L’heure d’assainir le business des Ehpad a-t-elle sonnée ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
L’heure d’assainir le business des Ehpad a-t-elle sonnée ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Scandale

Le géant des Ehpad Korian avait programmé 54 millions d’euros de dividendes pour ses actionnaires, malgré le désastre sanitaire. Face au scandale médiatique, le géant a dû céder et rétropédaler sur sa décision.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »
Richard Tourisseau

Richard Tourisseau

Ancien directeur d’Ehpad, ancien secrétaire général du Syncass-CFDT, à l’initiative de la création du Groupement des Ehpad publics du Val-de-Marne.

Voir la bio »

Comment fonctionnent les Ephad en France ? 

Richard Tourisseau: En 2002, le secteur médico-social n’a pas été reconnu comme service public. Mais nous sommes sur un secteur qui n’est pas que concurrentiel, car il est là pour assurer un certain nombre de prestations. Depuis ce temps-là, à la fois l’assurance-maladie ou le département interviennent de plus en plus dans le financement de tous les établissements. Il y a une légitimité de la puissance publique à encadrer le fonctionnement de tous les établissements, publics ou associatifs. Tous fonctionnent à peu près de la même manière. Un tarif hôtelier et un tarif soin et dépendance. Le tarif soin est pris en charge par l’assurance-maladie à 100% et le tarif soin en grande partie par le département et pour une petite partie par les personnes elles-mêmes. Tout se concentre donc sur l’hébergement. Les logiques sur ce point ne sont pas tout à fait les mêmes. Souvent, les établissements privés empruntent sur une quinzaine d’années pour financer leurs établissements donc ils ont besoin d’un rendement très important pour renvoyer des dividendes et rembourser ces emprunts. Mais cela n’est pas encadré. Nous avons créé beaucoup d’établissements privés à but lucratifs. Ceux-ci regrettent souvent de ne pas avoir suffisamment de financement pour pouvoir embaucher le personnel qualifié nécessaire. Lorsque l’État avait dit « nous allons unifier les moyens des établissements en fonction de la population qu’il accueille, les départements vont réajuster les dotations ». Tout le monde a cru qu’on allait commencer par monter les plus bas qui rejoindront les mieux dotés ensuite. Mais les départements ont amené tout le monde à la moyenne ! Mais comme les établissements public et privés associatif étaient plutôt au-dessus de celle-ci, et les établissements commerciaux au-dessous, finalement, on a piqué aux uns pour donner aux autres. Ce qui fait que potentiellement, si nous ne sommes pas vigilants, la dynamique de facilité et de marges plus importantes peut être renforcée. Si nous sociabilisations les moyens supplémentaires donnés à l’issue de la crise par exemple, et que nous ne sommes pas vigilant sur le fait que cela permet de créer des emplois qualifiés, les marges augmenteront mécaniquement. 

La concomitance de la crise sanitaire et du versement de ces dividendes est-elle malvenue pour Korian ?


Guy André Pelouze: Le mot crise sanitaire est un mot tiroir (les politiques abusent du mot crise, crise énergétique, crise écologique, crise climatique, crise agricole, crise sanitaire...) mais il reflète mal la réalité. Quelle est elle? La Covid-19 Un nouveau virus le SARS-CoV-2 est apparu à WuHan en Chine entraînant une pandémie. Il s’agit en France d’une épidémie qui a des conséquences humaines et économiques. Les politiques publiques peuvent atténuer ou amplifier de tels événements épidémiques qui sont des chocs externes pour les populations et les systèmes de production. Les conséquences humaines et économiques sont différentes selon les pays ce qui laisse entrevoir un rôle plus ou moins efficace de ces politiques publiques en dehors d’autres facteurs. Les EHPAD sont des établissements à risque lors de la survenue de tout phénomène épidémique. Nous ne sommes pas loin en France de la moitié des décès en EHPAD même si les décès hors établissements de soins ne sont pas comptabilisés... De nombreux facteurs sont impliqués mais le principal est la fragilité des résidents. L’âge entraîne une immunosénescence et les comorbidités notamment les pathologies cardiovasculaires et le diabète type 2 augmentent le risque d’une forme grave de la Covid-19. Le secteur des EHPAD comprend des entreprises privées et des administrations publiques. Korian est un acteur majeur de ce secteur des EHPAD puisqu’il gère 23 554 places de même que des établissements de soins de suite et réadaptation. Il a eu à faire face à de nombreux cas de Covid-19 dans son personnel et chez les résidents de ses établissements. D’après la presse le groupe Korian déplore 606 décès sur 23 000 résidents. Cela représente 2,3 % de décès sur la population de personnes hébergées. Dans ce contexte comme d’autres entreprises Korian publie ses résultats de l’année dernière (2019). Ce point est important. Pour un chiffre d’affaires de 3,61 milliards d’euros son bénéfice net est de 136 millions d’euros (3,8%) et l’assemblée générale avait décidé de distribuer 48% de ce bénéfice aux actionnaires et d’en investir 52%. Ces ratios sont plutôt dans la norme des entreprises de ce type. Les deux agendas celui des résultats des entreprises et celui de l’épidémie sont différents. Le sujet n’est pas leur concomitance mais la gestion de l’entreprise. Sur ce point je ne sais pas quels investissements sont prévus pour 2020 mais il y a de fortes chances pour que les programmes soient chamboulés et que pour juger de cette gestion il faille attendre un peu. D’ailleurs on apprend par la presse que le 29/04/2020 le groupe suspend ses objectifs 2020 et supprime la distribution d’un dividende aux actionnaires.

La mortalité est très élevée dans les Ephad, est-ce un problème d'investissement ? Une volonté de les rentabiliser au maximum ? De gestion ?


Richard Tourisseau: Je suis plus mesuré sur le sujet. Aujourd’hui la grande majorité des établissements, quel que soit leur statut juridique, ont souffert principalement du fait de ne pas avoir de masques. C’est clair. Nous avons été la cinquième « roue du carrosse » : pas de masques, pas de tests… Il peut y avoir des établissements ou la gestion n’a pas été bonne, nous en avons eu des exemples ! Mais la plupart ne sont pas concernés. La maladie a aussi pénétré parce qu’à un moment donné, nous n’avons pas été en capacité de protéger le personnel. Ce denier a pu se retrouver porteur sain ou non et faire rentrer le virus dans les établissements. C'est pour cette raison que nous avons été obligé d’empêcher les visites des familles, ce qui pourra d’ailleurs nous être reproché. Il faut l’assumer. Lorsque le virus entrait de partout dans certains lieux, il n’était pas possible d’ajouter les venues de personnes dont on ne pouvait pas contrôler leur état de santé. Chez Korian, ils ont parfois pris, non pas l’eau, mais le virus, mais c’est loin d’être le cas partout. Par exemple, Orpea, l’autre grand leader du secteur dont nous n’entendons pas beaucoup parler en France est très attaqués en Espagne… 

Guy André Pelouze:  Ce n’est pas un problème de moyens financiers puisque nous dépensons plus dans le système de soins que les Allemands avec des résultats inférieurs. Donc pour les EHPAD il n’y a à ma connaissance pas de preuves que les investissements soient en panne ni que les moyens soient inférieurs aux autres pays européens. Je ne connais pas par ailleurs d’entreprise qui veuille faire du déficit. Car c’est un suicide assuré. L’état, ses établissements notamment les hôpitaux en déficit (environ 300 sur 1304), la sécu, devraient s’en inspirer car de nombreux pays ont des comptes sociaux en excédent et de bons résultats en terme de qualité des soins. Il faut donc trouver d’autres causes potentielles. 

Le secteur est régulé par des normes multiples et supérieures en nombre et en contraintes à beaucoup d’autres pays. Les mauvais résultats des EHPAD ne sont pas en rapport avec une déréglementation. Mais pour répondre à votre question de manière rationnelle et non idéologique la bonne initiative serait de comparer les EHPAD publics et privés en terme de résultats, de mortalité et morbidité. Curieusement ces comparaisons ne sont pas accessibles car il n’y a pas de données ouvertes dans le système de soins ou ce que l’on appelle le médico-social. Comme il n’y en a pas non plus dans le secteur médecine, chirurgie, obstétrique…

En réalité il va falloir que nous analysions scientifiquement ce qui s’est passé dans les EHPAD. Avant d’invoquer la recherche du profit un bouc émissaire plutôt qu’une piste réelle, revenons à l’essentiel. Sans possibilité de tester et d’isoler les résidents porteurs et ce le plus tôt possible la réponse à l’épidémie a été particulièrement aveugle. Pour l’instant trois points sont à souligner: 

- L’absence de tests n’a pas permis d’isoler précocement les résidents qui ont été contaminés

- Le personnel n’a pas pu non plus être testé et donc la transmission n’a pas été cassée

- L’impréparation des établissements face à une épidémie majeure est apparue dans la lenteur de la mise en oeuvre des dispositifs de prévention. Le manque d’équipements a joué un rôle mais d’autres facteurs ont aggravé la situation et chaque établissement devra faire un retour d’expérience à partir de sa situation et de la réponse initiée.

Comment pourrait-on imaginer les Ephad de demain afin que ce genre de catastrophe ne se reproduisent plus ? 

Richard Tourisseau: J’ai du mal à croire que nous changions de philosophie vis-à-vis de ces établissements après la crise. Aujourd’hui, la création de nouveaux établissements est très limitée. Le fait d’aligner ceux qui existent actuellement possède un avantage, ce que le niveau de qualité est supposément le même partout. Le problème, c’est que cela peut aussi amener à niveler ces services à la moyenne, sans être sûr qu’elle soit acceptable. S'il n’y a pas de moyens supplémentaires qui sont données, s'il n’y a pas un effort qui est fait au niveau de la densification du personnel et notamment du personnel qualifié rien ne changera, quel que soit les endroit ! C’est un débat idéologique qui doit avoir lieu au niveau des départements et des ARS. Est-ce que les futurs conseillers départements ou régionaux souhaitent faire campagne pour des Ephad à vocation sociale ou non ? Le public et l’associatif ont des subventions mais seulement pour l’investissement, pas pour le fonctionnement où tous les établissements sont logés à la même enseigne. Mais les grands groupes n’interviennent que dans des endroits où les terrains sont rentables. Il suffit de voir sur Paris… Les prix sont élevés et la surface réduite. Et si ces établissements ont des actionnaires qui exigent des retours sur investissements, cela ne facilite pas les choses. Nous sommes dans quelque chose qui est un champ économique comme il en existe tant d’autres, mais est-ce que les Ephad doivent relever de ce choix économique ? Les prix de séjours sont très élevés aujourd’hui et cela créé des inégalités fondées sur le patrimoine de chacun.

Guy André Pelouze: Je le répète c’est plutôt la politique de test qu’il faut éviter de reproduire car elle a été à l’origine d’un retard dans l’isolement des premiers cas au moment où nous n’avions pas de test. Par ailleurs il faut être réaliste les résidents des EHPAD auront toujours une mortalité supérieure à la population générale dans ce type d'événement. Plusieurs pistes sont intéressantes à développer. 1/ la question de l’architecture des établissements en particulier pour rendre efficace l’isolement 2/ les systèmes de ventilation qui jouent un rôle dans la propagation des micro-organismes en raison de l’absence de filtration efficace 3/ la formation du personnel qu’il s’agisse du quotidien en temps normal ou bien des situations critiques Pour ce faire il faut des études et des comparaisons européennes. Nous devons nous inspirer de ce qui se fait de mieux en Europe et dans le monde. Il va falloir investir. C’est à dire produire et remettre l’économie en marche. Cette crise met en relief un fait incontournable: nous dépensons plus de 800 milliards de dépenses sociales, certaines de ces dépenses sont utiles indispensables. D’autres sont inutiles, de convenance ou de la fraude. Il faut choisir et garantir d’abord le risque maladie et la santé publique. Il faut que les moyens des prélèvements obligatoires soient concentrés sur ces objectif prioritaires.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !