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Puisque tout le monde à un avis radical sur le monde d’après, en route vers une (énième) Constituante ?
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Prospective

Tribunes, pétitions, déclarations politiques... Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, le "monde d'après" est dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres. Mais trouver la direction vers laquelle orienter la société n'est pas chose aisée.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Depuis le début du confinement, tout le monde va de son idée sur le monde d’après. Un contrat social pourrait-il voir le jour à la fin du confinement ?

Christophe Boutin : Il est vraisemblable que nous n'aurons pas un projet, comme vous le remarquez à très juste titre, mais plusieurs projets destinés à orienter la société, et qui, dans de nombreux cas, se présenteront effectivement sous la forme d’un « nouveau contrat social ». Mais la question que l’on ne se pose pas, et qui est pourtant essentielle, est de savoir de quelle société on parle. En effet, comme le contrat privé, qui résulte de l’accord de volonté des cocontractants, le contrat social traduit celui d'un groupe qui lui préexiste, et il est bon de rappeler, avec tous les penseurs conservateurs, qu'on ne crée pas une société ex nihilo, en assemblant comme des « legos » des individus qui sortiraient mystérieusement de nulle part déjà tout formés. Ces derniers, en effet, n’existent, ne pensent, ne s’expriment et n’agissent politiquement que parce qu'auparavant ils faisaient partie d'un groupe qui les protégés et leur a fourni une éducation. C'est avec à partir d’une telle base sociétale que se pose la question d’un « contrat » qui consiste alors essentiellement à faire des choix institutionnels permettant à cette société de perdurer dans son être. C’est pourquoi une constitution est souvent présentée comme étant l'expression même du pacte social, puisqu’en fixant l'organisation des pouvoirs publics elle permet de légitimer l’élaboration de la norme commune qui s'imposera demain à tous.

« Faire société », pour prendre une expression à la mode, suppose donc un accord de volonté, mais pas entre n'importe qui, ou n'importe comment. Ernest Renan, souvent présenté comme l'auteur d'une théorie « volontariste » de la nation, qui s'opposerait à la thèse « naturaliste » allemande, que résumerait sa formule fameuse du « plébiscite de tous les jours », ne dit pas autre chose. « Qu'est-ce qu'une nation ? » se demande-t-il sans sa célèbre conférence, avant de répondre : « une âme un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. (...) Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple ».

Il est bien évident alors que nous ne sommes actuellement pas à même de faire un contrat social avec l'ensemble des groupes présents sur le territoire français. Parce que les « souvenirs communs », ravivés en permanence, sont ceux de rivalités, tandis que le « passé héroïque » national est en permanence nié dans l’éducation, dénigré dans les médias et condamné juridiquement. Parce que « nous » n'avons pas fait « de grandes choses ensemble ». Certains d'entre nous, génération après génération, y sacrifiant leur temps, leur santé, leur argent, on effectivement bâti la nation qui existe, de ses haies champêtres à ses cathédrales, de ses usines à ses routes, de ses écoles à ses chansons. D’autres, plus récemment arrivés - et bénéficiant d'une situation incomparablement supérieure à celle de leur pays d'origine -, ont permis un apport réel mais marginal par rapport à ce legs initial. D'autres enfin, ne semblent vouloir que prendre au tas dans les acquis d’une communauté dont ils ont parfois forcé la porte, et entendent bien échapper à la loi commune. Dans ces conditions, le capital social dont parlait Renan, cet indispensable préalable à l’établissement d’un contrat social, n'existe pas.

Or, sur cette question du « avec qui ? », essentielle on vient de le voir, les projets structurant le « monde d’après » sont totalement divergents. Certains souhaitent agréger des individus qui se reconnaîtraient dans la culture nationale française définie historiquement ; d’autres dans une culture nationale évolutive, en perpétuel changement ; d’autres encore, refusant toute référence de ce type, réduisant le contrat social à une formalité administrative accordant des droits à tout individu posant le pied sur le territoire.

On peut peut être continuer, comme depuis des décennies, d’imposer silence à ceux qui, tout simplement, ne souhaitent pas signer de nouveau contrat avec les co-contractants qu’on leur impose. Mais sachons bien que les bases de ce nouveau contrat « multiculturaliste », puisqu’il faut l’appeler par son nom, seraient à rebours des principes républicains – la discrimination positive, pour prendre ce seul exemple, ayant peu à voir avec l’article 6 de la Déclaration de 1789 selon lequel « Tous les citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » -, et même à rebours du fonctionnement de toute société organique.

Loïk Le Floch-Prigent : Un constat rapide avant d’avancer des réponses, la France est un des pays qui a le plus souffert de la pandémie en termes de morts, c’est celui qui a connu le plus de délires dans la communication ce qui a déclenché une peur comme nulle part ailleurs dans la population , et, en Europe c’est probablement celui qui va connaître le plus de faillites d’entreprises ce qui conduira à un passage rapide du « chômage partiel » au chômage tout court.

Comme nous avons réalisé l’exploit de transformer plus de 10 millions de salariés en fonctionnaires intermittents et temporaires , à recruter des commentateurs médicaux en grand nombre sur les plateaux de télévision qui ont montré une grande satisfaction à exprimer des opinions définitives contradictoires, nous avons désormais des millions de français qui ont une idée sur le monde d’après le coronavirus.

Pour la majorité de ceux dont l’expression est relayée par les médias il faut tout remettre à plat, changer de modèle économique et social , transformer la production et la consommation…mais chacun veut aussi démontrer la justesse de ses positions « d’avant » qui sont les solutions pour les problèmes « d’après ». On entend donc parler de « Grenelles » , c’est-à-dire de grand messes fondatrices d’un nouveau contrat de société , un contrat social, autres mots pour dire unité nationale, le vivre ensemble, une sorte d’Age d’or à la fois nostalgique et utopique .

L’élaboration d’une nouvelle charte supposerait un minimum d’accord sur le diagnostic et les orientations à privilégier , mais on en est très loin, le pays s’est effondré en 55 jours, exhibant des responsables amateurs, se revendiquant comme tels, mais surtout un éloignement des réalités de toute une pseudo-élite bureaucratique et technocratique réfugiée dans le confinement ludique envoyant des formulaires et des préconisations dont la lecture ne pouvait conduire qu’à la perplexité et la colère. On a assisté à un effondrement de notre économie en deux mois, mais surtout on a observé que ces générations de dirigeants à statut social élevé et revendiqué ne connaissaient pas le monde réel dont on leur avait confié les responsabilités , ni le pays, ni les secteurs professionnels , ni surtout les entreprises et leurs produits . Dans la tempête, tout breton vous le dira, il vaut mieux avoir un capitaine qui connaît la mer et le bateau , qui les aime et qui est obéi de ses marins. Le caractère désertique de beaucoup de sièges parisiens d’entreprises pèsera lourd sur la capacité de l’appareil économique national à rebondir. Constater d’appartenir à des entités dont les patrons sont « hors sol » ne prédispose pas à reprendre le travail avec enthousiasme .

Pour répondre en quelques mots à la question d’un nouveau contrat social : les hommes et les femmes de terrain seraient de bons interlocuteurs , mais qui mettre en face ? Il est urgent d’attendre.

Pensez-vous qu’il est possible d’insérer une constituante à la Cinquième république ? Le Président Emmanuel Macron peut-il en être l’initiateur ? Quel pourraient en être les grandes lignes ?

Christophe Boutin : Si l'on décidait de mettre en place une constituante, ce serait non pas pour réviser, c'est-à-dire modifier la constitution de la Ve République, mais bien plutôt pour mettre en place la constitution de cette VIe république que, régulièrement, quelques « sachants » appellent de leurs vœux.

Emmanuel Macron a, on le sait, porté un projet de révision constitutionnelle qui n'a pu aboutir en raison de l'opposition du Sénat à un certain nombre d'éléments prévus dans ce texte. Théoriquement, rien n'empêcherait, soit, de reprendre cette révision, soit, de mettre en place une constituante chargée d’établir un nouveau contrat social institutionnel. Mais après un an de manifestations des Gilets jaunes, puis la crise causée par son projet de réforme des retraites, enfin l'indescriptible cacophonie du confinement et du déconfinement lors de cette crise sanitaire, on voit mal sur quelle légitimité il pourrait s'appuyer - sans se retrouver au moins très rapidement débordé par d'autres projets.

Des projets qui risquent d’être parfois bien éloignés des vœux de la population. Depuis des années en effet – et Emmanuel Macron, curieusement, en a bénéficié pour son élection - une coupure profonde existe entre les attentes et les choix de ce que l'on peut qualifier d'oligarchie, l’ensemble politique, médiatique et économique au pouvoir, et le peuple, un peuple qui n'est sans doute pas hostile aux institutions de la Ve République, mais seulement à la dérive institutionnelle du régime.

En effet, à bien y regarder, nombre de demandes actuelles d'État, d'autorité, d’organisation, de souveraineté, d’indépendance ou de responsabilité sont peu ou prou les mêmes que celles qui existaient en France lorsque l'on a mis en place la Ve République. Et le peuple n’est nullement à l’origine des dérives qui ont suivi, avec, entre autres, captation du pouvoir par les partis politiques, transformation du rapport au sein de l’exécutif avec l’instauration du quinquennat, montée en puissance des juges, Conseil d'État, Cour de Cassation, Conseil constitutionnel, imposant leurs choix au législateur, soumission toujours plus grande à l’Union européenne et au juge des « droits de l'homme » devenus ces absolus qui font éclater la structure même des sociétés qui les ont fait naître.

Le seul véritable projet serait donc de permettre de revenir aux fondements de la Ve République, et non une fuite en avant vers une VIe qui, sous couvert de « gouvernance », verrait augmenter, non la participation directe du peuple, comme certains ont l’audace de le prétendre, mais, au sein de multiples commissions, conseils, agences et autres, celle d’associations et lobbies plus ou moins idéologiques qui cèdent bien vite le pas à des lobbies cette fois financiers et économiques d’un tout autre poids. La seule révision à faire serait donc de restaurer le pouvoir du peuple, et c’est pour cela que sa revendication majeure récente est la mise en place du référendum d'initiative populaire, mesure censée lui permettre de reprendre la main, soit lorsque le pouvoir se refuse à traiter une question, soit lorsqu’il la traite dans un sens qui ne lui convient pas.

Loïk Le Floch-Prigent : Il ne manquerait plus que cela , l’apothéose de la confusion ! Pour recycler les fonctionnaires défaillants on pourrait même créer une énième Agence « indépendante » chargée de la Constituante ! Et le Président de la République pourrait ouvrir un « Grand Débat » . La plaisanterie a assez duré ! Notre industrie, malgré des gens de terrain exemplaires, imaginatifs, qui ont tenu à sauvegarder dans ces 55 jours de sauve qui peut l’outil industriel et qui l’ont fait fonctionner, (électricité, eau, gaz, produits de première nécessité) , est en situation difficile. Certes ceux qui ne sont pas indispensables ont été mis en chômage partiel, certes les entreprises peuvent avoir recours pour leur trésorerie à un prêt garanti par l’Etat, mais les commandes ne viennent pas ! Les constructeurs automobiles se sont arrêtés, on les plaint , l’industrie aérospatiale aussi, mais on imagine le nombre de sous-traitants qui vivent à travers leurs productions ? Alors que le dispositif d’aide gouvernemental est en place depuis quinze jours on annonce dans tous les départements les premières faillites, et si les commandes ne reviennent pas cela va être la cascade .

On peut effectivement continuer à vouloir nourrir la population d’illusions et la manipuler pour qu’elle s’intéresse à des sujets dérisoires, la bureaucratie peut trouver des idées pour maintenir une chape de plomb sur les forces vives du pays, mais notre pays ne se redressera que si l’imagination, la créativité, la compétence, le savoir faire retrouvent un espace de liberté. Ces deux mois ont montré pour ceux qui voulaient bien regarder où était la volonté de maintenir le pays en état de marche , on en applaudit quelques uns tous les soirs à vingt heures, mais il y en a eu plein d’autres, des gens de terrain et non des planqués.

Ce contrat social pourrait-il faire l’unanimité auprès des partis politiques existants ? Ou alors, pourrait-il émaner d’un nouveau mouvement ?

Christophe Boutin : On trouve en fait, et Emmanuel Macron l’a très bien vu, qui a souvent clivé ainsi l’offre politique, un camp progressiste auquel s’oppose un camp conservateur, les deux ne recouvrant pas l’ancienne division entre droite et gauche. On le voit bien si l’on s’intéresse non aux doctrines, mais aux modalités d’action politiques, et notamment au souverainisme et au populisme – il y a dans les deux cas une forme « conservatrice », le RN, et une forme « progressiste », LFI – mais aussi, dans un domaine cette fois au croisement du politique et de l’économique, au libéralisme, avec un libéral-conservatisme (essentiellement la droite de LR) et un libéral-progressisme (les centristes et l’aile droite de LREM).

Cela montre bien que, s'il y a peut-être « unanimité » sur l'idée qu'il faille « changer le monde », il y en a aucune sur les modalités du changement ou sur le but atteindre. Et les choses ne sont pas terminées, puisque l’on nous annonce une scission possible au sein du parti présidentiel, qui conduirait sa frange de gauche à s’allier sur sa gauche dans un projet commun écologiste. On relèvera d’ailleurs à ce sujet qu’ici encore la distinction entre progressisme et conservatisme prévaut : l’écologie dont il est ici question n’est jamais que l'écologie politique progressiste, une approche partisane et limitée, quand l'écologie au sens large est aussi un élément central évident du discours conservateur.

De manière assez curieuse, on voit se dessiner des axes censés dépasser l’antinomie entre progressistes et conservateurs – un axe souverainiste derrière lequel Florian Philippot, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan se réconcilieraient, mais où des intellectuels comme Michel Onfray ou Natacha Polony joueraient un rôle ; un axe écologique rassemblant les débris du PS, EELV et donc peut-être une partie des élus LREM, et où Nicolas Hulot entouré de people porterait la bonne parole – alors pourtant qu’il ne s’agit que de modalités d’action (souverainisme ou populisme) ou d’une thématique trop floue (écologie). En effet, être souverain est sans doute nécessaire, mais il faut d’abord définir de qui l’on parle, qui doit l’être ; de la même manière, si, effectivement le « peuple » doit s’exprimer, encore fait-il d’abord savoir ce que l’on entend par « peuple » ; enfin, l’écologie est aussi humaine et on ne peut faire l’impasse sur l’organisation spécifique de l’humain, et les liens existant entre une culture et un territoire.

Or sur toutes ces questions, la supposée alliance entre progressistes et conservateurs explose. C’est que l’on en revient toujours à la question essentielle, qui touche aux conceptions différentes que l’on a des individus destinés à signer le contrat social : des monades nomades, comme le pensent des progressistes, pour lesquels l’individu n’existe que par lui-même, ou des êtres enracinés, comme le pensent les conservateurs pour qui la vie est avant tout un héritage ?

Quant à au surgissement d'un nouveau mouvement, outre que l’expérience Macron aura pu en échauder certains, cela supposerait avant tout l’existence d’une personnalité fédératrice dont on attend encore qu’elle apparaisse.

Loïk Le Floch-Prigent : Les partis politiques , les syndicats, les organisations formelles ont disparu dans la tourmente du coronavirus, on les a vus réapparaître quant il s’est agi de « déconfiner » avec un souci essentiel , celui de l’immunité « judiciaire » . Il n’y a plus que certaines individualités qui ont une culture d’ »hommes d’Etat » qui surnagent. Comment rebâtir une confiance entre cet ensemble disparate et la population ? Le fil s’est rompu et ceux qui ont encore la volonté de sauver le pays n’ont aucune envie de s’embarquer dans des barques pourries. Autrefois on adhérait pour faire ce qu’on appelait de l’ »entrisme » c’est-à-dire on avait espoir de transformer, de peser. On n’observe rien de tel aujourd’hui et c’est au niveau des entreprises « à taille humaine » que se rassemblent désormais ce que j’appelle les forces vives du pays. Les grandes entreprises n’attirent plus que pour des périodes courtes de formation, elles apparaissent comme des organisations bureaucratiques avec des responsables au sommet qui ne connaissent plus les métiers . le fait de retrouver un collectif qui a des objectifs concrets et où les hiérarchies correspondent à des compétences est devenu une aspiration majeure . C’est grave pour les grandes entités, c’est grave pour la politique et pour les organisations syndicales car cela conduit à leur médiocrisation, mais c’est parfaitement observable . Ce sont ces nouveaux venus qui jetteront bientôt les bases d’un Contrat Social dont vous parlez, mais il est urgent d’attendre. Le fameux monde d’après n’est envisagé aujourd’hui que par le monde d’avant , c’est sans intérêt, ce qui ne veut pas dire que cela ne va pas occuper beaucoup de gens.

À premier abord, un contrat social semble envisagé par tous. Un tel contrat est-il compatible avec nos sociétés occidentales et notamment avec nos objectifs économiques ?

Christophe Boutin : Vous évoquez sans doute ici un contrat social plus économique que politique, et posez la question d'une nouvelle répartition des avantages entre les « premiers de cordée » et les « premiers de corvée ». Il est vrai que notre société semble multiplier les écarts injustifiés, entre les patrons du Cac 40 et ceux des PME/PMI, entre les travailleurs pauvres contribuables qui faisaient le gros des rangs des premiers Gilets jaunes et les assistés – pauvres eux-aussi, mais ne travaillant pas –, ou, et on le voit bien avec les conséquences du confinement, entre les salariés indépendants des petites entreprises, ou les les artisans, et les fonctionnaires.

Rappelons d’abord que ces différences sont pour partie les conséquences d’un rapport entre avantages et inconvénients des métiers respectifs, ou le fruit d’une réussite à laquelle il serait contre-productif de s’attaquer : on ne peut considérer comme légitime le salaire de certains footballeurs ou artistes, du à l’audience qu’attirent leurs prestations, et illégitime celui de patrons, votés par un conseil d’administration en échange de bons résultats. La où les choses sont par contre différentes c'est lorsque l'État, et donc le contribuable, doit intervenir pour soutenir l'entreprise qui s’effondre à cause de mauvaises décisions tandis que l’actionnaire continue à toucher ses dividendes et le patron sa retraite-chapeau ; ou pour soutenir un spectacle que personne ne vient voir sans jamais se poser la question de cette désaffection ; ou pour permettre à une fonctionnaire qui bat des records d’absentéisme de conserver son emploi et ses primes. Toutes choses dont sont pourtant exclus, et la crise sanitaire que nous vivons le montre bien, nombre de professions indispensables.

Qu'il faille remède de l'ordre est donc évident. Est-ce compatible avec nos objectifs économiques ? Deux éléments pour répondre à cette question. Le premier est qu’il faudra bien, un jour, au lieu de simplement se contenter de constater l’existence d’un problème puis de tenter de le résoudre, se poser avant toute décision la question de ce qui a pu le causer. Pour prendre cet exemple, il y a en France, un problème qui touche à l’équilibre de nos politiques sociales. On le constate et l’on nous dit que pour pour avoir le même niveau de prestations il faudra cotiser plus. Mais on ne peut pas réfléchir décemment à cette question sans savoir, d’abord, si on a bien recueilli tout l’argent, et, ensuite, s’il y a des fuites. Et donc se poser la question de la fuite des contribuables, personnes mais surtout entreprises, vers les paradis fiscaux ou d'autres pays de l'Union européenne, Pays-Bas ou Luxembourg. Puis celle de la fraude éhontée aux prestations sociales, d’un niveau tel que les services responsables se sont refusés l’an passé à en donner les chiffres aux parlementaires chargés d'une mission sur le sujet. Celle encore de l'ouverture des prestations sociales à des étrangers (UE et au-delà) qui utilisent sans vergogne notre système de soins français. Et d’autres.

Et c’est une fois, et une fois seulement, que l'on aura, d'une part, ramené l'argent qui a vocation à y aller dans les caisses publiques, et, d’autre part, évité des sorties d'argent qui relèvent de l'escroquerie, que l’on pourra se poser la question du New deal social nécessaire. Le problème viendra alors de ce que la France tombera certainement, soit sous le coup de réglementations émanant de l'Union européenne, soit sous celui de jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme. Ce qui revient à dire, et c’est le second élément, que l'on ne peut espérer de contrat social, qu'on le prenne au sens institutionnel ou économique, que s'il y a une vraie souveraineté nationale.

Loïk Le Floch-Prigent : Le contrat social est bien envisagé par ceux qui veulent tout changer pour que rien ne change . La volonté, par exemple , de relocaliser une partie de la production en France ne dure que le temps d’un discours lyrique , rattrapé par un concert sur l’irréversibilité de la mondialisation …et ainsi de suite. Je pense que la réflexion sur l’évolution des chaînes de valeurs, c’est-à-dire sur les écosystèmes des métiers ne peut venir qu’à partir des personnes qui ont compris ce qu’était un métier . En combien de temps forme -t-on un bon soudeur ? Et dans le nouveau monde va-t-on toujours avoir besoin de soudeurs ? Par rapport à votre question, ma réponse vous semble dérisoire, mais je veux faire comprendre que c’est à partir des compétences, des savoir faire , que l’on bâtit une économie vivante, et que la gifle prise lors de l’incapacité à fournir des masques de protection à la population doit rester gravée dans notre mémoire . Notre industrie doit avoir un rôle à jouer pour la satisfaction des désirs de notre population et nous devons aussi exporter des produits pour faire l’équilibre avec nos nécessités d’importation. L’absence d’anticipation que nous avons subie est d’abord due à la distance prise par les « responsables » avec les « métiers », et ce sont ces métiers que j’appelle les forces vives de la nation. Ce sont ces nouveaux entrepreneurs d’origine très variée qui ont un attachement viscéral aux produits et aux producteurs qui sont en train de bâtir une nouvelle économie industrielle. Mon souci essentiel est de ne pas les voir s’en aller à cause des tracasseries de nos bureaucraties, mais ce sont eux qui vont inventer le contrat social dont vous parlez et non ceux qui voudraient le négocier tout de suite pour préserver leurs prébendes.

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