction déficiente (arthrose, cataracte, hyperplasie de la prostate, sténose ou rétrécissement critique d'une artère…), soit d'éviter des complications graves (calculs biliaires et rénaux…), soit de traiter un cancer, soit de soulager une douleur ou d'atténuer une paralysie… Que sont devenues ces personnes ?

Il y a un autre effet collatéral indirect auquel on ne pense pas de prime abord : tous les professionnels de soins, médicaux et paramédicaux, qui sont morts ou ont surmonté la maladie avec des séquelles, représentent une perte de productivité du système de santé ; dans les hôpitaux, le nombre de professionnels frappés est impressionnant et certains auront bien du mal à reprendre leur travail.

Montée de la résistance aux antibiotiques, retardement des prises de soin pendant le confinement : en quoi certains facteurs de cette crise sanitaire risquent-ils d’entraîner des répliques dans les mois, voire les années à venir ?

Stéphane Gayet : Tout ce que nous avons vu en première partie est conséquent, c'est lourd. Le confinement a suscité et même souvent imposé l'autothérapie et même l'automédication (beaucoup de personnes parviennent à se procurer de façon illicite des médicaments). Il est certain que l'automédication avec des antibiotiques favorise l'antibiorésistance des bactéries ; car la tendance du grand public à consommer des antibiotiques est aux antipodes des règles de bonnes pratiques. En effet, pour se soigner soi-même, les personnes non formées ont tendance à prendre des doses trop faibles, à faire des associations dangereuses, à passer d'un antibiotique à l'autre, à ne pas respecter les contre-indications, à arrêter trop tôt et progressivement, autant de comportements et d'actions qui sont sources d'échecs, d'incidents et même d'accidents, ainsi que d'une augmentation de la résistance aux antibiotiques.

Il n'est pas exagéré d'affirmer – qui pourrait le contester ? – que depuis deux mois au moins, la qualité et la sécurité des soins en France ont diminué et que la santé de la population en a forcément pâti. Car l'austérité imposée par le confinement ne nous a pas rendus ipso facto plus résistants : nos vulnérabilités, nos fragilités sont toujours là, nous nous en sommes simplement accommodés vaille que vaille pendant cette morne période.

En effet, pour répondre à la question posée, tous ces négligés de la médecine et des soins, quand le pays aura retrouvé un rythme à peu près normal, vont constituer un sérieux problème de santé publique, ce dont nous nous serions bien passés étant donné qu'avant la pandémie, notre système de santé était déjà dans une certaine mesure aux abois. De fait, dans le domaine de la santé, nous allons avoir des semaines difficiles. C'est le prix sanitaire de la pandémie CoVid-19 et ce prix sera sans doute élevé.

Quels sont les dommages économiques collatéraux laissés par la crise économique provoquée par le Coronavirus ? 

Emmanuel Jessua : Il y a bien sûr des dégâts économiques immédiats, découlant directement du confinement de la population décidé par les gouvernants afin de limiter la propagation de l’épidémie. Il s’agit là d’une diminution brutale et massive de la quantité de travail pendant les semaines que dure le confinement. L’activité diminue fortement, mais de manière inégale selon les secteurs. Les plus touchés sont ceux directement liés aux sorties et aux interactions sociales (restauration, hébergement, spectacles, transport aérien…), mais aussi la construction et une grande partie des secteurs industriels, pour lesquels l’essentiel du travail ne peut être effectué à distance. A l’opposé, des secteurs fournissant des biens et services essentiels en période de confinement sont proches de la pleine activité (santé, industrie pharmaceutique, agro-alimentaire et commerces alimentaires, télécommunications…). Entre ces deux extrêmes, la plupart des services maintiennent une partie de leur activité grâce au télétravail. Au total, en France, on estime que plus de 40% des salariés de la sphère marchande n’ont pas travaillé durant les premières semaines du confinement. 

Une récupération « mécanique » de ces pertes d’activité devrait se manifester avec la sortie progressive du confinement. Cette récupération ne sera vraisemblablement que partielle, pour plusieurs raisons. D’une part, une partie de la consommation qui se serait exprimée en l’absence de crise sanitaire ne pourra être récupérée (on ne voyagera pas deux fois plus pour rattraper les voyages « perdus » pendant le confinement). D’autre part, les ménages, dont les revenus et l’emploi ont été préservés par dispositif de chômage partiel, devraient maintenir une épargne de précaution plus élevée qu’à l’accoutumée. Les incertitudes sur l’avenir pèseront encore davantage sur l’investissement des entreprises, qui pourrait rester durablement en-deçà de son niveau d’avant-crise. 

Les traces laissées par le confinement et la récession économique pourraient-elles entraîner des répliques de cette crise d’ici plusieurs mois, voire plusieurs années ? 

Emmanuel Jessua : La hausse du taux d’épargne des ménages, la diminution durable de l’investissement, le prolongement des fermetures administratives (lieux de sorties) et des restrictions au tourisme devraient limiter les capacités de rebond des économies et provoquer des faillites et du chômage. Au total, le niveau du PIB sera durablement plus bas que ce qu’il aurait été en l’absence de crise sanitaire et les pertes de capital physique (faillites) et humain (chômage de longue durée et dépréciation des compétences) ne seront que lentement réversibles, d’autant que les mesures de distanciation sociale dans les entreprises devraient peser sur la productivité et augmenter les coûts.  La question de la répartition de cette perte collective, pour l’instant en grande partie assumée par les finances publiques (chômage partiel, fonds solidarité pour les indépendants, annulation d’échéances fiscales et sociales), se posera très rapidement. La nature des interventions publiques (soutiens ciblés, plans d’investissement d’avenir, prêts participatifs) sera décisive pour renouer avec la croissance d’avant-crise sans menacer la soutenabilité de l’endettement public. 

Une nouvelle analyse réalisée par des chercheurs du King's College de Londres et de l'Australian National University, annonce que la situation sanitaire et la récession économique provoquées par le Covid-19 pourrait entraîner 500 millions de personnes supplémentaires - environ 8% de la population mondiale - dans la pauvreté, annulant trente ans d'amélioration économique.

Dov Zerah : C’est très vraisemblable compte tenu des prévisions économiques pour 2020. Le Fonds monétaire international (FMI) a dernièrement prédit pour 2020 une baisse de 3 % du PIB mondial, avec notamment 7,5 % pour la zone euro, 5,9 % pour les États-Unis, environ 6 % pour l’Amérique latine…Quelques pays pourraient encore avoir une croissance positive comme la Chine avec 1,2 %...

La pérennité de cette situation dépendra de la réalisation de la prévision de rebond pour 2021. Néanmoins, de nombreux secteurs vont être durablement affectés, les transports aériens, l’aéronautique, l’automobile, le textile et l’habillement, les commerces, le secteur touristique, l’hôtellerie, les restaurants, les théâtres, les cinémas, le monde du spectacle, les parcs d’attraction…Après certains pans du secteur productif, la sphère bancaire et financière va immanquablement être touchée. Dans certains cas, rien ne peut éviter le dépôt de bilan s’il n’y a pas de chiffre d’affaires.

Sur le plan géopolitique, quels sont les grands bouleversements provoqués par le Covid-19 et qui risquent de marquer encore longtemps la situation géopolitique ? Quelles sont les principales victimes internationales ?

Dov Zerah : Á l’origine de la pandémie, la Chine porte aussi la responsabilité de sa propagation et de son intensité de fait de l’absence totale de transparence.

Depuis quarante ans, l’Occident a cherché à intégrer la Chine à la gouvernance mondiale. Mais le succès a été très limité. La Chine fait cavalier seule ou parfois avec la Russie. Les Chinois ne s’inscrivent pas dans une démarche de gouvernance internationale. 30 ans après son admission le 11 décembre 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine conforte ses positions commerciales en pratiquant trois dumpings social, environnemental, et surtout monétaire.

Demain, le Monde revisitera ses relations avec l’Empire du milieu.

En attendant, comme d’habitude l’Afrique va une nouvelle fois être la première victime de cette pandémie. Après 15 ans de croissance, le continent va connaître à nouveau la récession et le fléau de l’endettement.

Atlantico : De la fragilité politique de certains pays émergents à la paupérisation des pays sous-développés : à quoi pourraient ressembler les relations internationales et la situation géopolitique mondiale après la crise ?

Dov Zerah : Indiscutablement, depuis le début de la crise les réactions ont été nationales, avec notamment la fermeture des frontières. Mais, dans un monde globalisé, il ne peut y avoir de démarche solitaire ; toute stratégie nationale doit s’inscrire dans des démarches collectives pour avoir une chance de succès. Nous sommes condamnés à vivre ensemble et à être de plus en plus nombreux. En conséquence, l’instinct de survie doit conduire à la coordination internationale et à éviter toute solution nationale.

C’est facile à dire, à écrire, mais plus difficile à faire avec des dirigeants comme Donald Trump, Vladimir Poutine, ou Xi Jinping… arcboutés sur l’intérêt national et peu enclins à se projeter dans l’universel. Cette crise fera peut-être bouger les lignes. N’oublions les effets dévastateurs des dévaluations compétitives et des hausses de droits de douane dans les années trente qui n’ont fait qu’aggraver la crise et conduire à la guerre.

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