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Ces petits éléments sur les émissions de CO2 mondiales et sur la pollution de l’air pendant le confinement que devraient méditer Greta Thunberg et Anne Hidalgo
©JOHN THYS / AFP

Vous aviez dit comportements individuels ?

Face à la crise sanitaire du coronavirus, le trafic automobile et aérien sont pratiquement à l'arrêt. Les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l'air ne connaissent pourtant qu'une diminution extrêmement faible. Comment expliquer ce phénomène ?

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico.fr : Alors que nous sommes au coeur de l'épidémie de la crise sanitaire, et que trafic automobile et aérien sont pratiquement au point mort, les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l'air ne connaissent qu'une diminution extrêmement faible. Comment expliquer ce phénomène ? Analyser l'impact de l'homme sur la pollution atmosphérique ou les émissions de CO2 par le prisme des comportements individuels est-il une erreur ?

Philippe Charlez : Depuis le début de l’année, suite à l’énorme réduction des transports (routier/aérien/maritime) dans le monde, la demande pétrolière s’est contractée d’environ 30%. Parallèlement le pétrole a continué d’être normalement utilisé pour le chauffage.  Quant à la pétrochimie, elle a tourné à plein régime notamment pour produire les masques, les sur-blouses hospitalières et le gel hydro-alcoolique. Quant au charbon et au gaz naturel, surtout utilisés pour produire de l’électricité et de la chaleur, leur consommation a nettement moins baissé que le pétrole. En lissage annuel, cette baisse de 30% de la consommation pétrolière devrait réduire les émissions mondiales de GES de l’ordre de 5% ce qui est significatif mais bien évidemment bien moins spectaculaire que ce que l’on aurait pu attendre. D’autant que la reprise pourrait comme en 2009 rapidement lisser la baisse. Par contre le prix en termes de décroissance économique est démesuré. 5% de réduction des GES c’est 10% de récession. Nous sommes en train de tester en vraie grandeur la société de décroissance imaginée par Greta Thunberg et ses Apôtres : une faible réduction des émissions contre une forte privation de libertés et une croissance exponentielle de la pauvreté.

Loïk Le Floch-Prigent : Nous avons là une expérience en vraie grandeur qui était inenvisageable il y a quelques mois, transport très faible, quasiment inexistant dans les métropoles, tous les avions au sol et industries à Wu Han d’abord, puis dans un grand nombre de pays occidentaux en fonctionnement très dégradé. En France cela correspond à une consommation électrique en diminution d’environ 30%. On aurait pu s’attendre à une baisse considérable des pollutions urbaines et des émissions de gaz à effet de serre : il n’en est rien, sauf , dans les métropoles, une diminution des oxydes d’azote , mais CO2 comme particules fines sont à peu près au même niveau. Du point de vue scientifique c’est passionnant et remet en cause beaucoup d’affirmations considérées par beaucoup comme des certitudes. La réalité est donc plus compliquée que la prétendue culpabilité des individus dans leur comportement. Si l’on regarde la situation au niveau de la planète, c’est encore plus préoccupant puisque le ralentissement des activités humaines n’a eu aucune influence sur les chiffres qui affolaient hier ceux qui prédisaient la fin du monde prochaine. Il faut donc revenir aux travaux scientifiques véritables qui énoncent des hypothèses et essaient de les vérifier avec des expérimentations , nous avons l’occasion de prouver  ou d’infirmer certaines théories : la plupart d’entre elles  s’avèrent hasardeuses. Par exemple certains  ont voulu combattre la pollution urbaine au nom de la protection du climat, il est désormais facile de démontrer que ces deux aspirations ne conduisent pas aux mêmes actions. Beaucoup vont vouloir résister à cette remise en question de leurs croyances, mais les observations accumulées vont les obliger à se remettre en question. La pollution est d’abord liée à la concentration démographique et à l’explosion démographique , la part des actions humaines dans les changements climatiques existe surement mais n’est pas prépondérante. La science nous apprend à mieux connaitre notre univers, mais nous sommes encore très loin d’en maitriser tous les aspects , et beaucoup d’éléments échappent encore à notre compréhension. La crise sanitaire nous oblige à un peu plus d’humilité et à moins de bavardages sur des certitudes illusoires. Quand l’observation ne permet pas de vérifier une théorie, il faut changer de théorie, nous en sommes là aujourd’hui.

Dans une interview donnée au Parisien, Anne Hidalgo réaffirme sa décision de limiter le trafic automobile dans la capitale afin "d'éviter un retour de la pollution après le 11 mai" dans la ville. Ce positionnement politique a-t-il un réel impact écologique ? En politique, ne confond-on pas parfois santé et climat ?

Philippe Charlez : Dans les grandes métropoles urbaines, la problématique c’est bien la pollution pas le climat. On sait que la pollution atmosphérique liée aux transports tue annuellement 6 millions de personnes dans le monde et près de 50000 en France. Sur ce point le confinement a eu un effet très spectaculaire. Ainsi selon Air Paris, depuis la mi-mars, la quantité de NOX dans l’atmosphère a été réduite de près de 70%. Des chiffres confirmés  récemment dans le Monde avec une baisse des teneurs en dioxyde d’azote et en particules fines dans l’atmosphère ont baissé en avril respectivement de 40 % et 10 % en avril. Cette amélioration de la qualité de l’air aurait respectivement évité 11 000 décès en Europe et 1 230 décès en France. 

Malheureusement, par les temps qui courent, la stratégie de Madame Hidalgo c’est la « quadrature du cercle ». La distanciation dans les transports en commun n’absorbera que 30% des voyageurs. Beaucoup de franciliens seront donc dans l’obligation d’utiliser leurs voitures pour venir travailler. Adopter une telle posture idéologique après le 11 mai en début de déconfinement serait donc tout à fait irresponsable. Elle pourrira un peu plus la vie des franciliens déjà affectés par deux mois de confinement.

Loïk Le Floch-Prigent : Comme on vient de le voir la pollution automobile n’est pas le paramètre essentiel de la pollution ressentie par la population. L’écologie est l’étude des écosystèmes, c’est-à-dire des réactions dans tous les sens des participants à ces écosystèmes. L’écosystème réel ne connait pas de frontière entre le centre de Paris et sa périphérie, d’un point de vue scientifique c’est l’agglomération parisienne qui est l’objet d’études. On peut supprimer toutes les émissions à Paris et observer une augmentation de la pollution, de la même façon que par vent d’Est Paris peut recevoir des particules fines des centrales à charbon allemandes. La chasse à l’automobile à moteur thermique dans une petite partie de l’écosystème peut avoir l’effet inverse de celui escompté. De même, faut-il le rappeler, l’endroit le plus pollué de l’agglomération est le métro et les souterrains, on respire mieux à l’air libre ! La science ne se contente pas des corrélations, elle cherche des relations de causalité, et ce n’est pas la circulation automobile qui pollue les métros souterrains !

La confusion est donc totale , entre pollution et climat d’une part et entre pollution, climat et santé d’autre part. On vient de démontrer, de façon inattendue et non programmée, que l’automobile à moteur thermique était marginale dans la pollution parisienne, que la santé des habitants était menacée par un virus venu d’animaux chinois, il faut donc abandonner la culpabilisation des automobilistes parisiens à cet égard. Par contre une augmentation des véhicules de service électriques serait une avancée certaine, toutes les denrées nécessaires aux commerces et donc à la population pourraient être véhiculées autrement qu’aujourd’hui, de même que les cars de touristes pourraient être électriques. Cette électrification des véhicules de service dans toute l’ile de France pourrait servir d’expérimentation et on espère recueillir des résultats analogues à ceux des agglomérations qui ont fait ce choix. Les mesures à prendre  dans l’agglomération parisienne sont celles d’une mobilité pour toute la population, les transports en commun sont clairement insuffisants, ils vont l’être encore plus demain en conséquence de la pandémie qui les rend suspects. Tout le monde n’est pas adepte du vélo, la trottinette a montré ses limites, les rues piétonnes ne peuvent, comme les parcs, n’exister que dans des espaces limités. Les solutions ne sont pas simples, mais ce n’est pas en punissant l’automobiliste que l’on traite les problèmes de pollution et de santé, quant à celui du climat, la France ne représente qu’un petit pour cent de la planète, et Paris une partie du pour cent en question . Politique ne devrait pas rimer avec illusionniste.

La Chine vient d’autoriser 10GW de nouvelles capacités de production d'électricité au charbon au cours du premier trimestre 2020, ce qui correspond à peu près à la quantité approuvée pour l'ensemble de l'année dernière, dans le cadre d'une vaste campagne visant à relancer une économie entravée par l'épidémie de Covid-19. Face à ces décisions énergétiques, agir localement a-t-il un réel impact sur notre environnement ? Les discours de culpabilisation des politiques occidentales ont-ils une réelle valeur écologique ?

Philippe Charlez : Le charbon reste aujourd’hui la source d’énergie la plus facile pour produire de l’électricité à bas prix mais aussi la plus émettrice. La Chine produit et consomme la moitié du charbon mondiale. En produisant de l’électricité charbonnière, la Chinois jouent « local ».  Profitons de la crise pour relancer le nucléaire en Europe.

Beaucoup d’hommes politiques et en premier lieu le Président de la République considèrent qu’il est urgent de rapatrier en France un certain nombre d’industries délocalisées par la mondialisation. Pourtant, avant de relocaliser pour raisons stratégiques il serait sage de commencer par ne pas délocaliser pour raisons idéologiques? Si la France manque aujourd’hui de médicaments, de masques, de gel hydro alcoolique, de matériel de dépistage et de respirateurs, elle peut au moins compter sur l’abondance de son électricité nucléaire. Imaginons un service de réanimation saturé subissant un blackout électrique faute de vent ou de soleil! Par ailleurs, en se rappelant que 90% des équipements renouvelables sont fabriqués dans le Sud-Est Asiatique, le remplacement du nucléaire par des ENR entraînerait de facto une perte ahurissante de souveraineté énergétique. A moins que le français ne soit prêt à rouvrir…les mines dont on extrait les fameux métaux rares nécessaires aux éoliennes, batteries, panneaux solaires et autres piles à combustibles. On ne peut à la fois refuser le nucléaire, la mondialisation et les mines sur le pas de sa porte!

Loïk Le Floch-Prigent : Tous les observateurs de l’énergie disent depuis le fameux accord de Paris célébré comme un exploit que la politique de la Chine, mais aussi de beaucoup d’autres pays continue à être dirigée par la nécessité de  fournir une énergie abondante et bon marché, c’est le charbon qui répond le mieux à ce critère,  c’est le cas en Europe avec nos voisins allemandes et polonais, c’est aussi la politique de la Chine et de L’Inde. En termes de réduction des pollutions et des émissions de gaz à effet de serre, le premier combat dans ces pays et bien d’autres est de substituer à l’utilisation individuelle du charbon la construction de centrales électriques , l’utilisation collective permet de diminuer les effets négatifs de plus de 90%. C’est donc la politique de ces Etats, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Par contre , lorsque nos voisins allemands ont abandonné leurs centrales nucléaires pour lancer un vaste programme d’éoliennes, par définition fournissant de l’énergie intermittente, ils ont relancé un programme de construction de centrales pilotables  à charbon ou à lignite, et cela c’était mauvais pour leur pollution et pour les gaz à effet de serre, et  mauvais pour nous aussi puisque nous sommes voisins et les frontières n’arrêtent rien. Nous vivons donc dans un monde hypocrite où chacun vit comme bon lui semble et prend des décisions énergétiques conforme à ses intérêts tandis que nous, en France, nous continuons à nous accrocher à l’idée que notre action est significative pour la planète et exemplaire.

Nous représentons un pour cent des émissions de CO2 de la planète, et nous sommes avec la Norvège les pays les plus « décarbonés » du monde : nous sommes déjà exemplaires grâce à notre production d’électricité nucléaire. Réduire notre parc nucléaire et acheter des panneaux solaires à la Chine est absurde, on pourrait même dire pour polémiquer un peu que ces panneaux sont fabriqués grâce au charbon chinois ! Cette politique nationale conduit à renchérir notre énergie, à limiter notre compétitivité, et elle est sur le point de connaitre une promotion européenne avec le programme de la Commission Européenne dit « Green Deal «  ou Pacte Vert ». Nous sommes partis en croisade contre les énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, contre l’énergie nucléaire et pour beaucoup le « vert » est éolien ou solaire, rejetant même l’hydraulique comme impie à cause de la construction de barrages. Cette auto-culpabilisation des agissements de l’homme occidental qui conduit l’automobiliste parisien à cacher sa voiture a donc bien fonctionné au point de définir une politique suicidaire sur notre petite part de continent au nom du sauvetage de la planète utilisé de manière résolue d’une toute autre façon par tous les autres pays du monde.

Le covid-19 nous a conduit à arrêter une grande part de notre activité, nous nous sommes aperçus que nous avions par des petites lâchetés successives abandonné des productions essentielles à notre souveraineté sanitaire à l’Asie, il en est de même dans beaucoup de secteurs et en particulier celui de l’énergie. Une mauvaise lecture de ce qu’est l’écologie et de nos connaissances scientifiques est en train de nous entrainer vers toujours plus de dépendances et moins de compétitivité. Notre écosystème parisien, français, européen, n’est pas parfait, il est perfectible avec plus de développement durable, plus de respect de la nature, moins de gaspillages, plus de circuits courts , moins de fragmentation planétaire. Notre mix énergétique va évoluer , mais région par région, en fonction de chaque spécificité, ce qui est certain c’est que nous n’avons nul besoin, par culpabilisation à l’égard de l’Asie, de leur acheter tout ce dont nous aurions besoin pour peupler nos petits pays de fermes éoliennes ou solaires dont elle nous fournirait le matériel. Dans l’état actuel du monde, nous n’avons pas à rougir de notre environnement, de notre politique de respect de nos écosystèmes, nous allons nous améliorer encore, cela aura un faible effet sur la planète car nous n’y représentons  pas une part prépondérante,  mais nous n’avons nul besoin de nous inspirer de la politique chinoise à cet égard.

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