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LR : quand la droite ne comprend plus le libéralisme, ni l’économie, ni la nature de la crise que nous traversons...
©PASCAL PAVANI / AFP

Certitudes

Le secrétaire général des Républicains, Aurélien Pradié, s'est confié à Libération. Il précise dans cet entretien que son parti va devoir "réviser plusieurs de ses certitudes traditionnelles". Aurélien Pradié souhaite également continuer à "interroger" le libéralisme.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico.fr : Lundi 30 Mars, le secrétaire général LR Aurélien Pradié a accordé un entretien à Libération dans lequel il explique que son parti va devoir "réviser plusieurs de ses certitudes traditionnelles", fustigeant au passage le libéralisme qu'il veut continuer à "interroger" notamment.

Les hommes politiques français de droite semblent avoir un problème de fond avec le libéralisme et ce depuis des décennies. Est-ce le cas ? Si oui, pourquoi ? Ne confondent-ils pas "libéralisme" et "capitalisme", "libéralisme" et "néolibéralisme"?

Joseph Macé-Scaron : Les vieux préjugés ont la vie dure et une erreur politique même répétée mille fois ne donne pas pour autant une vérité. Qu’importe! Par ignorance, par paresse ou par une forme de lâcheté, les hommes politiques de droite s’activent en permanence à présenter le libéralisme comme une idéologie de prédateurs même s’il est impossible de lui enlever le mérite d’avoir été et d’être encore à l’origine de la richesse des nations. Et il n’est pas question seulement ici de richesses matérielles car c’est bien la liberté des échanges et rien d’autre qui a assuré notamment la gloire de Florence et celle des Provinces unies qui ont su nous donner tant de chefs d’œuvre artistiques. 

L’histoire économique pour qui s’y intéresse n’est pas une longue marche triomphale vers un Etat contrôlant tout, réglementant tout, légiférant sur tout. C’est une valse-hésitation permanente avec une alternance de pragmatisme où le libéralisme apparaît comme un salvateur recours et de dogmatisme où l’Etat par voie administrative produit des inégalités dont il assure la redistribution avec un certain succès.

La vraie question de fond est, en effet, le rapport entre le capitalisme et le libéralisme. Le communisme pratiqué par l’Union soviétique était un capitalisme d’Etat puisque l’objectif était bien d’accumuler les moyens de production afin d’obtenir des rendements à grande échelle au mépris total de l’environnement. De même, la Chine d’où est parti l’épidémie qui ravage notre planète a inventé dans ses laboratoires un capitalisme moderne, agressif, conquérant qui assure, d’abord, la pérennité de la domination politique, économique, idéologique du Parti Communiste Chinois (PCC) fort de 68 millions d’adhérents.

Si l’on retrouve souvent capitalisme et libéralisme dans les mêmes discours politiques, ils ne procèdent pas de la même logique puisque l’efficacité du libéralisme repose sur la libre concurrence entre les acteurs économiques. Je regrette l’époque des Universités d’été de la droite et du centre où les futurs cadres et élus pouvaient apprendre que libéralisme et capitalisme ne font pas bon ménage depuis…le 2 juillet 1890 quand le gouvernement américain édicte le Sherman Antitrust Act qui signe le droit à la concurrence moderne et s’attaque au quasi-monopole. John Sherman qui donnera son nom à la loi a un côté « Monsieur Smith au Sénat » mais il trouvera des paroles fortes et libérales pour soutenir son texte : « Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits ». Voilà qui me paraît singulièrement plus gaullien que le gaullisme qui se drape dans une social-démocratie aussi molle que la montre de Dali.

Alexandre Delaigue : Le fait que la droite française n'est pas très libérale est un constat qui a été fait de nombreuses fois pour une raison relativement simple, c'est que ce n'est pas particulièrement quelque chose d’électoralement porteur à l'intérieur du pays. La droite se présente un peu du côté de l'ordre notamment donc dans l'ensemble, à part un bref d'épisode entre 86 et 88 où il y avait une aspiration très reaganienne – qui elle aussi pourrait être très discutée -, il n’y a jamais eu de programme très libéral qui l'a emporté électoralement. Et la droite tient compte de cela même si un certain nombre de catégories socioprofessionnelles dont elle se fait le représentant à la fois idéologique et du point de vue des intérêts peut éventuellement être compatible avec une perspective libérale. De ce point de vue-là, on est plutôt dans un pragmatisme électoral qui fait que la droite en France n'est pas particulièrement libérale. Il me semble que la réponse est là plutôt que dans la confusion sémantique avec « capitalisme » etc.

Aurélien Pradié - comme d'autres l'ont prôné à droite auparavant - fait l'éloge du Gaullisme, expliquant qu'il veut un Etat fort non plus que "l'argent [soit] la seule échelle de valeur." Or, en 1958 existait le plan Pinay-Rueff sur la dévaluation du franc, la suppression de la retraite des anciens combattants ou encore la libéralisation des échanges extérieurs...Sait-on encore ce qu'est le Gaullisme à droite ? Pourquoi pense-t-on que Gaullisme est synonyme de protectionnisme ? Pourquoi en vouloir autant à l'économie ?

Joseph Macé-Scaron : Vous avez parfaitement raison d’évoquer le plan Pinay-Rueff. Imaginez que le 31 décembre 1958, le journal Le Monde titre en première page « Une fièvre de libéralisme », une manière de « saluer  le plans de redressement financier, certains diront le plan d’austérité, conçus par Jacques Rueff, Antoine Pinay et Louis Armand avec la bénédiction du Général de Gaulle qui, à l’époque n’a pas encore pris ses fonctions de président de la République et n’est encore que président du Conseil. Ce dernier avait avant son accession au pouvoir critiqué la IVe République pour avoir maintenu le protectionnisme, la nationalisation de Renault, le contrôle des changes et surtout ses troubles inflationnistes…

La démarche du fondateur de la Ve République cherche avant tout à restaurer la souveraineté économique de la France et à faire en sorte qu’il y ait suffisamment de richesse à redistribuer. Le plan qui ne compte pas plus de vingt-cinq pages et quelques mesures essentielles va insérer l’économie française dans la compétition internationale en prônant la rigueur, la réduction du déficit public, la libéralisation des échanges, un allégement des règles de la Sécurité sociale, la lutte contre l’inflation, l’ouverture des frontières du Marché commun. Il n’y a à l’époque que Raymond Aron pour y croire. 

Alliant volontarisme gaulliste et solutions libérales, le plan de 1958 ou plan Pinay-Rueff libère les énergies et restera dans l’histoire économique française comme bien davantage qu’un électrochoc puisqu’il eut pour effet immédiat d’assurer pour quinze ans « l’expansion dans la prospérité » de l’économie française. La remise en ordre économique par l’efficacité libérale allant de pair avec le relèvement de nos institutions. Le fait que la Cinquième république ait été conçu pour marcher sur ces deux jambes n’a toujours pas été compris par des dirigeants qui se prétendent gaullistes à qui on serait tenté de dire : « Et voilà pourquoi votre fille est boiteuse… ». 

Alexandre Delaigue : Aller chercher la figure du général de Gaulle qui, du point de vue du gouvernement, date entre 50 et 60 ans, cela traduit véritablement plus un manque de manque de fond à la fois idéologique, de figures etc. plus qu’autre chose. Cela traduit plus un vide que véritablement la volonté réelle d'exercer ou de présenter une politique. Après, on peut trouver quelques parallèles avec des discours tenus en 2008 sur le fait qu’on disait que rien ne serait comme avant, etc. Lorsque l’on regarde le programme qui était celui de François Fillon pour la dernière élection, il est aisé de voir qu’il était quand même plutôt marqué par la volonté de réduire fortement la dépense publique et par toute une série de réformes fiscale comme la suppression de l’ISF par exemple donc, globalement, cela ne l’a pas empêché d'avoir un programme et de se présenter quelques années plus tard, avec un programme qu'on qualifierait plutôt de libéral relativement dur.

Tout cela est un peu du discours plus que véritablement un changement profond. Il faudra voir ce que donnera cette évolution, mais globalement ce n’est pas quelque chose de très nouveau. C'est un vide dans lequel on va aller prendre des idées par-ci par-là, où on va chercher des figures mythologiques très anciennes mais dans lequel le contenu au final reste très discutable. De manière générale, il n'y a pas réellement de programme construit si ce n’est des à dire discours relativement flous qui visent à essayer de séduire les extrêmes qui ne votent pas, à capturer les gens qui seraient tentés par les extrêmes et en particulier par l'extrême droite.

La droite (sous la forme notamment de ce que dit Aurélien Pradié) fait-elle le bon diagnostic dans la crise actuelle ?

Joseph Macé-Scaron : Pas du tout, elle est, une nouvelle fois, en retard d’une guerre. C’est là une pathologie de la droite française : construire après chaque crise, une ligne Maginot alors que l’adversaire est passé depuis belle lurette à la guerre éclair. Il y a là un acharnement qui, dans d’autres domaines, forcerait l’admiration. Hannah Arendt aimait répéter : « Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés ». Cette crise donne suffisamment à penser sans aller décrocher les vieilles lunes de l’antilibéralisme. Quelques exemples : est-ce le grand retour de la notion de frontière, la santé de l’économie passe-t-elle par l’économie de la santé, comment rétablir l’autorité des sachants, comment sauver et peut-on sauver l’Union européenne du désastre, l’affrontement avec la Chine prendra-t-elle la forme d’un conflit armé…autant de questions brûlantes et qui méritent le débat.

Alexandre Delaigue : Il est relativement délicat de faire un diagnostic très général à partir d'un événement qui se produit une fois tous les cent ans, comme ce qui est en train d'arriver maintenant. S’imaginer que lorsque quelque chose qui se passe une fois tous les cent ans arrive il faille tout changer, ce n'est pas forcément un très bon diagnostic. Le vrai problème de la droite telle qu'elle est là maintenant, c'est qu'elle est un peu prise entre deux feux. Si l’on s'oriente vers ce qu'elle a été, c’est-à-dire un centre droit, un peu néolibéral, etc. elle risque de se faire capter par LREM et si elle veut aller de l'autre côté, elle se retrouve à essayer d'empiéter sur les plates-bandes de l'extrême-droite. On est sur une droite qui cherche désespérément un programme et un propos mais qui n'en trouve pas réellement pour l'instant. Si l’on regarde à l'extérieur, on ne peut pas dire que les alternatives à droite que l'on peut rencontrer soient particulièrement attrayantes ou à même d’offrir véritablement un programme. Ce qui pourrait éventuellement constituer un programme économique, du moins sur d'autres aspects, c’est ce qui a été fait au Japon sous le Premier ministre actuel Shinzo Abe où l’on a tout un discours relativement nationaliste - qui serait relativement cocardier - et dans le même temps, un vaste programme de réformes économiques qui fait feu de tout bois dans tout un tas de directions. C'est-à-dire qui essaye d'augmenter le facteur travail en augmentant le taux d'activité et éventuellement même en étant ouvert en matière migratoire qui, de notre côté, essaye de soutenir l'activité via la dépense ou bien un peu plus de dépenses publiques etc. Cela pourrait être le programme d'une droite qui aurait renoncé au libéralisme tout en n'étant pas une politique d'extrême droite.

Propos recueillis par Edouard Roux 

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