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Philippe Gosselin : "Nous avons refusé que l’équivalent des pleins pouvoirs soient votés pour le Premier ministre. Mais nous devons rester vigilants"
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Conséquences politiques

Le député LR Philippe Gosselin évoque la crise sanitaire et politique face à l'épidémie de coronavirus. Philippe Gosselin s’alarme de l’impact de l’état d’urgence sanitaire sur l’Etat de droit.

Philippe Gosselin

Philippe Gosselin

Philippe Gosselin est député LR de la 1ère circonscription de la Manche et ancien maire de Remilly-sur-Lozon.

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Atlantico.fr : L'état d'urgence sanitaire vient d'être instauré mercredi par le gouvernement remettant en question l'état de droit (même si cela n'est pas le but du gouvernement) et nous mettant face à un défi de taille. Cette mesure est-elle juridiquement démocratique ? Comment éviter les atteintes à l'état de droit avec cet état d'urgence sanitaire ? 

Philippe Gosselin : À situations exceptionnelles, circonstances forcément exceptionnelles ce qui ne veut pas dire un blanc-seing ni politique ni juridique à un gouvernement quel qu'il soit, c'est évident. Nous sommes dans un Etat de droit et il est important de rappeler qu'un certain nombre de grands principes régissent notre démocratie, sont à la base de l'organisation de la République et que même en temps de crise, il est évidemment indispensable que la continuité de la République et de la démocratie soient établies.

Cela a été d'une certaine façon l'objet des travaux de la semaine dernière et de ce weekend. On a bataillé, il est vrai, dans le respect de nos collègues, mais on a bataillé à l'Assemblée nationale et au Sénat pour que l'état d'urgence sanitaire et qu'un certain nombre de mesures économiques s'intègrent le plus possible dans un cadre démocratique. Ce qui a en réalité posé problème – et tout n'est pas évacué loin s'en faut aujourd'hui -, c'est l'état d'urgence sanitaire.

C'est un régime totalement exorbitant du droit commun qui s'inspire de la loi de 1955 sur l'état d'urgence, qui lui était lié au début de la décolonisation, qui était dû aussi au début de la crise d'Algérie qui va trouver à s'appliquer évidemment à plusieurs reprises etc. On a eu d'autres périodes plus proches de nous où on a eu aussi de graves crises et des accommodements avec le droit. Je pense évidemment très proche de nous aux attentats et aux régimes particuliers de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme, la fameuse loi SILT.

Mais dans le cadre de cette loi, on était sur un sujet particulier, à savoir la lutte contre le terrorisme. Là, on a un ensemble extrêmement vaste. La mise en place de l'état d'urgence sanitaire impacte non seulement le droit économique, le droit des obligations, le droit de la Sécurité sociale, le droit électoral, le droit fiscal, mais c'est l'ensemble quasiment du droit positif actuel qui peut être impacté au quotidien. Le droit du travail en fait partie bien évidemment, mais ce sont aussi des grands principes qui chez nous ont valeur constitutionnelle. Je pense en particulier à la liberté de réunion, la liberté d'aller et venir, la liberté de circulation, la liberté du culte. Bref, ce sont des éléments essentiels et c'est pour cela que ce weekend nous avons eu des débats intenses entre l'Assemblée, le Sénat et y compris en commission mixte paritaire.

Il y avait un article qui pour moi était vraiment inconcevable et que l’on pourrait même qualifier d'article scélérat, c'est la rédaction nouvelle - qui heureusement a été repoussée - alinéa 10 nouveau, qui était prévu à l'article 5 de la loi et disait qu’en tant que de besoin, le Premier ministre est autorisé à limiter la liberté de circulation, la liberté d'entreprendre, la liberté de réunion etc. Ce simple alinéa de quelques lignes revenait à donner au Premier ministre les pleins pouvoirs, l'équivalent de l'article 16 pour le Président de la République !

On a décidé de donner dans un premier temps une liste limitative des pouvoirs du Premier ministre et c'est ce qui a été fait, de façon un peu élargie certes par rapport à la rédaction initiale, mais cela permettait de vider de sa substance l'article qui permettait les pleins pouvoirs. Cela a été aussi des recours supplémentaires qui avaient été instaurés comme le référé sous 48 heures etc. Il n'empêche que, en ayant tenté d’expurger au maximum un certain nombre d'éléments parce qu'ils étaient trop attentatoires au droit commun, trop peu exorbitants du droit commun etc. On est aujourd'hui dans un régime très particulier d’une durée d'un an au mois (jusqu’en Avril 2021) mais nous devons être et rester très vigilants.

Je pense qu'on a, en quelque sorte, pris des précautions et qu’on réfléchira à pérenniser certains dispositifs parce qu'aujourd'hui – même si je n’ai rien contre le président Macron en tant que tel ou contre Edouard Philippe -, on peut très bien avoir des lois d'exception avec d'autres gouvernements, d'autres chefs d'état et ce qu'on aurait laissé filer cette fois-ci pouvait s'amplifier par ailleurs.  Je souhaite aussi que le Parlement s'empare totalement des pouvoirs qui lui sont reconnus. On est aujourd'hui dans une période d'exception une période exceptionnelle mais les recours les contrôles eux ne doivent pas être l'exception.

Cette commission d'enquête - qui va bien au-delà de la mission - devra se créer le plus rapidement possible. Les LR ont suggéré que cela soit fait à l'automne pour ne pas gêner mais je crois qu’il faudra la créer le plus vite possible. Cela fait partie des pouvoirs du Parlement et j'invite - en ce qui me concerne - la commission des Lois de l'Assemblée à utiliser les pouvoirs d'investigation qui sont les siens, à réunir la commission des lois (par visio conférence ou audio conférence) et tous les autres présidents de commission (économique, fiscale, finances etc.) à faire la même chose afin de démultiplier nos forces face à l'action du gouvernement. Parce qu’encore une fois, au-delà de ce qui est très important et qui pourrait être attentatoire aux libertés publiques individuelles, on a aussi habilité le gouvernement dans 43 domaines, ce qui va donner lieu à une foultitude d'ordonnances. Les premières sont déjà sorties et à chaque fois, ces ordonnances ce sont des dizaines et des dizaines de pages qui vont donner lieu aussi à des dizaines et des dizaines de décrets. Il faut s'assurer du contrôle de ces ordonnances. Il va falloir s'occuper de tous ces éléments au moment de la ratification, au moment de la publication des décrets. Bref, c'est un chantier très vaste qui nécessitera l'implication aussi des tribunaux sur certains sujets bien sûr, du conseil d'état évidemment, du Conseil constitutionnel etc. Il faudra un engagement sans faille, mais c'est le prix du contrôle et le prix démocratique.

Comment les limiter, concrètement ?

Il y a évidemment tous les dispositifs habituels de recours à la fois contre des décisions individuelles devant les juges ordinaires, c'est un rôle qui évidemment est toujours essentiel. Et puis il y a aussi un rôle toujours essentiel, à savoir les décisions collectives et administratives qui dans un certain nombre de cas relèveront peut-être des tribunaux administratifs mais essentiellement - compte tenu des auteurs des actes c'est à dire les ministres - qui relèveront du conseil d'état qui est quand même la plus haute juridiction administrative française. Si l’on prend les QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) pour les particuliers, cela veut dire que cela met à un moment ou un autre le Conseil constitutionnel au centre du dispositif. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, sur la fameuse loi organique, est saisie actuellement puisque le Conseil constitutionnel doit être saisi de toutes les lois organiques. Il sera donc intéressant de voir quel va être son point de vue. Par ailleurs, si l’on avait voulu - et je l'avais suggéré comme d'autres - purger toute difficulté constitutionnelle et attentatoire aux libertés publiques, il suffisait que le Président de la République – et il l'a fait il y a quelques mois pour un autre texte - saisisse le Conseil constitutionnel. On aurait alors eu la garantie absolue de ce qui était bon ou pas. Cela n'a pas été fait, vraisemblablement au nom de l'urgence mais aussi au nom des grands risques juridiques que comporte cette loi. Maintenant, il faut toujours compte tenu de la situation, trouver l'équilibre entre le possible le souhaitable parce que l’on sent très bien que l’on peut avoir une réponse juridique, carrée, ferme mais qu'elle ne tiendrait pas dans l'opinion publique. Si à cause d'une carence législative, d'une carence textuelle il devait y avoir des milliers et des milliers de morts supplémentaires, des entreprises en faillite etc. l’opinion publique serait révoltée.

A nouveau, ce n’est pas être déraisonnable que de continuer à vouloir vivre dans un état de droit dans un état qui reste démocratique, sinon c'est la porte ouverte à tout, bien évidemment. Mais l'art est compliqué j'en conviens. En tout cas ne renonçons pas, nous parlementaires, à nos pouvoirs que la Constitution nous donne.

Ce n'est pas faire des polémiques mais il s'agit de montrer qu'on est quand même aussi les gardiens du temple, les gardiens de la République.

Un second projet de loi organique a été mis en place sans que le conseil constitutionnel n'ait été considéré. Pourquoi ? Comment justifier cela ?

Sur la loi ordinaire, je pense que le Président qui fait partie des autorités - on a 60 députés, 60 sénateurs, le Président du Sénat, de l'Assemblée Nationale et aussi notamment le Président de la République - on aurait pu imaginer le Président saisir le Conseil constitutionnel afin de purger les vices éventuels de cette loi. C'est ce que je souhaitais et que j’ai dit à plusieurs reprises ce weekend.

Cela n'a pas été fait pour deux raisons majeures il me semble : d’abord, sans doute pour ne pas risquer de retarder la mise en place du dispositif législatif car les ordonnances - tout le temps que le texte n'était pas promulgué - ne pouvaient pas être publiées et donc on était face à un blocage juridique. Ensuite, je pense qu'en réalité, si le Président de la République ne l'a pas fait, c'est parce qu'il craint qu'un certain nombre de dispositions ne soient pas constitutionnelles et forcément cela aurait mis le doigt là où ça fait mal ! Puisque le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi, que ce n'était pas de plein droit - puisque ce n'était pas une loi organique -, je crois que tout cela justifie non pas un contrôle d’empêcheur de tourner en rond, non pas un contrôle qui apparaîtrait comme tatillon et déraisonnable mais un vrai contrôle démocratique qui est celui du Parlement. C’est ce dernier plus que d'autres qui est au cœur du contrôle de l'action du gouvernement, de l'évaluation des politiques publiques et qu'il n'est pas question que l'on renonce à ce travail. On aurait souhaité d'ailleurs qu'on aille encore beaucoup plus vite. On ne peut pas examiner tous les textes qui reviennent sur le droit commun qui sont attentatoires à des grands principes en deux heures ! Nous avons passé 27 heures en tout. Ce n’est pas si mal certes, mais ce n'est pas non plus énorme par rapport aux enjeux. Encore une fois, à partir du moment où tout cela a été fait rapidement il n'est pas question de se dessaisir, exerçons nos pouvoirs, tous nos pouvoirs. Cela passe par des pouvoirs existants aujourd'hui sans modification des textes, des commissions permanentes du Parlement (commission des lois et autres), plus d'émissions d'information, plus les commissions d'enquête, plus les pouvoirs d'investigation de contrôle que nous devons avoir. Ne renonçons pas. Et ce n'est pas être mauvais joueur que de dire cela.

Comment distinguer ce qui relève de la nécessité sanitaire et ce qui relève d'un réel danger qui ne serait pas assez encadré ? Ne sommes-nous pas en train de tomber dans une psychose qui pourrait un jour se retourner contre la démocratie ?

C'est évidemment, comme dans toutes ces périodes de crise, le risque majeur. Quand on est dans une période de troubles, dans une période d'attentats, dans une période où l'ensemble de nos concitoyens peut être atteint et en difficulté, la tentation est forcément grande d'apporter les meilleures réponses possibles. Et ces meilleures réponses possibles peuvent être parfois de limiter un certain nombre de libertés, c'est évident. Quand on demande aux gens de rester confinés chez eux, ce n’est pas pour le plaisir de les embêter ou de les brimer mais parce qu'il est prouvé scientifiquement que le confinement - même si cela peut paraître très ancien finalement comme une méthode par rapport à toute la technologie d'aujourd'hui - apparaît comme un des grands éléments qui permettent de se protéger et d'éviter la propagation de la pandémie. Il y a donc là, bien entendu, une atteinte à la liberté d'aller et de venir. En soi, ce n'est pas non plus la Révolution parce que la manière dont nous le faisons, juridiquement, est un moyen qui apparaît comme proportionné. Il y cette notion de proportionnalité et d'adaptation entre les mesures prises et les objectifs poursuivis. Sur celui-là, il n'y a pas de difficulté à limiter les allers et venues, pour aller se soigner et pour aller s'alimenter.

Il existe forcément un certain nombre de mesures qui passent parfaitement au travers du tamis de la tradition juridique française (qui est plus que bicentenaire) avec des contrôles qui s'exerceront aussi a posteriori et il ne faut pas les éliminer. Et puis la vigilance que nous devons avoir aujourd'hui. Il n'y a pas de procès d'intention, pas de procès en régime autoritaire qui est fait à ce gouvernement ou au Président de la République. Mais justement, attention à ce qu'il n'y ait pas de dérives et en aucun cas l'état d'urgence sanitaire ne doit justifier une banalisation de nos règles de vie essentielles, de notre système juridique essentiel et la démocratie, tout comme nos libertés publiques, ne peuvent pas être sous cloche pendant cette période. C'est le rôle des élus, des institutions et des juridictions, de la presse, des intellectuels, bref, de l'ensemble de la société à être vigilants.

Pour notre part, on n'est pas prêt à renoncer à notre rôle, c'est évident et il faut l'utiliser plein et faire en sorte que la majorité n’use et n’abuse de ses pouvoirs. Je conclus en disant qu'il n'y a pas de fatalité à la disparition de la démocratie pendant cette période ou à ce que la République soit mise sous cloche. Il n'y a pas de fatalité mais il peut y avoir des renoncements et cela je n'en veux pas.

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse de Didier Maus, de Jean-Philippe Derosier, de Christophe Boutin et d'Eric Verhaeghe sur l'état d'urgence sanitaire, cliquez ICI

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse d'Eric Verhaeghe sur les conséquences de la crise du coronavirus sur la fonction publique, cliquez ICI

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